Ce que pense la France socialiste de l’Algérie en Mai 1956 Après la "journée des tomates" que pense la France de l’Algérie ?

, par  Jean Claude THIODET ✞ , popularité : 47%

En plein mandat de Guy MOLLET, président du conseil des ministres socialistes, les français se posent des questions sur l’Algérie et son éventuel devenir.

Pour la bonne compréhension du sous titre , je cite :"Confronté, lors d’une visite à Alger, à l’hostilité violente (jets de légumes , cris, menaces de mort explicites) de la population d’origine européenne le 6 février 1956 (appelée journée des tomates), puis à l’impossibilité de réunir une majorité parlementaire sur une ligne libérale en Algérie, il s’engage dans une politique répressive et refuse toute solution négociée avant la conclusion d’un cessez-le-feu ; il double en six mois les effectifs militaires déployés sur place.

L’ association pour la libre entreprise éditera ce petit fascicule qui, cinquante ans après, nous laisse rêveurs.

Le problème algérien est celui qui inquiète le plus les Français, qui leur tient le plus au cœur.

Dans tous les milieux, des millions de personnes sont directement intéressées par l’évolution des relations entre la Métropole et l’Algérie.

Chacun s’interroge. Quels avantages représente l’Algérie pour la Métropole, et, réciproquement, la Métropole pour l’Algérie ? Avons-nous des intérêts à conserver notre position en Algérie ? Comment doit-on envisager l’avenir ?

A ce sujet, les opinions les plus diverses et les plus contradictoires sont émises dans tous les milieux .

Chacun sait bien qu’il entre dans ces discussions une part de sentiments. Ce n’est pas à nous d’aborder le problème algérien sous cet angle.

Essayons, au contraire, d’examiner sans passion le bilan de l’Algérie.

Voici les faits concernant plus particulièrement son aspect économique et qui permettront d’éclairer l’opinion et de prendre une plus juste mesure de notre présence en Algérie.


Comment se présente aujourd’hui la situation en Algérie

L’Algérie a une population de 9 millions et demi d’habitants dont .1 million d’Européens.

Grande comme 35 départements français, elle est peuplée comme 20, mais riche comme 5 départements.

La première raison, c’est que les ressources naturelles de l’Algérie sont assez médiocres.

L’AGRICULTURE ET LES RESSOURCES DU SOUS-SOL

En Algérie, où 4 personnes sur 5 vivent de l’agriculture, la surface cultivable ne représente que le dixième du territoire — au lieu de 88 % en France métropolitaine — et encore, chaque jour, l’érosion fait perdre 100 hectares de bonnes terres. En outre, les récoltes dépendent du régime des pluies qui sont rares et capricieuses.

Seules les petites plaines du Littoral — qui n’ont que quelques kilomètres de profondeur — où l’on cultive les primeurs, les agrumes ou la vigne, forment des îlots de prospérité. Le reste est pauvre.

Les rendements en céréales sont de 6 à 7 quintaux à l’hectare. Ce n’est qu’une moyenne : dans les exploitations européennes, les rendements sont dans l’ensemble doubles de ceux des exploitations musulmanes où la routine et le fatalisme des gens conduit à l’utilisation de techniques rudimentaires, au maintien d’institutions dépassées, comme le khamessat, c’est-à-dire métayage au cinquième.

Dans la seconde partie de cette étude, nous reprendrons cette question plus en détail.

En ce qui concerne le sous-sol une prospection régulière commencée depuis longtemps n’a découvert — à part deux ou trois exceptions — que des gisements miniers peu importants ou mal situés. Leur exploitation est en général trop onéreuse et le traitement des minerais est considérablement gêné par l’insuffisance de charbon, d’énergie et par le coût des transports.

L’INDUSTRIE
Les industries de transformation, en dehors de quelques usines de produits alimentaires et malgré les multiples encouragements officiels, ne trouvent pas encore sur place de débouchés suffisants et n’arrivent pas à des prix de revient capables de soutenir la concurrence.

Le coût élevé de l’énergie, la longueur et les difficultés de transports intérieurs, le défaut de matières premières font, qu’en dix ans, 160 usines de petite ou moyenne importance ont été construites en Algérie et même ce début d’expansion est aujourd’hui arrêté. Certaines usines ont même dû fermer leurs portes. La plupart des autres travaillent bien au-dessous de leur capacité.

Un chiffre particulièrement significatif : la consommation en électricité de l’Algérie toute entière atteint à peine celle de l’agglomération Lille-Roubaix-Tourcoing dans un cercle de 10 kilomètres de diamètre.

Cependant, l’industrie algérienne qui emploie seulement 7% de la population active, fournit le quart des revenus du pays. Il est donc certain que dans l’avenir, aucune amélioration durable de la situation en Algérie ne sera possible sans une industrialisation intensive.

La médiocrité des ressources naturelles se complique d’un deuxième problème, le plus important pour l’Algérie, c’est..,

L’EXTRAORDINAIRE AUGMENTATION DE SA POPULATION

Grâce à la lutte menée par la France contre les épidémies et contre la mortalité infantile, la population algérienne a doublé depuis 1900.
Chaque année, il naît en Algérie plus de 380 000 enfants, c’est-à-dire, en proportion, davantage qu’aux Indes, au Japon ou en Chine !
Avec le même taux de fécondité, la France aurait 2 millions de naissances par an au lieu de 800 000.

Compte tenu des décès, la population algérienne s’accroît actuellement de 250 000 personnes par an, autant que la France métropolitaine toute entière. Si bien que, chaque jour, l’Algérie a près de 700 nouvelles bouches à nourrir.

D’ici vingt ans, la population de l’Algérie aura augmenté de moitié et s’élèvera à 15 millions d’habitants. Or, certaines régions de Kabylie ont déjà des densités comparables à celle de la Hollande.
Ce rythme d’accroissement est la source de difficultés considérables.


LE NIVEAU DE VIE

On comprend, en particulier, que le niveau de vie soit bas dans une région qui doit faire face à de pareils problèmes et qui dispose de richesses si limitées : les ressources peuvent difficilement être développées au rythme des besoins.

Le revenu moyen par habitant c’est-à-dire par consommateur (hommes, femmes, enfants, vieillards) est en Algérie de 54 000 francs par an, soit à peine le quart de celui de la Métropole.
Mais pour mieux juger de cet état de choses, il faut préciser :
—  Que ce revenu qui nous paraît si faible, était celui dont disposait le Français aux environs des années 1800. C’est également le revenu actuel du Brésilien, du Libanais ou du Turc.
—  Que le revenu moyen par habitant est de 40 000 francs en Égypte, 25 000 francs aux Indes, 14 000 francs en Arabie Séoudite et de moins de 50 000 francs en Sicile ou en Italie du Sud.
—  Que sur la dizaine de millions d’habitants en Algérie, environ 2 millions (dont 1 million de musulmans) principalement dans les villes, disposent d’un revenu comparable au revenu métropolitain.
Dans l’industrie notamment, les salaires sont très peu inférieurs à ceux de la Métropole. En revanche, dans les campagnes, le revenu moyen des familles de « fellahs » est de l’ordre de 20 000 francs par an et par personne, soit environ 100 000 francs par travailleur.

Il est donc certain que les conditions de vie en Algérie sont loin d’être satisfaisantes.
Comme elle fait partie de la France, celle-ci est souvent mise en cause. Nous sommes tous tenus pour responsables de tout ce qui ne va pas de l’autre côté de la Méditerranée.++++

Qu’en est-il exactement ?
Quelle est la position de la Métropole vis-à-vis de l’Algérie ?

Un fait certain, c’est que la situation de l’Algérie ne lui est pas particulière.
Des constatations analogues peuvent être faites dans presque tous les pays du bassin méditerranéen : le niveau de vie des masses paysannes n’est pas sensiblement plus élevé en Espagne, en Italie du Sud, en Grèce ou en Turquie.

Qui en est responsable ?

Ce sont les conditions naturelles, [*ce n’est pas ce que l’on appelle "le colonialisme ".*]

Voyons d’abord qu’elle est la position de la France...


VIS-A-VIS DE L’ÉCONOMIE DE L’ALGÉRIE

Signalons d’abord que les Musulmans détiennent 70 % des terres cultivées en Algérie.
7 sur 8 des Français d’Algérie ne sont pas des colons mais des ouvriers, des employés, des fonctionnaires, des techniciens, des commerçants, des cadres. D’ailleurs, les Français d’Algérie — 1 million — ont en moyenne un revenu annuel inférieur de 20 % à celui des Français de la Métropole,

Sur les 25 000 propriétaires terriens européens, 8 000 possèdent des superficies de moins de 10 hectares et 900 en ont plus de 500 hectares.

D’ailleurs, n’oublions pas que, compte tenu des rendements respectifs, 100 hectares en Algérie équivalent en moyenne à une vingtaine d’hectares dans le Nord de la France.

Ajoutons que certaines terres aujourd’hui les plus fertiles en Algérie étaient autrefois couvertes de marais ou complètement arides et ont été littéralement "fabriquées" par les Français, au prix de leur sueur et parfois de leur sang.

Autre question : on condamne souvent l’introduction de la vigne en Algérie, ce qui aurait eu pour résultat de priver la population de certaines cultures vivrières. Ce raisonnement est faux.

En effet 3 millions d’hectares sont consacrés aux céréales en Algérie et donnent une récolte d’une valeur totale d’une cinquantaine de milliards. La vigne qui occupe moins de 400 000 hectares fournit également un revenu brut d’une cinquantaine de milliards et distribue 20 milliards de salaires. D’autre part, la main- d’oeuvre employée à l’hectare de vigne est au minimum 10 fois supérieure à celle nécessitée par un hectare de céréales.

Imaginons que la vigne n’existe pas et que par extraordinaire, tous les vignobles puissent être transformés en terres à céréales. Compte tenu de la jachère imposée par le climat, cela donnerait au maximum, 2 millions et demi de quintaux de blé d’une valeur totale de 7 milliards et cela permettrait de distribuer à peine un milliard de salaire. Autrement dit, cette « reconversion » priverait de leur gagne-pain près de 200 000 familles. Le même raisonnement vaut pour les agrumes et pour les primeurs.

Or, les excédents métropolitains en céréales atteignent 20 millions de quintaux. Le problème alimentaire en Algérie peut se trouver réglé au moindre coût, soit par des importations, soit par la simple augmentation, parfaitement possible, du rendement des cultures indigènes en céréales, sans qu’il soit nécessaire de détruire l’une des principales richesses du pays.

D’un point de vue général
, aussi bien en matière agricole qu’industrielle, la France, depuis la Libération a fait un sérieux effort d’équipement. Le plan d’équipement de l’Algérie, presque intégralement financé par la France, dispose de crédits supérieurs au plan italien d’équipement pour la mise en valeur de l’Italie du Sud, qui a cependant une population double de celle de l’Algérie.

Crédits du plan italien : (moyenne annuelle) 72 milliards de francs
Crédit du 2° plan d’équipement de l’Algérie (moyenne annuelle) 76 milliards de francs

Le fait d’appartenir à la communauté française a au moins permis aux Algériens d’éviter d’énormes restrictions et l’effondrement de leur niveau de vie qui, sans cela, aurait été inévitable, à la suite de l’accroissement de la population.

DU POINT DE VUE SOCIAL
Le bilan de l’intervention de la France est encore plus positif.
Les dépenses d’équipement pour l’enseignement primaire en Algérie sont quatre fois plus importantes qu’en Egypte, et celle de santé publique deux fois plus élevées.

Citons deux faits :

Equipement hospitalier : Algérie : 1 lit pour 360 habitants. Egypte, Turquie, Irak : 1 lit pour 1 000 habitants.

Mortalité infantile :
Musulmans d’Algérie :
En 1901 ……….127 pour 1000
En 1955 ………. 85 pour 1000
Égypte (1955) ……….160 pour 1000

Enfin, la France a introduit une législation sociale, un salaire minimum, les allocations familiales, ainsi qu’un système de sécurité sociale adapté aux conditions locales.

C’est ainsi que de 1938 à 1955, le salaire minimum à l’heure dans l’industrie a augmenté, en francs comparables, de 45 celui du salaire minimum journalier dans l’agriculture de 60 %.
Enfin, c’est dans les régions où la pénétration française est la plus sensible que les salaires sont les plus forts et le chômage le moins important.

Il est certain que ces efforts demeurent insuffisants.

La scolarisation par exemple est loin d’être satisfaisante.

Actuellement, un enfant sur six reçoit l’instruction primaire.
Mais pour résoudre ce problème, il faudrait y consacrer la totalité des sommes investies en Algérie !!.

Une question se pose alors ! Faut-il faire passer l’instruction avant le pain, avant le travail et avant la santé ? Il y a des priorités à respecter, on ne peut tout faire à la fois.

Cependant, même si elle est encore imparfaite, l’œuvre de la France a amené en Algérie une baisse importante de la mortalité, la fin des épidémies, l’accroissement du pouvoir d’achat. Les progrès accomplis sont déjà considérables.

Pour la Métropole, qu’en résulte-t-il ?

Aujourd’hui la Métropole continue à supporter une lourde charge en Algérie.
Apparemment, l’Algérie constitue pour la Métropole, un marché qui assure à nos productions des débouchés importants. En effet, le marché algérien est deux fois plus important que le marché anglais.

L’Algérie est notre premier client, elle absorbe plus de 11% de tout ce que nous vendons à l’extérieur et près du tiers de nos exportations vers la France d’Outre-Mer. Depuis l’avant-guerre, nos exportations vers l’Algérie ont doublé.

L’Algérie est la clef de voûte de nos échanges avec l’Afrique du Nord, à qui nous vendons le tiers de notre production de sucre, le dixième de notre production de produits pétroliers, l’Algérie absorbant à elle seule la moitié de ces exportations.

Nos usines de coton, d’automobiles et de pneus, travaillent deux semaines par an rien que pour l’Algérie qui est aussi un débouché privilégié pour nos industries mécaniques et électriques, nos industries de ciment, de l’habillement, de la chaussure, des corps gras, des produits chimiques et pharmaceutiques ainsi que pour nos exportations de produits laitiers, de légumes et de bétail.

Sans le commerce avec l’Afrique du Nord en général et avec l’Algérie en particulier, le trafic du port de Marseille serait réduit dans des proportions catastrophiques et notre flotte de commerce subirait une grave crise.

D’autre part, à eux seuls, les touristes algériens en France dépensent autant que les touristes américains, soit 10 % du chiffre d’affaires des professions du secteur tourisme.++++

Bref, c’est comme si chaque travailleur Français de la Métropole vendait tous les ans pour plus de 11. 000 francs de produits divers aux Algériens. L’Algérie joue donc un rôle très important dans l’économie de la France.

Mais il y a un autre aspect du problème.

Pour l’Algérie aussi la métropole est un client exceptionnel.

Elle lui adresse les trois quarts de ses exportations (vins, agrumes, primeurs, alfa, tabacs, liège, etc.).

Or, ces produits entrent évidemment en France sans supporter de droits de douanes, ils sont assurés chez nous d’un débouché même s’ils ne sont pas indispensables à la Métropole. Les achats de la France portent sur des productions qui ne seraient vendables ailleurs que très difficilement ou vendables à des conditions nettement plus défavorables.

C’est ainsi que les marchandises qui nous ont été vendues 102 milliards par l’Algérie (dont 57 milliards de vins) en vaudraient à peine 75 sur les autres marchés ?

Mais il y a plus.

La France vend à l’Algérie bien plus qu’elle ne lui achète ? Le déficit algérien est comblé par la France. Si bien que l’Algérie paie le tiers de ses achats avec des fonds que le vendeur lui accorde.

Mais la cherté est un phénomène général de l’économie française [*et le problème serait le même si l’on isolait chaque province*]

Sans parler des dépenses militaires exceptionnelles, le Trésor dépense une centaine de milliards par an en Algérie comme contribution à l’administration et à l’équipement.
En revanche tous les impôts prélevés en Algérie sont dépensés sur place. L’Algérie ne participe en rien aux frais de l’administration métropolitaine.

D’autre part, de nombreux chômeurs algériens viennent travailler en France. Un sur sept des Algériens en âge de travailler vit dans la Métropole.

Si bien qu’à eux seuls, les envois de fonds des Algériens travaillant en France font vivre plus d’un million de personnes de leurs familles demeurées dans les douars. Cet apport est égal au montant des salaires versés par l’agriculture algérienne. Une crise dans l’industrie française se traduirait immédiatement par la misère dans les villages de Kabyle.

Ainsi la France injecte du pouvoir d’achat à l’Algérie.

Tout compte fait. on peut dire que chaque fois que 100 francs sont dépensés en Algérie, 25 francs proviennent de France.

Autrefois les territoires d’Outre-Mer rapportaient. Aujourd’hui aussi bien l’Algérie que l’Afrique du Nord ou que l’ensemble de l’Union Française coûtent beaucoup plus à la France qu’ils ne lui rapportent.

[*Mais se limiter à ce point de vue trop comptable serait une erreur. Il ne viendrait à l’idée de personne de faire le bilan de ce que coûtent et rapportent au reste de la France, l’Auvergne, le Languedoc ou la Corse. Il ne peut pas être question non plus de s’en tenir à cela en ce qui concerne l’Algérie province française.*]

De multiples raisons nous attachent à l’Afrique du Nord

Bien des gens, après examen des réalités algériennes seraient tentés de dire : « Que faisons-nous en Algérie ? La France n’a rien à perdre et tout à gagner en se retirant de ces régions et en les laissant à elles-mêmes. Pourquoi ne pas avoir simplement vis-à-vis de l’Algérie, les relations normales que la France conserve avec les pays étrangers ? »

Ce serait juger d’après les apparences. Mais ici, d’autres faits interviennent.

Un fait humanitaire.
Quand on a des parents pauvres, on ne les laisse pas tomber.

Laisser l’Algérie à elle-même, c’est vouer 10 millions d’algériens à la misère, à la maladie, au chômage, à l’ignorance, à l’anarchie et même à la terreur. Est-il utile de rappeler que la Libération est partie de l’Afrique du Nord en 1944 et que beaucoup de Nord-Africains ont accompli vis-à-vis de la France tous leurs devoirs de Français ou d’alliés. La solidarité ne peut pas être à sens unique.

Et puis, un million de Français, de souche européenne vivent en Algérie. S’ils ont les mêmes devoirs, ils ont aussi les mêmes droits que nous.

[*Il est impensable de les abandonner à leur sort.*]

Un fait économique.

La perte du marché algérien entraînerait pour la France une véritable crise économique, le chômage complet de 300 000 travailleurs, en attendant une très pénible « reconversion ».

Enfin, il faudrait rapatrier et redonner du travail au million de Français installés en Algérie. Cela poserait des problèmes énormes et coûterait beaucoup plus cher à la France que ce que nous dépensons actuellement.


Un fait politique
.

Sans son prolongement algérien, la France ne serait plus qu’une puissance de troisième ordre.

Sa position, même en Europe, serait extrêmement diminuée. Sa défense serait compromise. Elle serait condamnée à un destin médiocre.

Enfin, l’abandon de l’Algérie risque d’entraîner la perte de l’Afrique Noire. Et l’on peut dire en général qu’une France sans l’Union Française aurait perdu ses meilleures chances d’avenir.

Mais ce ne sont là que les faits les plus criants, les vérités que chacun peut saisir d’emblée.

On peut les résumer d’une phrase :

[*la France ne peut renoncer à l’Algérie sans renoncer à elle-même, la perte de l’Algérie aurait pour nous la même signification que pour nos pères celle de l’Alsace-Lorraine.*]

Mais il ne s’agit pas seulement de plaider pour notre œuvre passée.

En Algérie une personne sur deux a moins de 20 ans et est incapable d’apprécier les progrès que nous y avons apportés.
Ce qui compte, c’est l’avenir.

[*Il est temps pour la France de voir grand*].

Trop de gens, lorsqu’on parle de l’Afrique du Nord, n’ont à l’esprit qu’une bande de terrain de 100 à 200 kilomètres de profondeur en arrière des côtes nord-africaines.
Mais ceci est loin de correspondre à la réalité. Au-delà, en effet, s’étendent les immensités de ce que l’on appelle toujours le désert du Sahara.

Quoi ! dira-t-on, que change l’existence de ce désert eux confins de l’Algérie ?

Cela change aujourd’hui beaucoup de choses !

Nous avons tous appris à l’école que le Sahara, c’était des milliers de kilomètres carrés de sable, sans autre végétation que les quelques palmiers des oasis écrasés sous un soleil torride, région désolée sans intérêt pour personne.

Cela, c’était vrai hier, comme c’était vrai aussi pour les autres déserts brûlants ou glacés du Brésil, de la Sibérie, de l’Afrique du Sud ou du Nord-Canada.

C’était vrai lorsque l’homme ne possédait comme outils que des pioches, des pelles ou des brouettes, comme moyens de transports que des charrettes et qu’il n’avait pratiquement aucun moyen de protection contre les climats extrêmes.

Aujourd’hui, nous avons comme outils des bulldozers, des bennes mécaniques, des foreuses, des pipes-lines.

Nous avons les camions — maintenant parfaitement adaptés au désert — le chemin de fer, les hélicoptères et les avions qui rendent possibles des tâches et des efforts considérés jusqu’alors comme insurmontables.++++

Déjà, en Sibérie, au Nord-Canada, dans des régions que l’on croyait condamnées à un abandon total, l’industrie a pénétré et a réussi en quelques années à transformer ces déserts en sources de richesses.

De même, le Sahara peut devenir une des régions les plus riches de l’Union Française.

Des gisements importants ont été découverts : du charbon à Colomb-Béchar, du fer à Tindouf, du manganèse à Guettara, du gaz naturel à In Salah. Des indices sérieux permettent de penser que le pétrole habite les profondeurs du Sahara — il a jailli tout récemment à Fort Flatters — et le Hoggar serait riche en étain, en tungstène et en uranium.

Bien entendu des problèmes se posent— là aussi .

Ces richesses, il faut pouvoir les exploiter. Il faut pouvoir équiper le Sahara, il faut pouvoir y disposer de sources d’énergies suffisantes.

Mais là encore, il ne s’agit plus de penser simplement aux machines à vapeur ou même à l’électricité. L’énergie atomique est déjà à notre portée et l’on sait aujourd’hui que l’énergie solaire peut être captée. Les progrès de la technique laissent prévoir que son utilisation n’a plus rien d’impossible. Or, c’est le soleil qui manque le moins au Sahara.

De toutes façons, l’Algérie et le Sahara constituent pour la France un très bel atout. Ne pas l’estimer à sa juste valeur, refuser de jouer cette carte, serait une grossière erreur.

Tous les Français savent ce que sont devenus les « arpents de neige » canadiens que nous avons abandonnés sous Louis XV avec tant de désinvolture. [*Il serait regrettable que, dans cinquante ans, les Français puissent faire la même constatation au sujet des « arpents de sable » algériens*].

Demain, l’Algérie, avec son prolongement saharien peut devenir l’Oural, le Texas ou la Californie’ de l’Union Française et résoudre elle-même les problèmes qu’elle pose aujourd’hui pour ses habitants et pour la Métropole.

Elle peut être aussi — et il est important d’insister sur ce point — le meilleur champ d’action laissé à notre jeunesse.

La France ressemble trop, aujourd’hui, à un damier sur lequel toutes les cases sont prises, où il n’y a plus de place pour avancer un nouveau pion. Nous avons trop tendance à l’oublier, un pays qui veut rester grand a besoin d’un « banc d’essai » pour ses jeunes. Il faut à ceux-ci une tâche à la hauteur de leur enthousiasme

[*En est-il une plus constructive, mieux à la mesure de la générosité de la France, que celle qui va consister à mettre en valeur l’Algérie et la hausser avec ses habitants au rang des pays prospères et évolués.
Au lieu de nous détacher de l’Afrique du Nord, renforçons donc au contraire, tous les liens qui nous unissent à elle.

Chacun sait que l’union fait la force, elle fait aussi la prospérité.

*]

Texte publié par l’ ASSOCIATION DE LA LIBRE ENTREPRISE :
38 Avenue Hoche ; PARIS (8°) en Mai 1956

Voir en ligne : la journée des tomates

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