LES MAHONNAIS DE FORT DE L’EAU (CHAPITRE 1)
LES MAHONNAIS DE FORT DE L’EAU - Chapître 1 -
Je dois dire que ces anciens Mahonnais se rapprochaient singulièrement par leurs comportements, leurs coutumes, leurs goûts, leurs modes de vie et l’agencement de leurs maisons, des anglais et des français que des espagnols, pourtant leurs compatriotes, avec lesquels ils sympathisaient beaucoup. Ceci n’étonnera personne au souvenir des dominations anglaise et francaise qui se sont succédées au cours des siècles sur les Iles Baleares, avant qu’elles ne retombent dans la Couronne d’Espagne.
Grands, élancés,blonds aux yeux bleus ou clairs, certains de ces mahonnais rappelaient par leur physique ces anciens vikings qui avaient envahi les Iles Baléares bien des siècles auparavant.
Si j’ai choisi de vous parler des Mahonnais, communauté de colons pionniers dont mes ancêtres de branche paternelle les Pons et les Gornes faisaient partie, c’est pour relater les débuts et l’évolution des Mahonnais, et leur participation laborieuse et active à l’édification de notre ancienne Algérie Française, et ce d’après des recherches que j’ai effectuées dans les récits historiques du Père Roger DUVOLLET, Père Blanc, actuellement âgé de 94 ans, qui avait fait son noviciat à la Maison des Pères Blancs à Maison Carrée et ensuite accompli sa noble mission, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, d’abord dans plusieurs Villes d’Algérie pendant plus de quarante ans, et notamment pendant 11 ans au Sahara, à Hassi Messaoud et à Ourgla, où il
est devenu le Père vénéré et l’ami de tous les pétroliers qui ont découvert et mis en production les immenses gisements de pétroles et de gaz du Sahara alors Français.
DANS LE TOME XIV, faisant partie d’une remarquable et impressionnante série de 24 volumes qu’il a consacré à toutes les Régions et les communautés d’Afrique du Nord qu’il porte dans dans son esprit et dans son coeur, tout un grand chapître est consécré aux Mahonnais de la région de Fort de l’Eau.
Je cite ci-dessous les articles écrits par ce rigoureux et talentueux historien impartial, rédigés après consultation des Archives anciennes, avec quelques coupures qu’il voudra bien me pardonner :
Extaits : " DEPUIS 1835, de nombreux émigrants espagnols originaires de Fort-Mahon, dans l’Ile de Minorque, étaient venus s’installer à Alger et ses environs, à l’instigation du Baron de Vialar."
observation de Lucienne PONS : Ces Mahonnais arrivaient en famille pour la plupart en barques de pêches par leur propres moyens, accostaient à Sidi-Ferruch où ils étaient accueillis par un PONS, qui les avaient précédés et s’occupaient de leurs formalités de recensement auprès de l’Administration Française Coloniale. C’est ainsi que sont arrivés mes ancêtres, les PONS et les GORNES, dont Notamment Jean PONS et sa famille et sa parente Dame Agathe GONALONS veuve d’un GORNES, avec ses sept fils jeunes adolescents et adultes,ayant tous laissé leurs maisons à MAHON et à FERRERIAS, pour venir trouver des terres à cultiver et s’établir en Algérie comme tant d’autres familles des Baléares.
Reprenons la relation du Père Roger DUVOLLET :
"Ces gens pacifiques, probes, sobres et laborieux en même temps qu’excellents maraîchers, en cultivant de nombreux jardins, réalisèrent des économies qui leur permirent d’acquérir des terres dans les environs de Hussein-Dey et de Maison Carrée."
Observation de Lucienne PONS : C’est ainsi que mon ascendant Jean PONS acheta des terres et fonda le village de BOU-HAMEDI en 1830, près de Fort de l’Eau et du Fondouk, avec ses fils et sa parente Dame Agathe GONALON vueve GORNES et ses fils.
Reprenons la relation du Père Roger DUVOLLET :
"Après avoir défriché et mis en valeur ces territoires, ces jardiniers qui commençaient à se trouver très à l’étroit sur leur terre, leur descendance ayant augmenté, demandèrent à l’Administration de leur accorder quelques concessions dans la région de Birkadem. La Commission des Centres préfera les installer sur un territoire que les Mahonnais connaissaient bien pour y avoir dejà travaillé comme fermiers, métayers ou ouvriers agricoles depuis 1836. Cinq cent hectares situés en arrière du Bordj El Kifan furent attribués à la création d’un Village qui prit le nom de Fort de l’Eau. Les premiers colons, uniquement des Mahonnais, comprenaient deux cent trente personnes, groupées en quarante cinq familles. Chacune d’elle reçut sept hectares de terres propres à la culture maraîchère, l’eau était abondante à peu de profondeur dans le sous-sol ; quatre vingts hectares furent réservés pour le communal et soixantes dix autres pour de futures concessions. Tout alors étaient en broussailles, les routes n’étaient encore que des sentiers, et la sécurité aléatoire"
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"Mis en possession de leurs lots en Juin 1849, les concessionnaires Mahonnais commencèrent par assécher les marais dont la proximité inspirait quelque crainte, en même temps qu’il construisait leurs habitations"
Obervation de Lucienne PONS : Dame Agathe GORNES-GONALONS a perdu de nombreux fils dans ce travail de défrîchement de ces marais insalubres par suite du paludisme.
Reprenons la rédaction du Père Roger DUVOLLET :
"Les nouveaux colons" (mahonnais) "construisirent non un gourbi ou une cabane comme le faisaient la plupart des immigrants, mais une véritable maisonnette, la maison mahonnaise, d’apparence proprette, passée au lait de chaux, parfaitement adaptée au climat africain. Bien qu’ils n’y fussent nullement forçés, au lieu d’édifier leur habitation sur leur lot de terrain, ces jardiniers se regroupèrent en un même point, formant ainsi le futur Fort de l’Eau. Comme ils se connaissaient tous parents ou amis, ils pensaient non sans raison, qu’en cette époque où les incursions de pillards étaient encore fréquentes, qu’il était préférable de rester unis que de s’éparpiller dans de petites fermes isolées. En outre les habitants du Centre, groupés autour du Fort, pouvaient trouver refuge dans ses murailles en cas de necessité. On leur avait conseillé de construire leurs maisons en lignes parallèles, afin que les premières rangéees protègent les suivantes contre le vent de la mer ; en outre, un boulevard planté d’une triple rangée d’arbres devait entourer le village ; les alignements du front maritime devait faire office de coupe-feu. Le projet d’installation d’un débarcadère à proximité du Centre fut abandonné quand on se rendit compte du fait que la mer trop forte en ce point de la côte, empêchait la construction d’une jetée."
"Très pieux, les Mahonnais ne manquaient pas d’observer toutes les Fêtes Religieuses, ayant apporté avec eux la foi qui, jointe au puissant esprit de famille qui les animait, leur permettait de lutter contre les dures conditions d’existence. Ils eurent dès 1851 leur Chapelle où officiait l’Abbé Castagnet. Le dernier desservant de cette paroisse exemplaire fût l’Abbé J.P. Toulet. Plus tard une Eglise abrita leur piété qui ne se démentit jamais. Soucieux de s’intégrer rapidement aux pays qui les avait accueillis, dès 1856, ils réclamaient à l’Administration un instituteur pour leurs enfants"
Observation de Lucienne PONS : La première institutrice du Village de BOU HAMEDI, fondé par mes ancêtres PONS et GORNES, fût Antoinette VIDAL cousine des GORNES.
Reprenons le texte du Père Roger DUVOLLET :
"Les concessionnaires ne reçurent aucun subside de l’Administration qui n’eut à exécuter que les travaux publics ordinaires. Chaque attributaire reçut en moyenne un lot à bâtir de 6 ares, un lot de jardin de 20 ares, deux lots de cultures, un de 2 hectares et un de 6 hectares. Cette répartition de la concession se complétait de 45 hectares : 42 ha affectés au communal, O,53 ha destiné au cimetière, et enfin 6,26 ha formant deux lots pour la commune."
"Les Mahonnais défrichèrent rapidement leurs lots, vendant les broussailles sous forme de charbon de bois et de fagots aux boulangers d’Alger, creusaient des puits, installant des norias, élevant pour protéger leurs productions, des haies de roseaux qui donnèrent son aspect caractéristiques à leurs campagnes."
"Ils prirent eux mêmes l’initiative de construire une route qui les relia directement à la Maison Carrée" (centre commercial où se tenait un immense marché de produits agricoles et de bestiaux, proche d’Alger)
"ce qui leur permit d’alimenter Alger en primeurs, et grâce à leurs procédés à la fois pacifiques et énergiques, ils surent se concilier les indigènes et s’en faire des auxiliaires. Ils cultivèrent des légumes et des céréales, et dès l’année suivante, la récolte fût très rémunératrice. A dater de ce moment, l’élevage du bétail, la plus ancienne source de production locale, céda progressivement la place aux cultures, les Mahonnais tirant le meilleur parti de leur concession."
"Le 15 septembre suivant, le Maire de l’Arba, de passage dans le Centre, constatait que les défrîchements marchaient activement et que beaucoup de concessionnaires espéraient qu’ils auraient mis leurs terres en valeur bien avant le terme de trois ans requis par l’Administration. Il estimait que 20 HA. autour de Fort de l’Eau avaient dejà été mis en valeur, 17 puits fonctionnaient et les maisons d’habitation étaient presque toutes achevées. Il ajoutait que l’état sanitaire du Centre était satisfaisant, malgré de fortes chaleurs. L’ensemble des Mahonnais, grâce à leur travail acharné comme leur esprit d’économie, purent se libérer rapidement et, très vite, ils furent mis en possession définitive de leurs terres. Le 11 janvier 1850, le Centre de Fort de l’Eau était créé par Décret du Président de la République Française, le Prince Bonaparte."
" L’année suivante, tout le territoire était défriché et on ne pouvait trouver un seul plamier nain - cette terreur des défrîcheurs - et déjà la prospérité du village était telle que ses habitants n’avaient d’autres soucis que celui d’agrandir leurs concessions."
"Si avant 1830, les terres de ce territoire n’eussent pas trouvé acquéreur à 30 francs l’hectare, moins de cinq ans après, on les payait 600 francs à l’hectare.A noter que la création du Centre de Fort de l’Eau ne coûta que 7.000 francs à l’Administration qui, pour ce genre d’opérations en dépensait habituellement entre 40 et 50.000 francs dans les autres territoires de l’Algérie".
" Les premiers concessionnaires s’appelaient alors : ALZINA (Gabriel et Antoine), SEGUR, BARBER, CARDONA, COLL(Antoine et Jean), CAPO, CAMPS, FORNARIA, FEDELICH, GORNES, GINAR, JUANEDA, LUC, LAURANT, MONTANER, MERCADAL, MARQUES(Mathieu, Joseph, Dominique et Jean), MASCARO(Michel et Jean), OLIVES, PONS(Jean,, Christophe, Laurent, Barthélémy, Thomas, Joseph, Jacques), SERRA, SEGUI(Ramon, Laurent),SINTES(Joseph, Laurent, Pierre, Bernard), SALORT(Jean,Jacques), TUDURI(Antoine, François, Joseph), VILLE. La cinquantaine de familles installées à Fort de l’Eau, comportait 34 couples, 114 enfants, dont 41 filles, 10 célibataires, et 39 domestiques apparentés, et représentait environ 300 individus."
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" Ces laborieux pionniers creusèrent des canaux, irriguèrent leurs terres et se livrèrent à la culture maraîchère d’après les méthodes simples apportées des Baléares. Leur production très appréciée contribua notamment à l’approvisionnement en légumes des marchés d’Alger et de Maison Carrée. Enfin plus tard, lorsque des transports plus rapides s’installèrent entre l’Algérie et la Métropole, ces maraîchers pratiquèrent la culture des primeurs : tomates, poivrons, pommes de terre, artichauts, petit-pois, choux-fleurs.. qu’ils expédièrent en France. Un article de l’Akbar(21.8.1854) nous dépeint leur village et ses habitants à leur début : L’aisance règne dans chaque famille. Elle se traduit par une remarquable propreté au-dehors et en-dedans de chaque habitation. La Mahonnaise, spécialement chargée des soins du ménage et d’élever les enfants, procède chaque samedi à la toilette de la maison, l’extérieur et l’intérieur sont dans les plus petits détails, blanchis à la chaux, les meubles cirés, et les ustensiles de ménage coquettement plaçés dans l’endroit le plus apparent, brillants de propreté, comme des tableaux de Rembrandt"
Observation de Lucienne : Les Mahonnaises étaient aussi de fines brodeuses. Il était coutume pour les jeunes filles de se réunir entre-elles l’après midi sous les vérandas qui se trouvaient bâties à l’arrière des maison et donnant sur les jardins, pour broder toutes ensembles les magnifiques trousseaux des jeunes filles et des jeunes gens de la communauté qui devaient tout prochainement se marier.Les mahonnaises étaient aussi d’excellentes cuisinières et pâtissières familiales( j’ai encore le souvenir des délicieux petits patés et succulentes pâtisseries que nous confectionnaient ma grand-mère Agathe), elles pétrissaient leur pain cuit dans des fours traditionnels installés dans le jardin de chaque maison dans les villages et fermes.
Reprenons l’article de l’Akbar :
"Quand aux Mahonnais, à moins que vous ne passiez par là un Dimanche, ne le cherchez pas dans l’habitation, ni aux alentours, ni encore moins dans un cabaret ***, il est au champs avec tous ses fils, travaillant sous le soleil ardent avec cette assiduité et cette persévérance dans lesquelles il n’y a pas de vrai cultivateur"
*** il n’y avait pas de cabaret à cette époque à Fort de l’eau,ce qui faisait l’admiration de tous, contrairement à d’autres Centres de l’Algérie où l’alcool commençait à se répandre. Les Mahonnais étaient très sobres et nullement pressés d’aller dépenser cet argent durement gagné dans un estaminet ; un cabaret n’ouvrit qu’en 1862 et encore végéta-t-il très longtemps***
Reprenons le texte du Père Roger DUVOLLET :
" Comme partout en Algérie, la vigne fît son apparition dans la région de Fort de l’Eau. Vers 1880, ce territoire en comprenait 75 ha. (puis 153 ha. en 1920), ainsi que 30 ha. de tabac.La prospérité de ces colons fût si rapide que quelques années plus tard, ils réclamaient déjà pour leur fils des terres, dans les villages projetés de Cap Matifou,Aïn-Taya et de Réghaïa. Le 2 juin 1881, ils virent leur circonscription érigée en commune de plein exercice,naissance qui provoqua l’effacement du Centre de la Rassauta qui avait pendant trente ans figuré sur la liste des communes algériennes. En 1891, l’Administration répartissait
les anciens communaux entre les communes de Fort de l’Eau,Maison-Blanche et Rouïba."
"Les Mahonnais étaient bien supérieurs, -
comme maraîchers -
aux Espagnols et aux Italiens. Ils n’employaient en général que la main-d’oeuvre mahonnaise, et les membres d’une même famille presque toujours suffisaient pour cultiver le lot et porter la récolte au marché"
Observation de Lucienne : Tout au début de leurs premières récoltes, alors qu’ils n’avaient pas encore les moyens de s’équiper de chevaux et de voitures, pendant que les hommes travaillaient aux champs, il arrivait souvent que les Mahonnaises portent elle-mêmes les produits au marché pour les vendre. Ma grand-mère qui le tenait de sa propre grand-mère me rapportait que certaines de ces vénérables anciennes Mahonnaises transportaient leurs légumes et fruits à vendre retenus dans leurs larges tabliers, parcourant ainsi plusieurs kilomètres.
FIN DU CHAPITRE 1