Ce n’était pas mon jour

, par  Jean Claude THIODET ✞ , popularité : 8%

14 Mai 1962 :

29 morts 75 blessés, enlévements, plastics, hold-up, . Des commandos F.L.N., armés de pistolets mitrailleurs parcourent la ville d’Alger en voiture en mitraillant tout sur leur passage, faisant 20 morts et 60 blessés. Le FLN présente officiellement cette opération comme une représaille justifiée des exactions de l’O.A.S. Parmi les représailles, cinq européens, précédemment enlevés sont menés enchaînés rue Albert de Mun et fusillés publiquement. Il s’agissait d’une action soigneusement programmée, à l’occasion de l’Aïd El Kebir. 37 cafés devaient être attaqués à la mitraillette, à 18 heures, (l’heure de l’anisette). En fait le bilan fut beaucoup moins lourd que prévu, tant les forces de l’ordre, averties, que les commandos Deltas qui ne laissaient plus entrer de musulmans en ville européenne avaient réagi. De nombreux F.L.N. laissèrent leur vie dans cette attaque.

L’Humanité regrette que l’armée (accusée d’être passive vis à vis de l’O.A.S.) ait retrouvé de son mordant. Le Monde explique qu’il ne s’agissait pas d’une riposte voulue (et contraire aux déclaration d’intention d’Evian) mais d’un débordement d’incontrôlés.

C’était un beau jour de mai. Mes amis A..... déjeunaient chez moi : Annie était la pharmacienne de garde à Saint Eugène. De notre terrasse, la colline de Notre Dame d’Afrique était à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau. Nous prenions notre café au soleil lors que des tirs se firent entendre.

Erick P... raconte : Nous avions une porte métallique qui donnait sur la rue Salvandy, d’ailleurs c’est un de mes principaux souvenirs, en effet un jour nous étions sortis par cette porte pour ramener à pied mon arrière grand-mère chez ma tante qui habitait au bout de la rue Salvandy côté gauche ( à l’opposé de chez vous ). A peine avions-nous fait quelques mètres que mon père a été alerté par le bruit d’une voiture qui descendait de notre Dame d’Afrique, il nous a aussitôt demandé de faire demi tour en courant le plus vite possible ( je me souviens même qu’il a pris la grand-mère dans ses bras pour aller plus vite ) on a eu juste le temps de passer la porte et de se plaquer contre le mur, et la voiture est passée en mitraillant toute la rue. Ce jour là mon père nous a sûrement sauvé la vie, ( le voisin de la maison à gauche de chez nous a eu moins de chance, il est mort ce jour là ). Voilà ce sont des choses qu’on ne peut pas oublier surtout à mon âge ! Ma sœur n’a pas été chez madame Anna ( école privée ) mais à l’école communale, elle croit se souvenir que quelqu’un de notre famille a été employée de maison chez vous ? Comme vous le dites tout ça commence à dater, et pourtant j’y pense souvent, alors que étant plus jeune cela m’était sorti de l’esprit ! Mais j’ai l’impression qu’en prenant de l’âge, cela devient très important pour moi.........Encore merc i ! Amicalement . Erick P...

Nous rendant compte qu’il se passait quelque chose de grave, nous décidons, Jean A. et moi, de conduire Annie à sa pharmacie, et éventuellement d’y rester avec elle pour pouvoir aider si des blessée y étaient amenés.

Nous devions être arrêtés par un service d’ordre une centaine de mètres avant la pharmacie, et un policier escorta Annie jusqu’à son officine.

Il nous restait donc à retourner chez moi par une rue adjacente, et c’est là, alors que nous nous étions arrêtés rue Salvandy pour parler à des gens qui étaient sortis dans la rue pour s’enquérir de ce qui se passait, qu’une voiture débouchant derrière nous en descendant la rue Lavigerie -rue qui menait à Notre Dame d’Afrique- fit irruption, et regardant par la vitre de notre voiture, je vis sortir de la vitre arrière gauche d’une Renault Dauphine le canon d’une arme à feu, et les premières flammes de son tir.

Ce n’était pas mon jour !!

La voiture fut criblée de balles, toutes ses vitres éclatées, des impacts dans le tableau de bord :

Jean A qui était à coté de moi fut blessé ; un homme, debout à coté de la voiture, gravement blessé au bras droit avec fracture de l’humérus ; le fils du policier FABIANI avait plongé derrière la voiture ; les terroristes, qui avaient probablement plus peur que nous, disparurent dans les secondes qui suivirent , tournant à droite dans la rue de l’église pour continuer leur mission.

Il me restait à m’occuper des blessés, appeler l’ambulance des pompiers, rejoindre la clinique Durando à Bab el oued où les nombreux blessés réclamaient les soins des chirurgiens présents ; nous devions être deux ou trois. Vers une heure du matin, les gendarmes mobiles auxquels nous avions eu à faire pendant le bouclage de Bab el Oued nous ramenèrent chez moi à Saint Eugène en auto-mitrailleuse. J’avais donné à Jean A. les soins nécessaires, plâtré son avant-bras droit fracturé et pansé le bout de son nez, écorché par une balle du pistolet mitrailleur. Nous avons cassé la gueule à une bouteille de Cristal Reoderer !!!!

Voila la suite que je vous avais annoncée.


Erick PUIG a écrit :

J’avais 6 ans quand nous sommes partis ( né en mai 1956 ). Mon père travaillait au port d’Alger à la compagnie Schiaffino, nous habitions chez la famille Albou- Soussan ( anisette Phénix ) où mes parents faisaient un peu office de gardiens... Le reste de ma famille habitait Maison-Carrée, Bab el oued, l’Arba, Hussein-Dey... Mes parents sont décédés jeunes tous les deux, j’aurais bien aimé parler de tout cela avec eux, mais voilà il me reste mes souvenirs d’enfance et les photos ! C’est pourquoi c’est avec un grand plaisir que je me connecte sur ce site ou tout autre qui raconte notre histoire... J’apprécie vos interventions !

Suite du 14 mai

Le lendemain, au moment où, vers 9 heures, je partais pour la clinique à Bab el Oued pour voir les blessés que j’avais opérés la veille, j’ai été appelé au téléphone : c’était le "colonel Si AZZEDINE" chef de la willaya d’Alger qui avait organisé l’attaque FLN de la veille contre les européens.

Il m’appelait pour me présenter ses excuses !! On m’avait tiré dessus, disait-il "par erreur" !!!! ... que je ne devais pas partir, mais rester pour reconstruire l’Algérie nouvelle (pas le Beaujolais !!!) avec eux, ETC...

Pour qui nous prenait ce salopard protégé par la nouvelle police d’Alger ?

Réponse à Eric PUIG

Bonjour Eric.

C’est vrai qu’en vieillissant tous ces souvenirs et tout ce qui touche à notre cruelle aventure prennent leur véritable dimension.

Tant que nous étions en activité et que nous avions à nous battre pour nous et nos enfants, nous étions plus sereins. C’est vrai pour la grande majorité d’entre nous.

Vous me parlez de votre voisin qui a été tué. Ce n’était pas ce jour-là. Il s’appelait DRIADI : Je l’ai très bien connu dans les années 45-50. Il était indépendantiste, plutôt Messaliste, et a été assassiné devant la porte de sa maison !! Par qui, je l’ignore ; c’était la guerre !!

L’homme qui a été blessé à côté de la voiture dans laquelle je me trouvais le 14 mai, s’appelait M. SERRA. Il habitait l’immeuble qui faisait suite à la maison de DRIADI et à celle du docteur BLUMENZWEIG.

De l’autre coté de notre voiture, il y avait le fils du policier FABIANI qui a eu le temps de se coucher par terre et n’ a pas été blessé.

Donc, si mes calculs sont exacts, d’après ce que vous m’avez dit, vous avez 53 ans. Vous êtes la génération qui va s’intéresser à notre histoire et prendre le relais de notre propre génération. Vous avez certainement beaucoup de choses à apprendre ! Nous sommes encore quelques uns à savoir beaucoup de choses sur notre histoire et il est très important que nous transmettions cette mémoire.

A votre disposition. Amicalement.

Jean Claude Thiodet

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