Extrait du livre de Jean MONNERET

, par  Jean Claude THIODET ✞ , popularité : 19%

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Jean MONNERET écrit dans son livre "La phase finale de la guerre d’Algérie" (l’Harmatan)

A la date du 19 mars, le trait dominant de la situation était que, contrairement a ce que voulait faire croire la propagande de l’OAS, qui assurait que sa puissance augmentait, elle n’arrivait pas a prendre le pas sur les pouvoirs publics.

Les forces consacrées a la lutte contre l’Armée Secrète croissaient sans arrêt et passaient de 4500 à 12.000 hommes. Gendarmerie mobile et CRS faisaient bloc dans cette lutte et une portion grandissante de l’Armée apportait son concours accru quoique limité au maintien de l’ordre.

Les opérations de prévention avec fouilles et perquisitions dans un périmètre préalablement bouclé se multipliaient dans Alger et Oran. Le docteur Perez a reconnu que ce type d’opérations baptisées "Croisière" par la Préfecture gênaient considérablement ses militants.

Selon Vitalis Cros", il y eut 14 opérations Croisière entre le 10 janvier et le 19 juin 1962, avec 5242 perquisitions, 21249 personnes contrôlées, 845 arrestations et 1.500 armes saisies. L’efficacité de ces opérations permettait aux forces de l’ordre d’avoir une vision réaliste de la situation ; elles percevaient parfaitement que loin d’augmenter, le potentiel des clandestins était lentement grignoté.

Du coté des dirigeants de l’Armée Secrète, cette réalité s’imposait tout autant : l’Organisation loin de se développer connaissait des difficultés croissantes.

Pour se battre avec quelques chances de succès, il fallait donc augmenter la quantité des attentats, accroître le désordre et, si possible, passer à .. des manifestations de rue.

De même l’organisation de maquis en zone rurale était-elle envisagée de manière à faire pièce au FLN, à étendre l’activité insurrectionnelle et à gagner des appuis du côté musulman. Tout cela se fit comme il était devenu habituel pour L’ensemble des actions de I’OAS, dans la confusion.

L’idée de transformer Alger en une sorte de Budapest et l’opération du 23 mars à Bab-el-Oued en furent la double illustration.

Ce quartier était la base d’appui de l’Armée Secrète. Les Musulmans qui y résidaient l’avaient quitté pour se réfugier en zone indigène. Les Européens mêlés aux Musulmans à la Bouzareah
··ou au Climat de France avaient fait de même, en sens inverse.

Dès I’automne 1961, l’idée germa que le FLN contrôlant certains quartiers d’Alger, I’OAS devait faire de même. Les patrouilles françaises ayant cessé en secteur arabo-berbère, il fallait que la même chose se produisit en secteur européen. L’ Armée Secrète aurait alors des bastions qu’elle administrerait.

Si, en outre, elle implantait des maquis en zone rurale, sa représentation en serait accrue : elle serait partie prenante à la direction de I’Algérie.

Voici comment Pierre Montagnon expose cette stratégie dans son livre (La Guerre d’Algérie, page 380) : " .. chacun chez soi, c’est-a-dire le FLN à la Bouzareah ; Ie 9eme zouaves (chargé de I’ordre à Bab-el-Oued) à La caserne d’OrIeans et l’OAS à Bab-el-Oued.

Ce raisonnement, pour le soviet, s’intègre dans la perspective projetée d’une désintégration du pouvoir établi (souligné par nous, J. M). Le coup est risqué certes, mais I’OAS n’a plus guère Ie choix.

Si elle réussit, elle donne pignon sur rue à l’organisation. Le mouvement pourra faire école. Hussein Dey, (fief de Montagnon) à l’est d’Alger, emboitera le pas tout de suite après.

Un tract de I’OAS indique que Ie 22 mars à 0 h l’Armée française sera considérée comme "une troupe au service d’un gouvernement étranger" (Courriere p.565).

La tragedie

Cette démarche souffre d’une erreur de conception initiale parfaitement rédhibitoire : elle repose sur l’idée que Ie pouvoir de l’État français est, ou va entrer, en voie de désintégration ou de décomposition.

C’est tout à fait inexact.

L’OAS ne peut détruire les forces vives de ses adversaires qui ne sont pas entamées par ses attentats. Ceux-ci sont faits pour impressionner l’opinion, pour la troubler. ils s’inscrivent dans le cadre d’une guerre psychologique.

Pour reprendre l’expression d’un anarchiste fameux, ils relèvent de la "propagande par le fait".

Y voir un acte de guerre au sens classique du terme, susceptible de détruire les forces adverses, est une erreur. Les "barbouzes" du Talion et du MPC ont été mis en déroute, mais cela est peu de choses. Les agences gouvernementales chargées de combattre les clandestins n’ont pas baissé les bras. Elles portent des coups sérieux à l’organisation. A moins de "casser le quadrillage" : but que Ie Général SALAN avait indiqué dans l’instruction 29. Il est aventureux de passer à un stade supérieur. Le faire, c’est supposer résolu un problème qui ne l’est pas.

Loin de s’élever en faveur des clandestins, Ie niveau de la balance s’inverse à leur détriment.

Dans ces conditions, vouloir passer à l’étape suivante, ressemble à une fuite en avant. "C’est un pari risqué", dit Pierre Montagnon ; il a tout à fait raison.

"Degueldre et Achard", ajoute-t-il, "lancent l’idée vite acceptée de déclencher une insurrection à Bab-el-Oued".

De fait, il s’agit d’un soulèvement, inspiré par l’idée que l’on prête à Degueldre de transformer Alger en une ville insurgée à l’image de Budapest.

Selon Montagnon, le général SALAN a donné un " large feu vert " à leur entreprise.

C’est aller un peu vite.

Dans l’instruction 29, le chef de I’OAS donnait le feu vert à des actions d’un type totalement différent : celles qui avaient permis d’éliminer les barbouzes et de saboter un navire à Bone -(OAS parle p. 170).

II est vrai que Montagnon précise que ce large feu vert leur a été donne "verbalement". Il ne s’agit donc plus de l’instruction 29 et les paroles, comme chacun sait, volent.... trop loin parfois.

Il reste que comparer Alger à Budapest est irréaliste. Le romantisme et le symbolisme peuvent avoir une valeur mobilisatrice mais édifier une stratégie sur des mythes est dangereux. Ceux qui défendent I’ Algérie Française, devraient savoir mieux que d’autres que I’ Armée française n’y est pas une armée étrangère sauf pour le FLN. Ouvrir le feu devrait être d’autant plus exclu que cette armée ne lutte pas directement (exception faite de la gendarmerie et des gardes mobiles) contre les commandos clandestins. Mieux encore, nombre d’officiers les tolèrent ou les protègent et parfois, plus directement, les aident.lire le témoignage du Colonel PUIGHT)

Les rapports des militaires français n’ont donc rien à voir avec ceux que les insurgés hongrois avaient avec l’armée soviétique.

Exemple : nombre de patrouilles françaises ignorent les commandos Delta et cheminent délibérément sur des trottoirs opposés quand ils les les croisent.

Alger = Budapest , ce slogan qu’on verra fleurir parfois sur les murs de la capitale, est vide de sens. Bien plus, l’agitation qui va se développer à Bab-elOued va aboutir à une fusillade tragique qui va enfoncer un coin dans les relations entre cette Armée et la population européenne et les détériorer gravement. Ce sera pour les clandestins un énorme revers et pour le pouvoir un grand succès. ++++

Jacques ACHAR, Le chef du secteur Orléans-Marine, qui englobe Bab-el- Oued, n’est pas étranger ni à cette vision fausse ni à la conception même de l’opération du 23 mars. Or, Achard n’est plus, à cette époque-là, en pleine possession de ses moyens ; c’est un homme diminué par ses excès.
A en croire A. Harisson, qui rapporte les propos d’ Antoine Padovani, un ancien des commandos de Bab-el-Oued, ACHARD était "dépassé", [Achard was out of his depth). "Il m’est même arrivé", déclare l’ex-delta, "de ramasser dans la rue un commandant de secteur saoul : Il buvait deux bouteilles de scotch par jour"(Harrison, op. cit., page 127).

Le vendredi 23 dès l’aube, des équipes de I’OAS armées et porteuses de brassards édifient des barrages à l’entrée de Bab-el-Oued. Les soldats français qui tentent de patrouiller sont désarmés, Il n’y a pas de fraternisation avec les commandos, mais les éléments militaires du secteur paraissent vouloir jouer la neutralité. L’Armée Secrète peut penser que son plan est en train de se réaliser,

Du 19 au 26 mars 1962

Hélas ! A dix heures, le premier rouage d’un engrenage tragique se met en place. A cette heure-là, Place Desaix, un camion militaire arrive et dérape sur la chaussée rendue glissante par des jets d’huile.

Les ordres donnés sont clairs : ne pas tirer sur les militaires français, mais les désarmer.

Malheureusement ceux-là, des appelés du train, ne veulent pas donner leurs armes. Parmi eux, un soldat musulman prend peur. (Dans ce quartier ou les attentats systématiques ont fait fuir tous les autochtones, la panique le saisit). Selon Montagnon, il tire sur les commandos Alpha, selon Courrière il n’a fait qu’armer sa MAT.

Mais la réaction des hommes de l’OAS est immédiate. Ils ouvrent le feu ; sept deuxième classe sont tués, onze sont blessés.

Le 23 mars est pour les partisans de l’ Algérie Française une journée fatale : entre eux et l’ Armée, désormais il y a du sang.

A partir de ce moment, le pouvoir allait immédiatement engager une offensive militaire sans précédent dans les rues d’Alger.

La riposte à la tentative d’insurrection fut directement conduite par le commandant en chef, le général AILLERET assisté du général Capodanno.

Tous deux s’étaient installés à la caserne Pellissier, située en face du Lycée Bugeaud, et à l’entrée même du faubourg de Bab-el-Oued.

Gendarmes et CRS intervinrent les premiers. Ils furent reçus, comme if fallait s’y attendre par des tirs. La troupe se joignit au mouvement. Les blindés les précédaient, tirant sur les façades.

Les commandos Alpha et Delta résistèrent depuis les terrasses. A 17 heures, l’ Armée de l’ Air intervint avec des T6 et mitrailla les immeubles.

Les commandos organisèrent leur repli.

Selon Courrière (page 567), une faille apparut dans le dispositif militaire : Bab-el-Oued était rigoureusement encerclé, mais a Saint-Eugène un officier favorable à l’OAS, laissa les commandos s’enfuir en retardant la mise en place de son dispositif. Nous savons aussi que certains militants clandestins s’enfuirent en recourant à des ruses diverses. L’un deux put regagner le centre d’Alger déguisé en malade dans une ambulance.

Bab-el-Oued fut soumis au couvre-feu permanent avec une heure seulement par jour pour faire les courses. L’interdiction de sortir et d’entrer fut appliquée rigoureusement tandis que le quartier était passé "au peigne fin". 3.309 hommes furent placés en "centre de transit", 7.418 appartements visités (Vitalis Cros, page 154). Pendant quatre journées consécutives, le faubourg subit un véritable blocus, tandis que les immeubles connaissaient perquisitions et saccages.

A en croire ce qui se disait parmi les Français d’Algérie, il y avait eu plus de 20 morts et de nombreux blessés civils ; parmi les tués une fillette de 10 ans dont le nom fut souvent cité à Alger à l’époque : Ghislaine-Louise Gres. La population était traumatisée. Quelque chose s’était à jamais brisé. L’OAS avait perdu son prestige. L’impensable devenait réalité : il faudrait partir et en attendant survivre sans espoir de vaincre .

Pour comble, la radio annonça le 25 mars, l’arrestation à Oran du général Jouhaud, ainsi que de ses adjoints , les Commandants Camelin et Guillaume le Commandant de Vaisseaux, celui que Shoenderfer , des années plus tard, rendra célèbre sous son nom de Crabe-Tambour

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