Merci au film Hors-la-Loi, Merci à Rachid Bouchareb ! L’ongle du petit doigt de la Vérité serait-il en train de sortir du puits ?
Je ne ferai aucun commentaire sur le film Hors-la-Loi, pour la bonne raison que je ne l’ai pas vu, mais je vais vous dire quand même tout le bien que je pense de son réalisateur Rachid Bouchareb ! Parce que figurez-vous que j’en pense le plus grand bien, de Rachid ! Oui, oui, oui, et je suis sérieux…
C’est que je ne sais pas si vous avez bien mesuré la chose, amis Pieds-Noirs, mais c’est grâce à Hors-la-loi et à Rachid Bouchareb qu’on commence à donner la parole, non pas à des Pieds-Noirs comme vous et moi, il ne faudrait tout de même pas exagérer dans l’audace, mais à ce qu’on appelle en jargon marketing des « leaders d’opinion », c’est-à-dire des journalistes, des sociologues, des historiens, des élus etc… dont on est certain qu’ils savent ce que le « vulgum pecus » (nous, pour traduire du latin en français populaire) pense ou ressent.
En l’occurrence, des leaders d’opinion qui sont donc sensés tout savoir de ce que pensent et diraient les Pieds-Noirs de base (si on les interrogeait) ont pris la parole pour révéler au monde entier que les Pieds-Noirs ont raison de se sentir blessés quand près de cinquante ans après leur spoliation et leur exode, on continue encore à leur pisser sur les godasses.
Il semblerait donc que le film Hors-la-Loi, qui n’est pas un film anti-France - la main sur le cœur, il nous l’a dit, Rachid, non non, non, à preuve, on y voit même des fellaghas cruels (Mon Dieu, quelle horreur !) -, ouvre, même si ce n’était pas forcément le but recherché par son auteur, une petite porte vers la vérité à laquelle nous, les Pieds-Noirs, aspirons bien plus fort qu’à des indemnités ou à un statut de victime qui, personnellement, me sort par les trous de nez.
Alors, ne croyez-vous pas que rien que ça, ça mérite un grand merci à Monsieur Bouchareb ?
Tenez, pour vous dire à quel point je lui suis reconnaissant, c’est grâce à lui que l’on a pu voir à « C dans l’Air », dans une émission consacrée au film - j’ai du me pincer pour vérifier que je ne m’étais pas endormi devant la télé-, en plus de l’inévitable Benjamin Stora, vous savez, l’historien officiel et grassement rémunéré de la guerre d’Algérie version « bonne-conscience-les-bons arabes-opprimés-victorieux-des-méchants-colonialistes-oppresseurs », un professeur de Sciences Politiques, Raphaël Draï, qui ne semblait pas du tout touché par la grâce de la repentance, et qui au contraire racontait avec émotion son enfance de petit juif de Constantine, et le sort inique fait aux Pieds-Noirs, non pas tant par les Arabes, que par leurs propres compatriotes. C’est sorti, et ça n’a pas été censuré, et les autres participants au débat opinaient du chef à ses propos. Ouaou !
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Alors c’est vrai, je n’ai pas vu Hors-la-Loi. Mais les massacres de Sétif, qui ouvrent le film, je peux vous en parler un chouia. Parce qu’il se trouve que je me suis un peu intéressé à la question, avec mes moyens certes modestes, mais ma puissance bien connue d’analyse, qui compense. Et on va parler chiffres, parce que les chiffres, c’est peut-être gênant, mais c’est incontestable.
Aujourd’hui, le chiffre des victimes indigènes de Sétif et de Guelma, sanctuarisé par la commission Algérienne d’homologation des crimes contre l’humanité (un organisme tout ce qu’il y a d’indépendant, le même qui a décompté un million et demi de martyrs pendant la guerre d’Algérie, c’est vous dire sa compétence) est de 45.000 victimes Arabes, pas moins, tuées par les forces de l’ordre et les milices de colons.
En ce qui concerne les milices de colons, nul historien un tant soit peu sérieux ne devrait ignorer que le 8 mai 1945, la plupart des Pieds-Noirs en âge de porter les armes, donc de tuer si l’occasion se présentait d’innocents Arabes, se trouvaient sur les lieux où la guerre se passait, c’est-à-dire en Métropole et en Allemagne. Oui, parce qu’il faut vous préciser que ces couillons de Pieds-Noirs, au lieu de rester bien pépères en Algérie pendant que la plupart des Français de France attendaient bien pépères que les Américains les libèrent, ils s’étaient tous engagés comme un seul homme pour sauver la mère Patrie (statistiques officielles : plus de 70% des Pieds-Noirs en âge de faire la guerre ont participé aux combats, ce qui équivaut à un carton plein – pour mémoire, moins de 20% des « indigènes » dont Bouchareb a montré l’incontestable sacrifice, en ont fait autant ). Les miliciens ne pouvaient donc être que soit des adolescents (j’exclus par pudeur les enfants, mais chacun sait combien les enfants de colons peuvent être cruels), soit des vieillards, ou si vous préférez des hommes un peu usés sur les bords.
Quant aux forces de l’ordre maintenues en Algérie, elles étaient de 40.000 soldats et policiers pour tout le pays. Les troupes engagées dans la région de Sétif puis de Guelma n’ont jamais pu excéder 10.000 hommes, miliciens compris, avec des moyens relativement limités, n’oubliez pas que c’était la guerre, et donc la pénurie, pas d’avions, et encore moins des navires de guerre – on est même allé jusqu’à raconter qu’on avait bombardé les mechtas depuis la mer !
Ceci posé, Lapalisse l’aurait fait certainement remarquer, pour tuer 45.000 personnes, il faut déjà en trouver au moins 45.000 vivantes. Si vous avez une petite idée de la région de Sétif ou de Guelma, vous savez que ça n’a pas grand-chose à voir avec le ghetto de Varsovie. Les populations Arabes étaient dispersées dans un terrain montagneux, d’accès difficile. Les mouvements de troupes ne pouvaient pas se faire dans le secret et la discrétion. Ce massacre de 45.000 personnes n’est donc intellectuellement possible que si l’on considère que les Arabes de la région étaient stupides au point d’attendre comme des moutons dans leurs mechtas qu’on vienne les exterminer, tout en sachant très bien ce qui allait leur arriver. Ce n’est plus un assassinat, c’est un suicide collectif…
Admettons pourtant l’improbable, et retenons quand même les chiffres imposés : pour que la répression de Sétif et de Guelma ait fait 45.000 morts, nous devons convenir que chaque homme engagé dans la « pacification » de la région, soldat, policier, milicien adolescent ou vieillard cacochyme, a tué de sang froid en moyenne quatre personnes et demie, et ce dans des conditions particulièrement difficiles. Ou autrement dit dix-mille salauds sanguinaires se seraient donné le mot pour exterminer une population qui aurait accepté passivement son propre holocauste.
Si mon expérience des ressorts humains m’autorise à émettre de gros doutes, n’en déduisez pas pour autant que j’éprouve la moindre sympathie ou complaisance pour les massacreurs de Sétif ou de Guelma, puisqu’il y en a eu, même si ce n’a pas été dans des proportions aussi extrêmes. Pour moi, la mort d’un innocent ne sera jamais justifiée par la mort d’un autre innocent.
Mais comme il semble que les dirigeants Algériens ne parviennent à maintenir la population de leur pays dans la misère et l’obscurantisme qu’en dénonçant périodiquement des génocides ou des crimes contre l’humanité dont elle aurait été la victime, je leur suggère un arrangement qui pourrait contenter tout le monde : plutôt que d’inventer des morts qui n’ont jamais existé, et qui risqueraient de hanter leurs nuits d’insomnie, pourquoi n’exhiberaient-ils pas des décédés bien véritables, eux, et dont nul n’ira leur contester la propriété : les cent mille morts du GIA, des femmes, des enfants, des vieillards, violés, éventrés, égorgés, vous ne pensez-pas que ça ferait un beau crime contre l’humanité ? Et c’est plus du double des quarante-cinq mille morts de Sétif…