Dernière lettre d’un citoyen algérien au Président Boutéflika
Je vous adresse ci-après une lettre que j’adresse au Président Abdelaziz BOUTEFLIKA, en vous priant de bien vouloir avoir l’amabilité de l’étudier et d’examiner la possibilité de sa publication. Je vous remercie et vous transmets mes voeux nombreux et chaleureux.
BENATTOU KADDOUR A. - Citoyen
Lettre d’un citoyen algérien au Président de la République, Abdelaziz Boutéflika
Monsieur le Président,
Vous avez certainement remarqué que le gouvernement se met maintenant au
travail seulement depuis le dernier conseil des ministres du 3 février.
Pourquoi ne l’a-t-il pas fait avant ? Vous avez également remarqué
qu’en ces temps de crise, le citoyen regarde, impuissant et fragilisé,
vers d’autres cieux et d’autres horizons et attend avec impatience que
sa situation s’améliore.
TÉLESCOPAGES PERMANENTS ET SPECULTATION A CIEL OUVERT
Vous avez également relevé qu’au lieu d’imaginer de nouvelles
formules pour répondre aux attentes des jeunes, certains de nos
responsables continuent à se « télescoper » et « s’entredéchirer
», par presse interposée, et ce dans la seule perspective des prochaines
échéances électorales de 2012 et 2014.
L’embellie financière n’a pas amélioré les conditions de vie des
citoyens, mais a permis de remplir les poches de ceux qui ont créé « une
planète des conteneurs » (les importateurs et parmi lesquels des
ministres), et des spéculateurs "à ciel ouvert" qui ont failli mettre
dernièrement le pays à feu et à sang, et qui ont toujours la force,
grâce au silence complice d’une administration sclérosée et corrompue,
de réduire à néant les espoirs nés du retour de la paix et la
stabilité dans le pays.
LES PARTIS DE LA « SAINTE ALLIANCE » : UNE COQUILLE VIDE
Dans un langage que les algériens ne comprennent plus ou ne comprennent
pas encore, les partis de la « Sainte Alliance » (FLN, RND, HMS), sensés
vous soutenir, transforment des échecs en quelques tournures de phrases en
succès éclatants. Ces partis qui semblent appartenir à une autre
planète, n’ont pas été capables de vous alerter sur la détérioration
des conditions de vie des citoyens et de vous informer sur les risques
d’une forte augmentation des prix des produits de large consommation.
Le gouvernement que vous avez nommé et au sein duquel des ministres
siègent depuis près de 30 ans, s’enferme dans des bureaux luxueux et
théorise sur l’économie, les banques, le chèque, l’investissement,
le logement, l’importation, l’éducation, les sciences, la
quincaillerie, l’alimentation générale et bien sûr les "légumes secs"
(propos du premier ministre aux journalistes), sans être capable
d’apporter des réponses concrètes aux émeutes et manifestations de
colère des citoyens, à ceux qui s’immolent, se jettent en mer ou se
transforment en proie faciles de groupes mafieux ou terroristes.
EMPLOIS PERMANENTS : SOUCI PERMANENT DE NOS MINISTRES ?
Vous aviez, en 2006, à l’occasion de la réunion Gouvernement-Walis,
mis en évidence que la création d’emplois permanents devrait être le
souci permanent de vos Ministres, de nos cadres, de nos partis politiques
(?), de notre presse. Vous aviez insisté sur le fait que l’échange
d’idées entre les membres du gouvernement, les walis et un grand nombre
d’experts des secteurs clés de notre économie, de même que l’examen des
problèmes, des contraintes et des solutions, tant sur le plan horizontal
que sectoriel, « aideront certainement à préciser la démarche de
développement et à la placer dans son cadre le plus adéquat ».
Vous aviez ajouté à cette occasion que « nous n’avons pas d’autre choix
que de poursuivre inlassablement l’effort de développement que nous avons
engagé ces dernières années pour améliorer le cadre et les conditions
de vie des citoyens, et pour créer des activités, des richesses et des
emplois ». Mais rien n’a été fait.
EMPLOI DES JEUNES
Vous aviez insisté, à maintes reprises, sur l’emploi des jeunes pour
en faire « un élément de mobilisation et de stratégie
socio-économique, de sorte que les jeunes de notre pays, femmes et hommes,
puissent apporter leur contribution dans la mise en œuvre de nos
programmes et de nos politiques nationales ». Rien n’a été fait. La
stratégie socio-économique n’est pas lisible ou n’est pas adaptée aux
besoins réels de la population dont 75 % ont moins de 30 ans. Les mesures
prises par le gouvernement ont déjà fait fuir les investisseurs
étrangers qui n’ont rien compris à l’instabilité qui affecte nos lois et
notre réglementation.
UNE JUSTICE QUI APPLIQUE LA LOI ET LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
Vous n’ignorez pas également, Monsieur le Président, que le manque de
transparence et de communication affectent grandement la crédibilité de
l’Etat et favorise ce que le peuple algérien dénonce quotidiennement,
l’opacité et les trafics de tous genres.
Notre jeunesse et nos citoyens attendent beaucoup d’une justice qui
applique la loi pour mettre un terme aux pratiques trop fréquentes de la
corruption, du népotisme et des interventions inadmissibles à leurs yeux,
et d’une administration crédible par ses actes et par le comportement de
ses agents. Aucune transparence, aucune mesure concrète de lutte contre
les multiples scandales financiers qui ont affecté grandement l’image de
l’Algérie à l’étranger.
Même l’organisation du « Hadj » et de la Omra, avec l’argent des
pèlerins, donne lieu , chaque année, à des catastrophes. Les mécanismes
de contrôle ont été mis en œuvre. Résultat : une attente des citoyens
qui dure, les deniers publics qui sont périodiquement détournés et une
gestion qui ne s’améliore pas.
LA COMMUNICATION, LA DISPONIBILITÉ ET LA TRANSPARENCE
Au lieu de confiner dans cette opacité inexplicable, le peuple et la
jeunesse voudraient que l’administration et les élus soient soumis à
l’obligation d’expliquer leurs actions, leurs efforts et décisions et
d’informer le public des priorités et des projets de développement.
L’administration et les élus doivent avoir pour mission d’assurer, par
le truchement de canaux spécialisés, l’information de la presse, du
public, des partenaires sociaux et des milieux intéressés sur les
activités des institutions de l’Etat.
Cette action d’information devrait s’appuyer sur les principes de
disponibilité permanente et de transparence à l’effet de conférer aux
pouvoirs publics autorité, crédibilité, efficacité, et réduire les
effets de la persistance de rumeurs qui sont trop souvent véhiculées par
une certaine presse et par les milieux hostiles à notre pays.
Ainsi, les institutions deviennent visibles et accessibles. La population
et les médias peuvent alors voir le gouvernement à l’œuvre, avoir accès
à ses programmes et services, et évaluer ses activités notamment celles
portant sur la réalisation de projets de développement dans les
différentes régions du pays. La rumeur cessera ainsi d’exister dans les
rapports Administration-citoyens.
De tout cela, rien. Les élus disparaissent dans la nature dès l’annonce
de leur élection à la tête d’une mairie ou à l’Assemblée nationale.
Ils ne reçoivent aucun citoyen. Ils sont constamment absents et
s’affairent à négocier telle ou telle "affaire".
La télévision d’Etat, personne ne la regarde. On recueille ailleurs les
informations sur notre pays. Le nouveau ministre de la communication
prépare des dossiers ( !) en silence.
RÉPONDRE AUX REQUÊTES ET DOLÉANCES DES CITOYENS
Une autre décision méritait d’être rapidement mise en œuvre :
obliger toutes les administrations publiques à répondre aux requêtes
adressées par les citoyens et qui portent sur des thèmes aussi divers que
variés : révision d’une décision, logement, emploi, dénonciations de
malversations, d’actes de corruption, de décisions arbitraires etc….
Les nombreuses requêtes transmises par voie postale ou publiées dans la
presse écrite, n’ont jamais été examinées par l’administration et
les élus. Aucune réponse ne leur a été accordée. Pourtant, leur simple
lecture permettra d’identifier les besoins d’une région, d’une
partie de la population, de déceler les lourdeurs procédurales, les
irrégularités et de situer les insuffisances et dysfonctionnements qui
caractérisent l’action de l’administration ou de ses agents.
Rien n’est fait à ce niveau. Les nombreuses requêtes, les plaintes, les
cris de détresse restent sans suite.
ÉCOUTE ET DÉMARCHE DE PROXIMITÉ
Vous avez insisté, Monsieur le Président, à maintes reprises sur
l’importance de l’écoute et d’une démarche de proximité. Vos
instructions n’ont jamais donné lieu à un début d’application. Rien
n’a été fait.
Vous avez également insisté sur la réception, par les responsables
locaux et centraux, de recevoir le public, d’effectuer des visites sur le
terrain, non pas pour se faire filmer par la télévision et donner
l’impression que tel ou tel responsable travaille.
Le réseau des radios locales est utilisé seulement pour informer sur les
activités officielles du Wali alors qu’il doit permettre de mesurer les
besoins et de prévenir les mécontentement au lieu de réagir aux
manifestations de colère qui sont, dans la plupart des cas, le résultat
d’un déficit en matière de communication et de doléances répétées
mais demeurées sans prise en charge par les responsables et élus à tous
les niveaux.
Vous avez dit, lors de la rencontre Walis-Gouvernement de 2006, que «
L’administration doit être efficace au service et à l’écoute des
citoyens et de leurs préoccupations, capable de résoudre leurs
problèmes, de les informer de leurs droits et de leurs devoirs, et qui
assume pleinement ses missions au service de la collectivité ».
Vous aviez rappelé l’indispensable qualité à conférer au service
public comme une marque de respect et de considération de l’administration
envers les citoyens.Rien. Rien. Rien.
RÉSOUDRE ÉPINEUX PROBLÈME DE LA DISTRIBUTION DES LOGEMENTS
S’agissant de ce dossier sensible et en particulier celui des logements
sociaux, il vous a été donné d’inviter les responsables concernés à
introduire la part de justice sociale, de raison et d’objectivité qui
doivent présider à leur affectation. Des efforts ont été déployés,
mais la corruption contrarie une juste distribution des logements aux seuls
nécessiteux après enquêtes sociales et éventuellement de sécurité.
A ce sujet, il suffit de compter les centaines d’émeutes et de
manifestations de colère pour se rendre compte que rien n’a été fait,
mais que beaucoup a été fait en terme de corruption, de détournements
des logements sociaux etc....
LE DISPOSITIF DE SOLIDARITÉ DÉTOURNE
Si les dispositifs de l’emploi des jeunes sont mal expliqués ou
contrariés par la bureaucratie et la corruption, ceux de la solidarité
nationale sont très mal utilisés et beaucoup d’observateurs ne manquent
pas de parler de leur détournement.
Les plus démunis se fragilisent de plus en plus et attendent un petit
geste des responsables ou élus. Des aides sporadiques sont remises à
l’occasion de fêtes nationales ou religieuses, en présence d’une
caméra.
L’action sociale de l’Etat est une action permanente qui doit avoir
pour objectif non pas de dépenser des sommes colossales d’argent mais de
réduire les difficultés d’une grande partie de notre population. Une
petite inspection ou enquête permettrait, dès le départ, de déceler que
les dispositifs de solidarité servent à remplir les poches de
responsables chargés d’aider les plus démunis.
ALORS, POURQUOI ATTENDRE LA COLÈRE DES JEUNES POUR AGIR ?
Depuis des lustres, le gouvernement végète. L’administration locale et
les élus n’ont rien vu venir. Ils étaient certainement occupés à
étudier « les marchés publics » selon les « nouvelles règles du
marché ». Rien n’a été fait par ceux que vous avez choisis et qui
étaient sensés se mobiliser tous, dans un esprit de citoyenneté
sincère, pour faire réussir votre amitieux programme d’investissements
publics. Aucune évaluation, aucune proposition, aucun débat fructueux ne
sont venus éclairer les centres de décision pour mieux répondre aux
attentes légitimes de la population et surtout de la jeunesse.
Aujourd’hui, et sur vos instructions, le gouvernement s’attelle à
trouver en urgence les solutions les plus urgentes et les plus adaptées
aux multiples problèmes de notre population et de notre jeunesse. Il ne
fallait attendre les émeutes et les manifestations de colère pour agir ou
réagir. Les moyens sont pourtant disponibles et le gouvernement a
échoué. Les partis de l’alliance, les élus et les autres ont échoué.
Etre ministre durant 16 ou 30 ans et ne rien donner à son pays, c’est
grave.
Monsieur le Président, vous vous êtes battu pour faire restaurer la
sécurité et la paix dans le pays, vous avez réussi à effacer la dette
et vous avez lancé un programme ambitieux d’investissements publics. Le
peuple vous respecte et vous demande que le pays a besoin de sang nouveau,
de démocratie, de justice, de liberté, de plus de transparence et de
sincérité et d’une nouvelle démarche concrète en direction des
jeunes, des étudiants, des médecins, des ingénieurs, des membres de
notre communauté à l’étranger et de toutes les compétences nationales
qui représentent l’avenir de l’Algérie. Ces compétences, vous le
savez, Monsieur le Président, sont mises à l’écart par les «
multiples moyens d’évaluation » en vigueur. Agissez rapidement et
prenez les décisions qui s’imposent, vous en avez les moyens
constitutionnels et n’écoutez pas ceux qui vous ont mené à la situation
actuelle. C’est un dernier message que je vous adresse.
— Envoi via le site Notre Journal (http://notrejournal.info/) —