Partie 5 : L’HALLALI !...

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[(

L’affaire SI SALAH

)]

( cinquième et dernier extrait de l’oeuvre de Yves Courrière
"La guerre d’Algérie" tome IV - Les feux du désespoir- Fayard Editeur 1971)

Léger avait transmis au général de Camas, commandant la Kabylie, l’ordre de prévenir les deux chefs de poste et de stopper toutes les opérations de réserve générale et de secteur entre Tizi-Ouzou et le massif de l’Akfadou.

Et cela sans lui en expliquer les motifs.

Il fallait beaucoup de diplomatie au simple capitaine du B.E.L., dans le secret des dieux, pour faire avaler pareilles instructions à un général de division laissé dans l’ignorance !

Mais l’auréole du B.E.L. la réputation "moustache" de ses membres, faisaient admettre bien des choses. Même les ordres d’un petit capitaine à un grand général !

Pendant une dizaine de jours Léger suivit sur la carte d’Etat-Major la progression de Si Salah. Chaque matin lui apportait sa moisson de renseignements provenant de ralliés ou d’agents travaillant au sein de la population. Personne ne savait qu’il s’agissait du chef de la willaya 4 mais chaque information signalait la présence d’un groupe de cinq hommes qui cheminaient en direction de l’Akfadou.

Si Salah était accompagné de Halim qui avait participé aux premiers contacts du capitaine Saïd Mouhouiddir et de deux gardes du corps.

A la fin du mois de juin Si Salah était arrivé. A nouveau il fallait attendre.

De combien de temps aurait-il besoin pour convaincre le vieux chef kabyle ?

La bombe éclata dans les premiers jours de juillet.

Par hasard une patrouille de troupes de secteur qui n’avaient pas été prévenues de suspendre les accrochages et les embuscades- on se souvient que les chefs de la willaya 4 avaient uniquement demandé l’arrêt des opérations de réserves générales- avait tué un agent de liaison du comité de willaya.

Selon le processus habituel tous les papiers récupérés furent confiés au 2eme Bureau qui les transmit au B.E.L.

Heux découvrit alors une "mise en garde" de Si Mohamed à tous les chefs de zone. Le capitaine n’en crut pas ses yeux.

Le chef militaire de la willaya 4 avait "tourné sa veste" !

<< Si salah et Si Lakhdar, ainsi que les commandants Halim et Abdelhatif sont des traîtres qui ont pactisé avec l’ennemi, écrivait Si Mohamed.
Salah et Lakhdar se sont même rendus à I’Elysée pour négocier la reddition des vaillantes troupes de l’A.L.N.! En conséqrrence et sans attendre le jugement du tribunal qui décidera du sort de ces traîtres, ils sont destitués. Le Gouvernement provisoire lui-même nommera le remplaçant de Si Salah dont, à partir de cette heure, je prends provisoirement les pouvoirs. >

Au B.E.L. ce fut le branle-bas de combat. Il fallait à tout prix éliminer Si Mohamed qui s’était bien gardé de dire que lui aussi s’était rendu à l’Elysée, et sauver ses compagnons.

Léger eut la confirmation de la nouvelle par le pompiste d’Azazga qui venait de recevoir une lettre de Si Mohamed à Mohand Ou El Hadj.

La "boîte aux lettres" signalée par le fils du Kabyle travaillait désormais pour Léger à qui il fournissait copie du courrier échangé entre les willayas 3 et 4 ! Si Mohamed expliquait à Mohand Ou El Hadj qu’il avait fait fusiller Si Lakhdar
et Abdelhatif et qu’il lui conseillait d’en faire autant avec Si Salah et Halim !

<< Ce salaud a trahi tout le monde > pensa Léger.

Il était déjà trop tard pour Si Lakhdar et Abdelhatif. Ils étaienr les deux premières victimes du retournement de Si Mohamed.

Pour les gens du B.E.L. - persuadés de la promesse faite par de Gaulle de ne pas traiter avec le G.P.R.A. - cela ne faisait aucun doute, Si Mohamed, le plus farouche et le plus réticent des émissaires F.L.N., s’était senti trompé par le discours du Président de la République. Et il avait pris tout le monde de vitesse en faisant arrêter Lakhdar et Abdelhatif et en mettant en garde
Mohand Ou El Hadj.

La réalité, était tout autre. Si le résultat était le même la motivation était différente.

Au cours du conseil de willaya tenu au retour de l’Elysée Si Salah, Si Lakhdar et Si Mohamed avaient mis la plupart des chefs de zone au courant des contacts qu’ils allaient prendre avec les willayas voisines sans leur donner le détail de leurs conversations avec de Gaulle. Si Salah était chargé de ceux avec la Kabylie, Si Mohamed de la willaya 5 (oranie) et Abdelhatif de la willaya 6 (sud).

Or deux capitaines de la willaya 4, Berroughia et Lakhdar Bouraghra, avaient changé d’avis. Ils n’étaient plus d’accord avec la Paix des Braves. Ils voulaient poursuivre le combat en accord avec le G.P.R.A. et le nouvel Etat-Major de Boumediene.

++++

Après le départ de Si Salah, Berroughia et Lakhdar Bouraghra s’étaient entendus avec leurs hommes. Il s’agissait de faire revenir Si Salah ou Si Mohamed sur leur projet et avec leur aide de liquider le reste du conseil de la willaya.

<< Il faut arrêter cette mascarade >, avaient décidé les deux capitaines.

Si Salah étant en route pour la Kabylie, c’est avec Si Mohamed qu’ils avaient tenté l’épreuve de force.

Bouraghra avait proposé à Si Mohamed un rendez-vous avec des éléments de la willaya 5. Sans méfiance celui-ci avait accepté.

Cela faisait partie de sa mission. Mais au rendez-vous, dans la forêt, il n’avait trouvé que le capitaine Berroughia flanqué de son acolyte Bouraghra qui avait braqué un pistolet sur le ventre de l’adjoint de Si Salah.

<< Tu es notre prisonnier, raconte-nous l’Elysée.>

Et Si Mohamed terrorisé avait tout raconté.

<< Eh bien tout cela est clair, avait dit le capitaine. Ce ne peut pas continuer comme cela. Il n’y a qu’une chose à faire : casser cette négociation. Alors choisis. Ou tu reprends la lutte avec nous jusqu’à l’Indépendance et on te considère comme le chef ou on te liquide. >

Si Mohamed n’avait pas hésité.

Sur le Coran il avait juré fidélité à la Révolution, à la Direction Extérieure et avait pris sa première décision de "chef" de la willaya 4 : fusiller Si Lakhdar, Abdelhatif et quelques cadres tout prêts à accepter la Paix des Braves.

Quant à Si Salah on le jugerait à Tunis.

<< C’est un combattant du 1er Novembre, avait dit sentencieusement
Bouraghra, et un homme brave. On ne peut le fusiller comme cela. >

Faltait-il encore le prendre !

C’est ainsi que Si Mohamed avait écrit à Mohand Ou El Hadj.

A la réception de la lettre le vieux chef kabyle ne prit aucune décision.
Il ne souffla mot du message à Si Salah et le laissa pendant plusieurs jours développer ses arguments en faveur de la Paix des Braves.

Mohand Ou El Hadj n’était pas très séduit - contrairement à ce que Si Salah avait affirmé - par cette formule.

Mais beaucoup de ses chefs de région y souscrivaient. Et le vieil homme, s’il croyait profondément au combat de libération nationale pour lequel il avait sacrifié à son âge une vie calme, confortable et douillette d’artisan prospère, était las des luttes fratricides, des purges de toutes sortes dont Mayouz, Amirouche et ce Si Mohamed avaient ensanglanté la Kabylie et l’Algérois.

Il résolut donc d’attendre. Si Mohamed n’avait pas encore gagné dans
sa willaya. Peut-être n’aurait-il pas le dernier mot avec ses troupes ?

Ce dernier mot, le colonel Jaquin était bien décidé à l’avoir.

Une seule solution s’imposait : éliminer Si Mohamed. Et pour réussir faire vite. Le plan fut soigneusement étudié par le capitaine Léger.

Cette "élimination" posait en effet des problèmes graves.

Elle ne devait pas apparaître comme une exécution décidée par les Français mais comme un sursaut d’énergie des hommes de la willaya 4 qui, outrés du changement d’attitude de leur nouveau chef, l’abattraient pour pouvoir profiter de la Paix des Braves !

L’idée était subtile. On ferait transmettre par le vieux cheikh à Médéa une lettre des émissaires de Paris donnant rendez-vous à Si Mohamed. Comme si rien ne s’était passé. Si le chef algérois acceptait, le cheikh et le colonel Jaquin viendraient le chercher au point de rencontre habituel en dehors de Médéa. Jaquin seul dans sa camionnette ouvrirait la route et le cheikh au volant d’un second véhicule suivrait à quelques dizaines de mètres.

En chemin les deux voitures tomberaient dans une embuscade tendue par
des djounoud de la willaya 4 en uniforme - en réalité des musulmans
du capitaine Lêger déguisés en fellaghas.

La camionnette de Jaquin passerait après avoir essuyé quelques coups de feu dans les ailes pour la vraisemblance mais la voiture du cheikh serait arrêtée.

Le cadi "VERRAIT ET ENTENDRAIT" les hommes de la willaya 4 accuser Si Mohamed de traîtrise au nom des combattants qui voulaient la Paix avant de s’évanouir savamment matraqué.

On ferait alors disparaître Si Mohamed. Et à son réveil le vieux cheikh se ferait une joie de raconter alentour comment le chef félon avait été liquidé par les hommes de sa propre willaya. Il ne resterait à Si Salah qu’à revenir et reprendre la situation en main avec l’aide éventuelle de l’armée !

La "gamberge" du B.E.L. êtait séduisante. Mais il fallait la mettre à exécution avant que Si Mohamed apprenne l’interception de son agent de liaison. L’affaire était trop importante pour que Jaquin et Léger se permettent de la monter seuls. Si Mohamed avait rencontré le général de Gaulle, il fallait donc pour l’éliminer que celui-ci donne son feu vert.

Jaquin sauta dans un avion... et attendit quinze jours la réponse.

Cette attente allait confirmer dans l’esprit de certains militaires le double jeu du Président de la République. Pour eux cette fois c’était clair, il ne voulait pas que l’affaire Si Salah aboutisse !

Lorsque le patron du B.E.L. obtint enfin l’autorisation du Général il était trop tard.

Si Mohamed ne vint pas au rendez-vous.

Jaquin et Léger tentèrent désespérément de sauver au moins la peau de Si Salah. Ils déclenchèrent pour s’emparer de Si Mohamed une opération de réserve générale dans la willaya 4, rompant ainsi le cessez-le-feu partiel promis par de Gaulle.

Et ce fut la plus atroce confusion.

Des chefs de région qui n’avaient pas été touchés par Si Mohamed ou qui, malgré ses menaces, restaient fidèles à Si Salah, se rendirent sans combat aux unités françaises. Pour ces "prisonniers" qui croyaient toujours à Si Salah et à la Paix des Braves la fin des combats dans l’honneur et la dignité était arrivée.

++++

Selon le plan prévu ... Ils n’avaient plus qu’à attendre l’autodétermination dans leurs villages. Ils essayaient de faire comprendre leur situation - à grand renfort de sourires - aux officiers de renseignements qui les interrogeaient.

Le malheur était que ceux-ci, lancés dans l’opération, ne savaient rien - et pour cause - des négociations ouvertes entre la willaya 4 et l’Eiysée !

Et lorsque les officiers de l’A.L.N. leur disaient en clignant de l’æil :

<< Mais ne crie pas si fort, tu sais bien qu’on est d’accord ! >
<< D’accord avec quoi ? gueulaient-ils. Tu me prends pour un con. >

Et les tartes pleuvaient.

Devant ce gâchis désespérant il n’y avait plus rien à faire. Car bien sûr on n’avait pas "coxé" Si Mohamed.

Heux ne put qu’arracher aux pattes des "O.R." (officiers de renseignements) ahuris et furieux les chefs F.L.N. trop confiants ... et les envoyer finir la guerre dans des "camps d’hébergement", écumants de rage et pleins de rancune contre ces "roumis" qui - tout le leur prouvait - les avaient trompés dès le départ.

Léger attendit vainement que Si Salah contactât l’un des deux postes qu’on lui avait signalés.

Il savait, grâce à la boîte postale et à quelques informateurs, que Mohand Ou El Hadj lui avait ouvert les yeux.

<< Je ne suis pas contre ton projet, avait dit le vieux chef, mais pour tout dire je ne suis pas chaud. Je ne marcherai que si tout le monde est d’accord. Et je sais que chez toi tout ne va pas pour le mieux. >

Il lui avait alors montré la lettre de Si Mohamed. Si Salah furieux avait décidé de partir pour reprendre en main sa willaya et éliminer Si Mohamed.

Malheureusement, présumant de ses forces, il négligea de passer d’abord par les postes indiqués par le colonel Jaquin. Inquiet de ce silence et décidé coûte que coûte à sauver la vie de Si Salah, Léger fit passer des messages sur les antennes de Radio Alger racontant la révolte de Si Mohamed dans la willaya
4 et l’exécution de Lakhdar et d’Abdelhatif.

S’il possédait un transistor Si Salah serait ainsi prévenu du sort qui l’attendait.

Si Salah et Halim furent arrêtés par les hommes de Si Mohamed
à Palestro en septembre 1960.

Une vaste purge "assainit" la willaya déjà exsangue.

Halim fut exécuté immédiatement.

Si Mohamed qui voulait jouer la carte de l’Etat-Major Boumediene remit Si Salah à Mohand Ou El Hadj avec mission de le faire parvenir à Tunis.

<< Je ne suis que commandant et arabe, écrivit-il au chef de la willaya 3, tu es colonel et kabyle. on ne pourra pas m’accuser d’avoir voulu le faire disparaître pour des raisons personnelles >.

Mohand Ou El Hadj fit libérer Si Salah et le convainquit de se soumettre au jugement de Tunis. D’après Saada, l’un des cadres de la willaya kabyle, il était libre de ses mouvements, et conservait une arme. Il aurait donc pu s’échapper mais son moral semblait très atteint. Il était abattu.

<< Conscient de son erreur > , me diront Azzedine et Saada.

Quoi qu’il en soit Si Salah ne devait pas rejoindre Tunis vivant. Il fut tué au cours d’un accrochage le 20 juillet 1961 dans le Djurdjura, aux environs de Bouira, par un détachement du 22 ème bataillon de chasseurs alpins, en même temps que quelques cadres de la willaya.

La mort du visiteur de l’Elysée allait encore ajouter au mystère de cette étrange affaire.

Des officiers du B.E.L. reçurent dans les bureaux de l’Etat-Major Inter-armée le rapport suviant :

<< Si Salah, enchaîné, a été blessé par un détachement du 22" alpin. Il est encore en vie. >

Quarante-huit heures après parvenait ce rectificatif :

<< Si Salah était libre et armé. Il a farouchèment résisté aux côtés de son escorte. Blessé grièvement il a succombé à ses blessures>.

<< Pourquoi cette contradiction ? Parce qu’on a voulu éliminer
tous les témoins de l’affaire. > Telle sera la thèse de certains miiitaires
qui souligneront le remplacement du général de Camas en Kabylie par le général Simon, "une créature de de Gaulle" >...

Thèse qu’ils confirmeront - et il faut bien avouer que la coincidence
est troublante - par le récit de la mort de Si Mohamed.

Le 6 août 1961 un renseignement de valeur A.1 signale la présence de Si Mohamed dans une maison des faubourgs de Blida. Au lieu d’envoyer une unité en poste à Blida le commandant en chef fait venir spécialement de Corse un commando du mystérieux 11 ème Choc - régiment action des services spéciaux -, commandé par le capitaine Prévot, ancien d’Indo et parfois chargé de missions à l’étranger dans le cadre du SDECE.

Le commando est mené à pied d’æuvre à Blida. Le combat est d’une rare violence. Si Mohamed et son escorte se battent pied à pied. Face à la cache le capitaine Prévot est grièvement blessé. Et Si Mohamed est tué d’une rafale de mitraillette.

L’affaire Si Salah venait de trouver un épilogue sanglant.

<< Prévot était là pour exécuter un ordre : descendre Si Mohamed, dernier témoin de la rencontre de l’Elysée. >

D’ailleurs de Gaulle n’avait-il pas dit :
< Personne ne parlera de l’affaire Si Salah. Et celui qui en parlera n’en parlera pas longtemps >, affirmeront les mêmes militaires.

Mais nous serons en 1961.

Le putsch aura passé, divisant l’Armée. Challe et Zeller seront en prison et -alors qu’ils risquent leurs têtes - seront d’accord pour que l’affaire Si Salah ne soit pas évoquée, même à huis-clos. D’autres voudront se servir de cette sombre histoire racontée ici pour la première fois dans ses détails pour justifier leur action au sein du putsch et de l’O.A.S.

Mais quelle sera l’importance de cet épisode, aussi mystérieux soit-il, face à la guerre civile qui ensanglantera l’Algérie ?

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