Témoignage du Colonel PUIGT Opération encerclement de Bab el Oued
[(
)]
OPERATION ENCERCLEMENT DE BAB EL OUED LE 23 MARS 1962
En ce 23 MARS, bête et discipliné, j’ai mis un E.M.T. à la disposition du Colonel CARAVEO et allai déposer ma demande de mise a la retraite anticipée à l’état major du Corps d’Armée à la caserne PELISSIER.
Je rejoignis ensuite mon bataillon à BAB EL OUED à 20 h 30 pour en assumer moi-même le commandement.
Je veux ne noter de cette mission que ce qui me parait essentiel.
Maintien de l’ordre dans BAb EL OUED :
Le Commandant BAZIN, commandant de l’E.M.T.I, refusa catégoriquement d’en assumer l’exécution, me reprochant amèrement de ne pas tenir parole puisque j’avais affirmé, antérieurement, que je n’accepterais jamais une mission de maintien de l’ordre dans ALGER.
Il fut remplacé par son adjoint le Capitaine PUICHAFFRAY. L’un et l’autre ignoraient la décision que j’avais prise en ce qui concernait mon propre avenir.
Le dispositif des différentes unités utilisées pour le bouclage figure dans la photocopie du plan de BAB EL OUED (joint).
Le lendemain 24, le Colonel CARAVEO est relevé de son commandement et remplacé par le Colonel BORREIL, aujourd’hui Général à la retraite en Roussillon. J’ignorais les raisons de cette relève, mais sous le manteau il se murmurait que le Colonel CARAVEO avait "écopé" d’un certain nombre de jours d’arrêt de forteresse.
Je ne crois pas que ce soit le fait de ne pas m’avoir confié le commandement d’un sous-groupement correspondant à mon ancienneté de grade, comme le lui avait reproché le Général de MENDITTE (Commandant lE C.A. A.), par message secret-urgent le 232315 Z (heure de départ), suite à ma demande de mise à la retraite.
II était plus probable qu’il lui était reproché la fuite des éléments de l’O.A.S. qui avaient échappé au bouclage en fuyant par les égouts et par le cimetière vers Saint-Eugène (ce qui était à vérifier)•
La matinée de ce 24 MARS, marquée par les problèmes de commandement occasionnés par l’attitude du Commandant BAZIN qui était venu rejoindre ses troupes dans la nuit et qui ouvertement s’était montré trop disposé à ne respecter aucun ordre concernant l’étanchéité du bouclage mis en place par les unités non seulement du 5°R.T., mais encore de celles placées en cordon le long du Boulevard de Champagne.
Le commandant BAZIN utilisait par le truchement du poste d’entrée de l’hôpital MAILLOT, un contact téléphonique assez fréquent avec les responsables de l’O.A.S., dont le sous-préfet ACHARD
A 14 H. 30 environ une vive fusillade, déclenchée à mon avis sans rime ni raison, vint jeter le trouble et l’effervescence dans le dispositif militaire en partie gagné par une douce somnolence occasionnée par une nuit sans sommeil. Je puis affirmer qu’en exécution des ordres formels que j’avais donnés, pas un seul coup de feu ne fut tiré par un seul de mes tirailleurs.
Pourtant, sans respect de la discipline de feu, tout le monde par ailleurs s’en donnait à cœur joie pour ajouter au concert des rafales d’ armes automatiques.
Le Colonel BORRElL que je suis allé voir en son P.C. Place DUTERTRE, s’est inquiété immédiatement des secours éventuels à porter aux victimes d’un tel déploiement de tirs incontrôlés. II n’avait à sa disposition qu’un personnel médical réduit à une ambulance, et deux infirmiers aux ordres d’un médecin auxiliaire.
Je calmai un peu ses inquiétudes en lui précisant que je disposais moi-même du personnel sanitaire de mon Régiment sous les ordres d’un Médecin-Capitaine, et que j’avais recueilli, à la suite de la fusillade, une équipe sanitaire de la Croix Rouge avec ambulances, complètement affolée par le danger occasionné par la "pléthore" extravagante de l’usage des armes à feu.
Mais l’ambulancière chef du détachement, conduite auprès du Colonel, précisa avoir reçu l’ordre formel de ne porter secours qu’aux seuls blessés musulmans , à ma grande indignation et à celle du Médecin auxiliaire présent à l’entretien.
J’ai recherché par la suite à retrouver l’équipe de ces trois secouristes et connaître au moins leur identité. Tout ce que j’ai pu savoir, c’est que les Services de la Croix Rouge à cette époque étaient dirigés par Mesdemoiselles LUNG à ALGER, et ROBERT * à PARIS.
Qui donc avait, hors de tout sentiment humanitaire, prescrit de dispenser les secours d’une telle façon discriminatoire ? Monsieur VITALIS-CROS, Préfet de Police à Alger, pourrait peut-être nous renseigner à ce sujet.
Le Médecin-Capitaine DINANT, mon médecin de Régiment a été amené à soigner une femme blessée par balle à la cuisse. Mais il dut s’insurger et me demander d’intervenir pour l’admission de cette victime à l’hôpital MAILLOT.[vert fonce][fond orange fonce]( note du rédacteur : il s’agit très probablement de la jeune (Molto ? ) dont il faut relire le témoignage, qui fut en fait évacuée sur l’hôpital de m Mustapha)[/fond orange fonce][/vert fonce]
La fusillade incontrôlée dura trop longtemps à mon goût. Je me suis efforcé de ramener le calme, en particulier parmi les C.R.S. placés à la droite de mon dispositif entre la rue Cardinal VERDIER et la place du TERTRE. Mes déplacements m’ont conduit à repérer, grâce aux C.R.S. d’ailleurs, des tireurs installés, hors-bouclage, sur la terrasse d’un immeuble de 7 à 8 étages, cours Camille DOULS dans le virage conduisant Place DUTERTRE.
Deux tireurs porteurs d’un chèche blanc (rien ne prouve que ce fut deux Arabes), apparaissaient à intervalles irréguliers, pointaient un fusil-mitrailleur, nettement repéré à la jumelle, posé sur le rebord du muret supérieur de la terrasse et tiraient de courtes rafales en direction du ras des toits du quartier encerclé.
La fusillade des gens à terre qui semblait alors diminuer d’intensité, reprenait de plus belle, sous l’effet de ces deux "guignols" qui semblaient s’ingénier à ne pas tolérer d’accalmie
Leur tir ne pouvait avoir aucune efficacité, mais la présence de ces deux têtes apparaissant et disparaissant était plus que suspecte et l’autorisation d’intervenir pour vérifier l’appartenance et l’identité de ces deux individus me fut refusée par le Colonel FOURNIER, adjoint au Général CAPPODANO, présent sur les lieux.
Je suis donc dans l’impossibilité d’apporter une quelconque précision quant au besoin d’identification de ces perturbateurs.
Et lorsqu’il a été signalé que la fusillade avait été déclenchée aux alentours de la place DUTERTRE à la suite de tirs d’armes automatiques embusquées au cimetière d’EL KETTAR, je ne pouvais pas ne pas ajouter foi en cette rumeur considérant que des "provocateurs" pouvaient très facilement avoir "mis le feu aux poudres" !
Les unités ont été libérées de leur mission dans La soirée du 24 MARS. En conclusion de cette lamentable "affaire de BAB EL OUED", je ne peux passer sous silence une constatation résultant de mes propres et seules observations sur le terrain.
Animés d’un complexe de frustration, je ne puis expliquer autrement pareille aberration de l’esprit - causée sans doute par le dépit de n’avoir pas pu, ou su, sortir vainqueur de la lutte engagée contre le F.L.N.
Certains officiers participant à la répression dans le quartier de BAB EL OUED, manifestèrent ouvertement une véritable aversion des malheureux soumis à l’encerclement, aux fouilles et arrestations, décidés à leur extermination si nécessaire, et je mesure mes conclusions .
PERPIGNAN, Ie 20 AVRIL 1995 Le Colonel (H) Jacques PUIGT
[*Note du rédacteur : J’ai bien connu Mlle ROBERT qui a terminé ses jours près d’ORANGE et à laquelle j’ai été amené à dispenser mes soins. Bien que j’aie su son passé d’ambulancière, je ne pouvais deviner ce précédent fâcheux dont rien ne permet d’ailleurs de dire qu’elle était responsable, pas plus que Mlle LUNG*]
[(
)]