Nous apprenons la démission du HCR de Madame Andrée Montéro.
Cri du coeur ! Un Pied-Noir d’Algérie s’adresse aux Français de France...
A quelques encablures de mes
soixante-dix ans, à un âge où les souvenirs se déclinent plus aisément que les
projets et après avoir épuisé mes capacités de silence, je ressens le besoin
d’éclairer un malentendu.
En trente cinq ans de vie professionnelle, j’ai travaillé avec vous, milité
avec vous, partagé quelques succès et quelques épreuves, communié aux mêmes
valeurs, au même humanisme. j’ai bu à la coupe de ce bonheur de vivre
en France, de s’ étonner de ses richesses, de se pénétrer des mêmes
émotions, au point que j’ avais fini par oublier que j’ étais né sur une autre
rive, de parents venus d’ailleurs et de grands-parents à l’ accent impossible
d’ une Île de la Méditerranée.
Je m’étais cru Français comme vous et j’avais cru achever ce
travail de deuil commun à tous les exilés du monde. Et puis, depuis quelques
mois, des maisons d’édition ont fait pleuvoir témoignages et réflexions sur la
guerre d’Algérie. Les chaînes de télévision et les radios ont
commenté les ouvrages et refait l’Histoire de 134 ans de présence française en
Algérie.
Avec une étonnante convergence de vues, la plupart ont révélé, sur cette
période, une vision singulièrement sinistre. j’ai revu l’histoire de ma patrie,
l’Algérie Française, travestie ou défigurée en quelques
propositions caricaturales :
- La présence de la France en Algérie fut de tout temps illégitime
- Les Français d’Algérie ont exploité les
Arabes et ont volé leurs terres - Les soldats français ont torturé des patriotes qui libéraient leur
pays - Certains Français ont eu raison d’aider les fellaghas à combattre l’armée
française et peuvent s’enorgueillir aujourd’hui d’avoir contribué à la
libération de l’Algérie.
Alors, j’ai compris que personne ne pouvait comprendre un pays et un peuple
s’il n’avait d’abord appris à l’aimer... et vous n’avez jamais aimé "notre
Algérie" !
Alors, j’ai compris pourquoi vous changiez de conversation quand j’affirmais
mon origine "pied noir" ; j’ai compris que l’exode
arménien ou l’exode juif vous avait touchés mais que
notre exil vous avait laissés indifférents. J’ai compris pourquoi les
maquisards qui se battaient pour libérer la
France envahie étaient des héros, mais pourquoi des officiers qui
refusaient d’abandonner ce morceau de France et les Arabes
entraînés à nos côtés, étaient traités de putschistes.
J’ai compris pourquoi des mots comme "colon" avaient été vidés de leur noblesse
et pourquoi, dans votre esprit et dans votre langage, la colonisation avait
laissé place au colonialisme.
Même des Français de France comme vous, tués au combat, n’ont pas eu droit,
dans la mémoire collective, à la même évocation que les Poilus ou les
Résistants, parce qu’ils furent engagés dans une "sale guerre" ! Sans doute,
même si leur sacrifice fut aussi noble et digne de mémoire, est-il plus facile
de célébrer des héros vainqueurs que des soldats morts pour rien.
Dans un manichéisme grotesque, tout ce qui avait contribué à défendre la France
était héroïque ; tout ce qui avait contribué à conserver et à défendre notre
pays pour continuer à y vivre, était criminel... Vérité en deçà de la
Méditerranée ; erreur au-delà !
Vous si prolixes pour dénoncer les tortures et les exactions de l’armée
française au cours des dix dernières années, vous êtes devenus
amnésiques sur les massacres et les tortures infligés par les
fellaghas à nos compatriotes européens et
musulmans au point de vouloir faire défiler des troupes
algériennes le 14 juillet 2012. Vous ne trouvez rien à dire sur l’oeuvre
française en Algérie pendant 130 ans. Pas un livre, pas une émission de
télévision ou de radio, rien ! Les fictions même s’affligent des mêmes clichés
de Français arrogants et de Musulmans opprimés.
Ce qui est singulier dans le débat sur l’Algérie et sur la guerre qui a marqué
la fin de la période française, c’est que ceux qui en parlent, en parlent en
étrangers comme d’une terre étrangère. Disséquer le cadavre de l’Algérie leur
est un exercice clinique que journalistes, commentateurs et professeurs
d’université réalisent avec la froide indifférence de l’étranger.
Personne ne pense qu’un million de femmes et d hommes n’ont connu et aimé que
cette terre où ils sont nés. Personne n’ose rappeler qu’ils ont été arrachés à
leur véritable patrie et déportés en exil sur une terre
souvent inconnue et souvent hostile ... Quand certains intellectuels français
se prévalent d’avoir aidé le FLN, personne ne les accuse
d’avoir armé les bras des égorgeurs de Français ...
Cette terre vous brûle la mémoire et le cœur ... ou plutôt la mauvaise
conscience.
Certains d’entre nous sont retournés en pèlerinage là-bas et tous ont été
chaleureusement accueillis et honorés. Cela est-il possible pour des gens qui
ont fait suer le burnous ?
Je n’ai pas choisi de naître Français sur une terre que mes maîtres français
m’ont appris à aimer comme un morceau de la France. Mais, même si " mon
Algérie" n’est plus, il est trop tard, aujourd’hui, pour que cette terre me
devienne étrangère et ne soit plus la terre de mes parents, ma patrie.
J’attends de vous amis français, que vous respectiez mon Histoire même si vous
refusez qu’elle soit aussi votre Histoire. Je n’attends de vous aucune
complaisance mais le respect d’une Histoire dans la lumière de son époque et de
ses valeurs, dans la vérité de ses réalisations matérielles, intellectuelles et
humaines, dans la subtilité de ses relations sociales, dans la richesse et la
diversité de son œuvre et de ses cultures.
J’attends que vous respectiez la mémoire de tous ceux que j’ai laissé là-bas et
dont la vie fut faite de travail, d’abnégation et parfois même d’héroïsme.
J’attends que vous traitiez avec une égale dignité et une égale exigence
d’objectivité et de rigueur, un égal souci de vérité et de justice,
l’Histoire de la France d’en deçà et d’au delà de la
Méditerranée.
Alors, il me sera peut-être permis de mourir dans ce coin de France en m’y
sentant aussi chez moi. Enfin !
Que Dieu nous accueille comme nous le méritons vraiment.
Un pied-noir
* * *
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Voir en ligne : http://infos.fncv.com/post/2011/01/...