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Egypte et Tunisie. Démocraties de papier.
On pouvait s’attendre à une période euphorique en Égypte comme en Tunisie, suite aux révolutions si rapidement et si heureusement survenues. Il n’en est rien, semble-t-il ; le montrent les mouvements sociaux qui se succèdent en Égypte, où chaque groupe ou corporation fait entendre des revendications que le précédent régime étouffait dans l’oeuf, comme en Tunisie, où l’on constate surtout un exode massif en direction de l’Europe.
Les cas des deux pays sont, semble-t-il, bien différents.
En Tunisie, en somme, il n’y a plus d’État et l’on ne sait pas ce que sont exactement devenus les autorités et les ministres qui avaient été mis en place, non sans débats et contestations. Il en résulte une situation d’anarchie, parfois violente, ce qui empêche les flux touristiques qui sont la principale ressource du pays, avec l’harissa du Cap Bon. Le trait le plus marquant est toutefois l’exode, soudain et massif, (5000 personnes en trois jours), en particulier en direction de Lampedusa qui n’est guère qu’à 130 km des côtes tunisiennes et que des milliers de Tunisiens, candidats à l’émigration, tentent de rallier sur des embarcations de fortune (on en a vu à la télévision) ou en ayant recours aux services de passeurs qui ne manquent pas de s’engraisser sur leur dos (1.000 $ par passager). L’aventure n’est pas sans risques, vu les dangers d’une Méditerranée capricieuse, l’état lamentable de certaines embarcations et les risques d’arraisonnement (un garde-côte tunisien a ainsi éperonné une barque causant la mort de plusieurs de ses passagers).
On a peine à croire qu’il s’agisse là de personnes qui s’étaient compromises avec le précédent régime et qui craindraient, de ce fait, des représailles. Il est clair, à les entendre, que la plupart de ces migrants, souvent des chômeurs, se dirigent d’abord vers l’Italie, via Lampedusa, mais qu’ils ont souvent l’intention ensuite d’essayer (ils ne s’en cachent pas et peuvent compter sur la complicité active des autorités italiennes) de gagner la France, où, ils le savent, les conditions d’accueil faites aux migrants peuvent leur sembler infiniment plus favorables.
En Égypte, il en est, semble-t-il, tout autrement, du moins à ce que nous savons de la situation. Si l’on n’avait pas pu suivre, pas à pas, le cours des choses durant la dizaine de jours qui a précédé le départ du président Moubarak, et si les choses se passaient dans un autre pays, d’Afrique ou d’Amérique latine, on dirait assurément qu’on est en présence d’un coup d’Etat militaire. En effet, on constate qu’au Caire, le parlement a été dissous, le gouvernement mis à pied et que tous les pouvoirs ont été mis aux mains d’un comité militaire, ce qu’on appelle, ici ou là, une junte ! Partout ailleurs, on ne manquerait donc pas de parler de putsch, puisque l’idée d’un gouvernement civil provisoire de cinq membres a été rejetée par l’armée. La seule raison pour laquelle on ne parle pas de coup de force militaire est qu’entre le gouvernement Moubarak et l’état actuel des choses, il y a une parfaite continuité. On ne saurait donc pas véritablement parler de coup d’Etat, car il a été permanent depuis un demi-siècle, de Nasser à Moubarak.
On commence à découvrir que les choses ne se sont pas passées tout à fait comme on nous l’a dit ; en particulier, les musées du Caire, dont on disait qu’ils avaient été épargnés, ont été largement pillés et dépouillés de certaines de leurs pièces les plus rares, ce qui éclaire sur les compétences des voleurs en matière d’égyptologie. La situation égyptienne actuelle se caractérise surtout par des mouvements sociaux et des revendications qui, à un moment ou à un autre, devront bien être contrôlés, voire réprimés ; en outre, rien ne garantit vraiment que les réformes annoncées pour les semaines ou les mois qui viennent seront réellement mises en oeuvre.
Je me demande si cet exode massif de Tunisiens vers Lampedusa, l’Italie puis la France, ne se justifie pas du fait d’une très bonne connaissance des lois de notre pays. Certaines associations françaises spécialisées s’emploient, en effet, très activement, à faire connaître, dans le Sud, aux candidats à l’émigration vers la France, toutes les dispositions qui peuvent leur être favorables. Les lois françaises tendent, en effet, à privilégier, dans la régularisation des immigrants, le statut de réfugié politique, même s’il semble un peu difficile à invoquer réellement en la circonstance, en dépit de l’émotion suscitée ici par les événements de Tunisie qui constitue aussi un élément favorable.
Les experts de l’arabité, d’Olivier Roy à Benjamin Stora, s’expriment dans tous les médias et nous expliquent, en long et en large, que les mouvements islamiques ne sont plus qu’ils étaient, qu’ils se sont embourgeoisés et, en somme, qu’ils ont mis la charia à l’heure de la démocratie occidentale.
Je veux bien le croire, même si je ne suis pas tout à fait convaincu, tant par le discours actuel des Frères musulmans d’Égypte que par celui du leader de l’islamisme tunisien, revenu de son exil londonien, ou encore par celui que tient un Tariq Ramadan (héritier du fondateur des Frères musulmans d’Egypte), discours qu’on entend depuis longtemps, et qui a une fâcheuse tendance à être double voire triple, en fonction des auditoires auxquels il s’adresse et des objectifs visés, au moment où même il est tenu.
Je crains un peu que ces vrais savants qui s’expriment dans nos médias n’aient un souci quelque peu excessif, conscient ou non, de combattre ou en tout cas de freiner la tendance à l’islamophobie qui est latente devant les incertitudes de telles situations. Il y a toutefois, hors du Maghreb et de l’Égypte, nombre de situations islamiques, où l’on ne constate pas une telle révision des stratégies si l’on s’en tient d’abord aux politiques mises en oeuvre dans les Etats islamiques ou apparentés, du Pakistan au Nigéria.
Voir en ligne : http://nouvelles-persaneries.blogsp...