Chacun son dolmen..
Témoignage capital, témoignage historique, témoignage tout court, c’est ça la question !
Fond photographique privé (GC)
Vous allez vous demander pourquoi j’expose une partie de ces souvenirs ci-dessous, moi Patos du Contingent qui devrait les étaler ailleurs car leur place n’est peut-être pas ici. Il y a d’autres rubriques qui pourraient les accueillir. La raison en est simple. C’est l’impression sur le tas, et relatées deux jours après dans mon journal, que cette journée de mai 1958 parmi les plus importantes de l’Algérie Française m’avait faite et m’avait troublé ; le saisissement, l’excitation, l’enthousiasme jusqu’à la transe, l’étonnement, la surprise et par la suite, les conséquences de ces journées sur l’esprit des individus, qui m’avaient plus qu’étonné, inquiété. Une sorte de viol des foules en quelque sorte. Je sais que je vais me faire ‘’descendre en flammes’’ si je vous conseille de vous procurer un certain ouvrage si vous ne l’avez pas déjà lu, afin d’en tirer des conclusions qui, j’en suis sûr, vont vous stupéfier, sur l’art et la manière dont le Citoyen est cuisiné afin d’être consommé à la sauce politicienne. C’est un ouvrage d’écriture parfaite, traité par un universitaire, témoignage capital d’une période de notre histoire où même les nuances des mots du vocabulaire ont une place importante.
Vendredi 06 Juin 1958
"Les Renseignements sont intégrés à la direction de l’action psychologique après la venue d’un nouveau Chef d’escadron. A Oran le 6 juin au matin, le Général espère l’aide de tous. Nous entendons à la radio civile : " ... c’est ici... ici en particulier, j’attends votre concours sans condition et sans réserve, ce qui est indispensable, pour que nous ayons à renouveler notre pays, du haut en bas et d’un bout à l’autre..." Pendant ce temps, à Dombasle, un convoi s’est formé pour se rendre à Mostaganem où doit passer le Général de Gaulle. De nombreux véhicules se pressent sur la route, nous n’avons jamais rien vu de pareil. Le Capitaine V., le Sous Lieutenant S. et des sections de la 3 sont en grande tenue pour participer à une prise d’Armes afin de rendre les honneurs au Général. Il faut escorter les convois et nous occuper des points prévus à l’avance. Les civils autochtones sont serrés comme des sardines dans leur boite et remplacent pour une fois nos troufions sur les banquettes des GMC.
Arrivées sur la place à Mostaganem, nos unités sont disposées en carré derrière notre drapeau, les ‘Tirailleurs couscous’ ont placé leur chèvre fétiche toute enrubannée devant leur clique. En arrière et tout autour de la place sont disposés nos civils avec les banderoles Dombasle, M’Hammid, Palikao et celle d’Uzès le Duc qui est ornée de la croix de Lorraine. Présentation de la troupe et salut aux drapeaux. Le Général passe, grand, droit, aspect bouteille Saint Galmier l’âge aidant, accompagné d’un autre Général plus gradé que lui. Plus de trente années d’événements ont marqué son visage. C’est l’Histoire vivante qui marche, une page du livre d’histoire du pays est là devant nous mais cette fois, les images ne sont pas fixes, elles bougent. Ses moindres propos, familiers, rudes, baroques, injustes parfois, émanant de l’homme qui cristallisait l’esprit de la Résistance contre la barbarie, sa clairvoyance politique, ont fait que ce personnage immense est ancré à jamais dans notre mémoire. Même dans celle de ceux qui ne l’aiment pas ! C’est la seconde fois que je le vois d’aussi près, à Paris et ici, acclamé par une foule immense, avant qu’il ne se perche sur un balcon de la Préfecture comme il l’avait fait à l’Hôtel de Ville de Paris où je l’ai vu, moi assis sur les épaules de mon Père. Il dépasse de la tête Massu à côté de ‘Prosper’ Meyer du 1er RCP qui plie sous ses décorations. Il nous regarde, bonhomme en passant, et a l’air heureux. Nous faisons partie de la famille et de la cérémonie. On nous a demandé d’être discrets autour de la place et de laisser les paras devant. Je me fait houspiller par un quatre galons qui me demande ce que nous faisons aussi avancés sur la place et autant armés. Il est vrai que les ‘’Bérets’’ sont moins poussiéreux que nous mais pour une fois, nous faisons plus baroudeurs qu’eux, l’officier s’éloigne après mes explications.
18h45, discours du Général : "... il est parti de cette terre magnifique d’Algérie, un mouvement exemplaire de rénovation et de fraternité. Il s’est élevé de ces terres éprouvées et meurtries, un souffle admirable, qui par-dessus la mer, est venu passer sur la France entière, pour lui rappeler quelle était sa vocation. Ici et ailleurs. C’est grâce à cela, que la France a renoncé à un système qui ne convenait ni à sa vocation, ni à son devoir, ni à sa grandeur... c’est à cause... c’est à cause de cela, c’est d’abord à cause de vous, qu’elle m’a mandaté pour renouveler ses institutions... et pour l’entraîner corps et âme, non plus vers les abîmes où elle courrait, mais vers les sommets du monde. Merci du fond de mon cœur... c’est à dire... c’est à dire, du cœur d’un homme qui sait qu’il porte une des plus lourdes responsabilités de l’Histoire... merci... merci d’avoir témoigné pour moi en même temps que pour la France. Vive Mostaganem... Vive l’Algérie Française... Vive la République... Vive la France..." Le Général entame le premier couplet de l’hymne national. J’ai l’impression qu’il chante un peu faux mais personne n’en rit. L’immense foule l’accompagne, c’est impressionnant. Malgré moi, j’ai le dos subitement glacé ! Je viens de prendre conscience que ces instants qui me font participer à l’Histoire dépassent ma propre vie. Mais l’Histoire aujourd’hui est habillée en militaire, je suis conscient de ce que contiennent les mots, comme dans ces paroles du passé, « ... on les aura..., ils passeront pas... », « ... debout les morts... », « ... retroussons nos manches et ça ira mieux... ». Impressionné par ce spectacle mais pas couillon au point de marcher dans la combine.
19h00, nous repartons comme détachement précurseur et voyons arriver vers 21h30 les convois de retour à Dombasle, c’est dément, plusieurs tours de village au son d’une nouvelle coqueluche, trois coups courts de klaxon suivis de deux coups longs qui signifient " Al-gé-rie fran-çaise, Al-gé-rie fran-çaise, Al-gé-rie fran-çaise !" D’accord ou pas d’accord avec le Général, il est difficile d’affirmer que cette journée a laissé les témoins indifférents, tellement indifférents que notre bistrotier Amat nous offre plusieurs tournées d’anisette avec la kémia de circonstance. »
Allez, je me jette en pâture, tant pis pour moi, lisez et relisez l’ouvrage d’Alain PEYREFITTE, de l’Académie Française, « C’était De Gaulle », Editions de Fallois, FAYARD 1994.
Vous allez être édifiés sur les considérations et les agissements qu’ont envers des individus, d’autres individus sensés diriger leur affaires, et qui font de la politique leur métier !