Raid des commandos français au Mali : Révélations sur la mort des otages et des gendarmes nigeriens - AQMI

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L’audacieuse opération du 8 janvier 2011a échoué à libérer nos
otages
. Elle démontre pourtant une détermination et des savoir-faire
dont les Français peuvent être fiers. Enquête en France et en
Afrique.

Opération des forces spéciales française au Mali contre les terroristes AQMI
Des explications sur la morts des 2 otages français et des 4 gendarmes nigériens

Le raid du 8 janvier 2011 dans le désert malien a été mené aux limites des
possibilités, au terme d’une audacieuse manœuvre tactique et logistique dont
peu de pays sont capables. Même si elle n’a pas permis de libérer vivants
Antoine de Léocour et Vincent Delory, nos
deux jeunes otages enlevés le 7 janvier à Niamey, elle prouve
aux terroristes et aux États africains la
détermination de la France à agir. Menée en France et en
Afrique, notre enquête démontre aussi les savoir-faire exceptionnels de
l’armée française, malgré la mort malheureuse de Vincent et
Antoine, 25 ans tous les deux, assassinés par leurs ravisseurs.

Le vendredi 7 janvier, les deux jeunes dînent au restaurant
Toulousain
. Ce “maquis” (restaurant avec une terrasse
ouverte) du centre de Niamey est fréquenté par des expatriés. Deux braves
“gardiens” de parking, des badauds et quelques mendiants se tiennent en général
devant le portail. Pas de garde armé…

Les terroristes d’ Al-Qaïda au Maghreb Islamique ont repéré leurs cibles :
Les deux jeunes français, Antoine de Léocour et Vincent Delory !

Les terroristes liés à Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique)
et leurs complices, des “agents dormants” résidant à Niamey, ont repéré leur
cible. Les premiers Blancs qu’ils aperçoivent sont Vincent et Antoine, attablés
près de l’entrée. Ils les saisissent et s’enfuient. Ils ont deux véhicules.
Leurs complices les guident vers la sortie nord de la ville.

Dès que l’alerte est donnée, un 4x4 de la garde nationale nigérienne équipé
d’une mitrailleuse de 12,7 millimètres se lance à leur
poursuite, et les postes de gendarmerie de la région nord sont mobilisés. Cette
réaction rapide de l’état-major nigérien est une bonne surprise. La nasse va se
refermer sur les ravisseurs en moins de six heures, au terme de trois
accrochages.

La première action armée se déroule en pleine nuit, à 20 kilomètres de
Ouallam, au bout du mauvais ruban d’asphalte qui arrive de Niamey, 155
kilomètres plus au sud. La brigade de gendarmerie de Tillabéry, à l’ouest de
Ouallam, a envoyé un Toyota et dix gendarmes sur l’axe probable de fuite vers
le Mali, pour faire jonction avec le 4x4 de la garde nationale.

Par chance, le groupe terroriste a été retardé. Il a mis cinq heures pour
atteindre Ouallam, au lieu des deux heures trente prévues. D’abord, il est
lourdement chargé : outre les cinq ravisseurs et les deux otages, entravés, il
emporte des bidons de carburant supplémentaires et des caisses de munitions,
dont des roquettes de RPG. Ensuite, il a crevé à la sortie de
Niamey. Les terroristes ont aussi pris une piste de brousse, moins rapide que
la route goudronnée.

Sur ce plateau immense et vide, personne ne circule la nuit. Le groupe
Aqmi a vite repéré les phares de ses poursuivants. Ils
s’arrêtent pour monter une embuscade. Dans l’obscurité, la nasse est invisible.
Le contact est rapide, sanglant. Le capitaine commandant la colonne nigérienne
est mortellement blessé. Ses hommes rompent le combat pour l’évacuer vers
Ouallam. Restés seuls, les gendarmes décident de reprendre la poursuite.
Courageux, mais trop faiblement armés.

Les terroristes sont quand même inquiets. Ils savent que leur chef, Mokhtar
Belmokhtar, a posté un véhicule de recueil au sud de Ménaka, la première
bourgade malienne au nord de la frontière. Ils l’appellent au secours : « Par
Allah, mes frères, aidez-nous ! On est en difficulté… » Les deux 4x4 d’Aqmi –
les ravisseurs et leur renfort – se retrouvent au sud de la frontière malienne.
Ils veulent une victoire totale. L’occasion est trop belle de massacrer leurs
poursuivants et de récupérer leur véhicule, les armes et les munitions.
Excellent pour la propagande d’Aqmi !

Une certitude : ils sont bien sur l’axe Ouallam-Ménaka

Les terroristes montent une nouvelle embuscade. Ils
recouvrent leurs deux 4x4 de bâches pour faire croire à un campement de nomades
touaregs. Ils ont l’avantage du terrain et de l’ouverture du feu. Surpris, les
gendarmes sont “explosés” en quelques secondes : un ou deux
morts, quatre blessés, leur véhicule est pris. Les survivants se replient dans
la nuit vers Ouallam. Ils n’ont plus de moyens de transmission, ce qui explique
l’alerte tardive. Lorsque le compte rendu arrive enfin à Niamey, le bilan est
minimisé : il n’indique pas clairement la capture de leur 4x4, ni celle des
quatre gendarmes.

L’état-major nigérien sait que les Français vont lancer une opération. Il
ordonne aussitôt à ses postes du Nord de se replier, pour éviter toute
confusion sur le terrain. Cet accrochage brutal est un revers pour le
Niger.

Le sacrifice de ses gendarmes a pourtant permis de lever une incertitude :
les ravisseurs foncent bien sur l’axe Ouallam-Ménaka, en route vers leur
sanctuaire du nord du Mali.

Le groupe Aqmi a repris la piste en plaçant le 4x4 bleu de la gendarmerie au
milieu du convoi, les quatre gendarmes nigériens blessés
entassés à l’arrière sous la garde d’un terroriste. Ni les Nigériens ni les
Français ne le savent. De leur côté, les ravisseurs ignorent qu’ils sont
maintenant suivis à la trace : parti de Niamey dans la nuit, un bimoteur
Atlantique 2 de l’Aéronavale les a retrouvés et les “marque”…

Le raid des soldats français est enclenché. Le
président Nicolas Sarkozy
et ses chefs militaires savent que les
premières vingt-quatre heures sont décisives pour tenter de sauver les otages.
Le général Benoît Puga, son chef d’état-major particulier, et l’amiral Édouard
Guillaud, le chef d’état-major des armées, sont favorables à une action
immédiate. Ils donnent les éléments de décision au chef de l’État, en voyage
aux Antilles.

Plus discrètement, le général Frédéric Beth, patron du Cos
(Commandement des opérations spéciales),
prépare son ordre
d’opération. Rigoureux, méthodique, ce béret rouge a su réinstaller les
forces spéciales “au premier niveau de la boîte à outils”, en
Afghanistan (notamment sur le dossier des journalistes
otages
) et au Sahel. Beth profite de sa bonne expérience des cabinets
parisiens : il a servi à Matignon. « L’entraînement c’est bien, l’action c’est
mieux, témoigne un officier du Cos. Les forces spéciales sont revenues aux
affaires. On a multiplié les personnels projetés par trois. »

Beth peut compter sur l’appui de Puga. Lui-même ancien patron des
forces spéciales et de la Direction du renseignement
militaire, ce légionnaire parachutiste connaît bien leurs
capacités. Il sait que les unités prépositionnées à Ouagadougou
(Burkina)
depuis l’été dernier sont prêtes.

Mais l’opération est complexe : « Il s’agissait de mettre un ensemble de
combat cohérent en un point inconnu du terrain, à 500 ou 1 000 kilomètres des
bases de départ… » Le COS va réaliser une prouesse tactique et logistique. « 
Audacieux mais jouable », concluent Guillaud et Puga en validant le concept
d’opération.

Le feu vert est donné dans la nuit. La force d’assaut est lancée :
avions Transall (largage et poser d’assaut) de l’escadron
Poitou, Cougar du 4e régiment d’hélicoptères des forces spéciales de Pau
(transport et appui-feu), commandos du 1er régiment de parachutistes
d’infanterie de marine (Bayonne), du 13e régiment de dragons parachutistes
(Souge) et de l’armée de l’air (Dijon), transmetteurs à longue distance… Au
total, de Dakar à Niamey en passant par Ouagadougou et Bamako, près de 200
militaires participent à l’opération, dont la trentaine d’hommes dédiés au raid
contre le groupe Aqmi.

La première difficulté était de localiser le convoi terroriste. Après
l’avoir définitivement “accroché” vers 4 heures du matin, l’Atlantique 2 ne le
lâche plus. Il vole à distance de sécurité – entre 8 et 10 kilomètres –,
inaudible pour les terroristes. Autre souci : le moment et le lieu de
l’intervention. L’analyse du terrain montre qu’il faut intervenir dans la
région de Ménaka, pour intercepter les ravisseurs avant qu’ils ne filent vers
le massif des Ifoghas, où sont déjà retenus les cinq otages enlevés à
Arlit
le 16 septembre. Leur recherche serait beaucoup plus difficile.
L’élongation du dispositif français deviendrait “très limite”.

L’explication sur la mort des gendarmes nigériens

Des commandos sont largués près de Ménaka. Ce cordon de sécurité doit
“couvrir” vers le nord. Mission : détecter et interdire tout déboulé de
renforts terroristes. Il doit aussi intercepter les ravisseurs venus du sud, au
cas où ils échapperaient au raid des trois Cougar engagés. Les
hélicoptères ont l’ordre de neutraliser le convoi terroriste.
Les tireurs de précision embossés aux portières sont entraînés à le faire, en
tirant dans le moteur de véhicules en marche. Ils l’ont fait avec succès, à
plusieurs reprises, contre les pirates somaliens ou les
vedettes rapides des trafiquants de drogue.

En approche rapide à très basse altitude au-dessus de l’immensité plate, les
Cougar croient surprendre la colonne Aqmi, à une vingtaine de
kilomètres en territoire malien. Pas de chance : les terroristes sont à
l’arrêt, comme le confirmeront deux gendarmes nigériens rescapés. Des complices
locaux les ont sans doute informés de la présence d’hélicos ou d’avions dans la
zone de Ménaka…

Quand les Cougar déboulent, ils tombent sur une position défensive déployée
sous une maigre végétation. Dans la poussière et le fracas des armes, les
commandos français distinguent les trois véhicules arrêtés, des hommes armés à
bord de chacun d’eux. Les terroristes font une “boule de feu”, y compris au
lance-roquettes RPG. Deux hélicoptères sont touchés, dont un sérieusement. Deux
Français sont blessés, dont un pilote.

La riposte est instantanée mais d’une précision extrême. Deux
terroristes veulent s’enfuir à pied, emmenant un otage. C’est
Antoine. Cernés, ils l’abattent, “à bout touchant” derrière la tête, après
l’incantation rituelle – “Allahu akbar…”–, avant de mourir à
leur tour. Resté dans le pick-up, Vincent est aussitôt mitraillé par le
terroriste qui le gardait.

Le 4x4 bourré de carburant et de munitions s’enflamme, puis un autre.
Vincent est-il déjà mort ? Le rapport d’autopsie – non encore rendu public – ne
l’établit pas clairement. Il parle de « cinq plaies par armes à feu et divers
éclats » et de « brûlures extrêmement importantes » sur le bas du corps. Une
certitude : les balles sont bien du 7,62, tirées par une
kalachnikov
. Nos otages viennent d’être assassinés.

Les corps de Vincent et d’Antoine seront aussitôt rapatriés à Niamey en
Transall, avec deux gendarmes nigériens blessés. Une autre rotation ramènera
les corps de deux gendarmes et de deux terroristes tués. Les autres ont été
carbonisés dans le convoi. Quelques-uns auraient pu s’enfuir.

Comment sont morts les gendarmes nigériens ? « Ils ont été sacrifiés »,
entend-on à Niamey, où on a parlé de « bavure ». Il n’en est rien. Faute de
renseignements précis, les commandos français ignoraient leur présence. Ces
gendarmes n’étaient pas entravés, d’où la confusion avec les terroristes. Les
malheureux sont morts dans l’assaut, sans doute en cherchant à s’échapper du
4x4.

Pour couper court à toute polémique, le ministre de la Défense,
Alain Juppé
recevait jeudi dernier Ousmane Cissé, le ministre nigérien
de l’Intérieur, saluant « le courage des unités nigériennes engagées dans la
poursuite des terroristes ». Juppé et Cissé soulignaient aussi « la convergence
de vue complète des deux gouvernements dans la lutte antiterroriste au
Sahel
 ». Ils affichaient cette double priorité commune : réorganiser
la sécurité des expatriés français et reprendre le contrôle de l’ensemble du
territoire.

Source : Frédéric Pons, Le Monde.fr

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Voir en ligne : http://infos.fncv.com/post/2011/01/...

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