Nous apprenons la démission du HCR de Madame Andrée Montéro.
26 mars 1962 à Alger : Témoignages...
Témoignage de Madame Francine DESSAIGNE
Ecrivain, historienne
Lourdes 1992
Parce que j’étais avec eux et que j’en suis sortie indemne, depuis trente ans, je témoigne pour ceux qui ne le peuvent plus.
Je dis que nous n’étions pas une foule agressive, pas même excitée. Nous exprimions, dans le calme et le silence, notre solidarité avec Bab el Oued et notre désespoir.
Les photographies le prouvent.
Sur la place de la Poste, devant nous, le barrage venait de s’ouvrir sur la rue d’Isly. Un collègue de mon mari a dit : « maintenant que faisons-nous ? » nous n’avons pas eu le temps de lui répondre.
Quand le tir a commencé, nous étions donc peu nombreux sur cette immense place, et nous avons fui, quelques mètres, en tournant le dos aux soldats puis nous nous sommes jetés à terre. Les photographies le prouvent.
Les soldats ont tiré sur nous, dans le dos et à terre, pendant douze minutes. C’est long douze minutes, dans le sang des autres, dans les cris des autres. C’est long pour justifier un affolement des soldats.
Je DIS que c’est criminel de mettre face à une foule, même calme et sans armes, des troupes non entraînées à ce genre de contact.
Je le dis, mais J’AFFIRME que d’autres ont tiré et, en particulier des gardes mobiles. Ils avaient des ordres.
Quelques jours après, le Député d’Alger, Philippe MARCAIS, a demandé aux victimes de venir témoigner pour constituer un dossier de « Plainte contre X ».
En 1962, a paru un « Livre Blanc » composé d’extraits de nos témoignages. Il a été SAISI, une réédition a paru l’an dernier.
Je dois ajouter que j’ai demandé à connaître ce qu’il en était advenu de cette plainte. On m’a répondu que les dossiers concernant les DOCUMENTS JUDICIAIRES RELATIFS aux évènements d’Algérie avaient été remis aux ARCHIVES NATIONALES, et qu’ils étaient couverts par une clause CENTENAIRE. Ce n’est donc pas nous, les témoins, qui pourrons connaître qui, en haut lieu, a donné les ordres...............
Témoignage de Madame Francine DESSAIGNE
Ecrivain historienne
Coauteur du livre « Crime sans assassins » avec Madame Marie- Jeanne REY
Auteur du livre « Top Secret » et de « Le livre blanc – Alger le 26 mars 1962 » le livre interdit
Lourdes 21-22 mars 1998 - 4ème pèlerinage de l’Association
Pour la quatrième fois, nous voici réunis dans ces lieux où chaque pierre, chaque arbre, chaque caillou des chemins sont chargés de ferveur. Créer ces pèlerinage fut une merveilleuse idée qui porte haut le souvenir de nos compagnons massacrés, il y a trente six ans, au cœur d’Alger. Par notre nombre et notre calme, nous voulions dire notre solidarité avec les habitants de Bab-el –Oued enfermés depuis trois jours dans un blocus inhumain.
C’est aussi notre manière d’exprimer notre besoin de vérité et de justice Grâce à des documents, nous savons aujourd’hui que, depuis décembre 1961, par décision gouvernementale, les soldats « amenés dans les villes pour y assurer le maintien de l’ordre », pourraient faire usage de leurs armes « en cas d’insurrection ». que les soldats qui n’auraient pas tiré sur nous étaient consignés dans leurs casernes par le commandement local, tandis qu’il plaçait face à nous, des tirailleurs fourbus, juste arrivés de leur djebel, en proie à la panique, dans cette grande ville où ils étaient plongés pour la première fois.
Le chef de l’Etat, le chef du Gouvernement, le général qui ont placé là ceux dont ils étaient certains qu’ils tireraient sur « l’insurrection » que nous n’étions pas, sont morts. Espérons que commence le temps des historiens lucides et impartiaux pour lesquels nous n’avons jamais cessé de témoigner depuis trente six ans.
Pour la quatrième fois, nous voici réunis par le souvenir de nos morts, comme nous nous retrouvons, depuis tant d’années dans une église de notre ville ; nos morts du 26 mars 1962 à Alger, mais aussi tous les autres, abandonnés maintenant en terre étrangère ou perdus en chemin depuis notre retour. Je pense là à Monseigneur Lacaste qui conduisait notre premier pèlerinage et à mon amie Marie-Jeanne REY qui s’est tant battu contre l’oubli.
Nos rangs s’amenuisent. Cela rend plus impérieux encore notre devoir d’unir nos forces pour transmettre nos souvenirs, douloureux et fiers, comme un flambeau
Témoignage de Monsieur Jean-Louis SIBEN lors du pèlerinage à Lourdes les 24 et 25 mars 2001
Monsieur SIBEN est vice-président de l’association
Alger, ce lundi 26 mars 1962 –
Les accords d’Evian sont signé depuis une semaine, censés redonner la paix à l’Algérie meurtrie depuis sept ans.
Depuis trois jours, l’armée isole le quartier populaire de Bâb el Oued pour y chercher des commandos OAS, en vain d’ailleurs : c’est une fouille musclée, une opération de guerre qui écrase la population, on casse, on vole en fouillant.
Dans la matinée, un mot d’ordre se propage : grève générale après-midi et rassemblement Place de la Poste à quatorze heures pour former un cortège avec drapeaux, qui marchera vers Bâb el Oued en silence, pour manifester la solidarité de toute la ville avec les malheureuses familles captives.
A partir de midi tout se ferme dans la ville, magasins, administrations, cafés, et bien avant quatorze heures des groupes d’hommes et de femmes, d’enfants, en famille, se dirigent vers le centre avec des drapeaux : ils sont filtrés vers la rue d’Isly par des barrages des forces de l’ordre, CRS et gendarmes mobiles, nombreux et serrés, visages durs, qui laissent passer et pas revenir.
A la Poste, le cortège vite formé, s’ébranle par la rue d’Isly, seule issue – à peine barrée par un mince cordon de tirailleurs qui se replient après quelques discussions : ils se placent le long du trottoir, sur le bord, face à la Grande Poste.
D’autres soldats sont postés le dos aux vitrines des magasins et sur les terrasses. Ils portent le casque lourd, mitraillette et fusil-mitrailleur à la hanche, chargeur engagé.
Le cortège poursuit son chemin, drapeaux en avant, en silence : on n’entend que le piétinement des milliers de marcheurs.
La tête est déjà loin, au-delà de la place Bugeaud, quand, d’un coup, les soldats alignés place de la Poste, ouvrent le feu à bout portant, sans aucun avertissement, à quatorze heures cinquante : le vacarme éclate, assourdissant, infernal.
Les gens se couchent ou courent vers le moindre abri, une façade, une encoignure, un ...caniveau, les rafales les atteignent inexorablement, des mares de sang se forme partout : les plaintes, les cris sont couverts par les détonations, des blessés seront achevés, des sauveteurs tués.
Je suis à plat ventre sur le trottoir de la Poste, devant la petite porte des chèques postaux, déjà blessé, entouré de corps, je ne peux plus rien tenter pour sauver cette vie que Dieu m’a donné ; je la remets entre ses mains avec une courte prière pour ma femme, notre fils, mes parents : une paix bienfaisante m’envahit, je souris au ciel bleu, la seconde balle frappe le crâne sans le perforer.
Les soldats en face de moi rechargent et tirent sans arrêt pendant douze à quinze minutes, comme des fous, certains avec des gestes obscènes, puis s’arrêtent enfin quand plus rien ne bouge : on comptabilisera 2 000 douilles.
Spectacle hallucinant de centaines de morts et de blessés, pauvres corps tombés pêle-mêle, qui bougeaient, priaient, vivaient il y a seulement quelques minutes : 80 morts et 200 blessés annoncés.
Sentiment de désarroi : est-ce bien l’armée, notre Armée si chère qui nous assassine ? Sommes-nous encore des Français ?
Une camionnette des pompiers arrive, sous le feu, qui m’embarque pour l’hôpital de Mustapha.
Après l’enterrement des victimes, bénies par un seul prêtre pour toutes les religions, ce sera l’exode massif des Pieds-noirs en trois mois, ce que le FLN n’avait pas obtenu par ses attentats horribles en sept ans.
Simone GAUTIER
J’ai découvert l’association « Souvenir du 26 mars 1962 » après que l’une de mes amies ait découvert, elle aussi, le site de « Notre Dame d’Afrique » à Théoule sur Mer, à l’occasion d’une simple ballade dans les collines.
Je n’avais jamais vu ou entendu quoi que ce soit au sujet de ce site, et pourtant je réside à Cannes depuis plus de quarante ans et je traverse fréquemment Théoule sur Mer.
J’ai donc décidé d’aller « voir » puisqu’il était question du « 26 mars » ?
Lorsque je suis arrivée sur la petite esplanade, avec une vague idée de ce que j’allais découvrir, j’ai eu devant moi l’image fulgurante de Notre Dame d’Afrique d’Alger, avec son immense esplanade, la vision fulgurante des maisons dévalant les collines jusqu’à la mer si bleue en bas , tellement bleue…Mes grands-mères, tour à tour, nous y emmenaient pour prier pour ma mère.
Et puis je suis sortie de cette lumière éblouissante et je me suis mise à marcher en commençant par la droite pour bien faire tout le tour. Je lisais tout haut chaque nom de chaque plaque, comme dans la basilique d’Alger, où j’avais l’habitude de lire tout bas tous les ex-voto auprès desquels j’aimais m’installer : c’était comme des prières de lire tous ces noms et je faisais de même à Théoules !
Le temps s’arrête quelquefois. J’ai lu tous les noms de chaque côté du chemin, j’ai fait le tour de la statue. J’ai terminé cette boucle et j’ai lu enfin, tout à la fin de cette prière, le nom de mon mari.
Alors je me suis assise sur les marches, j’ai regardé la mer. Je crois que j’ai pleuré d’abord et comme nous étions seuls je me suis mise à lui parler. Je lui ai dit que je ne savais pas qui avait construit ce site, je ne savais pas qui avait posé cette plaque à son nom, je ne savais pas qui étaient ces gens qui l’avaient trouvé et sorti de l’oubli, avait refusé cet oubli des peuples d’exil, je ne savais pas qui étaient ces gens qui avaient honoré sa mémoire pendant tout ce temps ?
Je m’étais installée dans le silence de son absence. En moi, il y avait celle qui ne voulait plus rien partager après une telle violence, qui n’arrivait plus à parler et voulait aussi sans doute préserver de cette façon toute atteinte à son nom. Mourir, ainsi, vient d’un acte si cruel, irréparable, que j’avais refusé toute possibilité de la moindre offense à sa mémoire, de la plus simple parole qui aurait rendu cette douleur banale et je ne pouvais pas aller là où il était parti.
Ces gens-là avaient défendu sa mémoire, l’avaient honoré, avaient refusé l’oubli même dans l’exil et pendant quarante ans ils nous ont accompagnés. Par leur ferveur et leur compassion, et par leur force, ils ont protégé et tenu son nom dans la lumière.
En son nom, au nom de ses enfants et au nom de tous ses petits-enfants, soyez remerciés
Témoignage M. Philippe COOK
Chers parents,
Je remercie Dieu d’être encore en vie après être passé au travers des horreurs et des massacres de la rue d’Isly le 26 mars. Je vous transcris ci-dessous le témoignage que j’ai donné concernant le massacre.
Je témoigne avoir vu le 26 mars 1962, entre 14 heures 40 et 15 heures un cortège de plusieurs milliers de personnes traverser sans difficultés ou résistance un barrage de tirailleurs musulmans et placé au carrefour des rues d’Isly et Pasteur.
Je témoigne que le cortège, hommes, femmes, enfants, sans armes ni hargne mais portant drapeau français n’a jamais eu un cri hostile envers le service d’ordre, ni proféré d’injures ou cris séditieux.
Je témoigne que, la plus grande partie du cortège étant passé, j’ai vu un des tirailleurs, nerveux, armer son arme.
Je témoigne que, pressentant le danger, je lui ai crié « arrêtes, arrêtes ! », mais trop tard.
Je témoigne qu’immédiatement après qu’il ait lâché dans la foule sa première rafale, le massacre des manifestants, coincés dans cette rue où tous les magasins et immeubles avaient fermé leurs portes, a commencé dans un feu d’enfer.
Je témoigne de l’intensité de la fusillade et de la façon systématique dont le massacre a été fait (dernier bilan provisoire : 79 morts – 150 blessés ).
Je témoigne avoir vu des blessés achevés à bout portant.
Je témoigne avoir vu des blessés , qui profitant d’une accalmie, se traînaient pour chercher refuge et échapper à leurs assassins et être pris sous les feux croisés d’armes automatiques.
Je témoigne avoir vu des sauveteurs être abattus froidement alors qu’ils sortaient de leurs abris pour porter secours aux innombrables blessés qui jonchaient la rue.
Je témoigne avoir vu tomber à côté de moi, un homme le foie éclaté par une balle, alors que nous cherchions à accomplir le plus élémentaire des devoirs humains
Je témoigne avoir vu des reporters molestés dans l’exercice de leur fonctions, leurs appareils ouverts et les pellicules et films dévidés sur le trottoir.
Enfin après avoir vu ce que j’ai vu, j’ai la conviction que ce massacre a été préparé, voulu et systématique. Qu’il a été fait « impitoyablement et par tous les moyens » afin « de briser, corps et âmes la résistance française du peuple d’Alger »
Voilà, chers parents le témoignage que j’ai donné aux députés d’Alger mais la voix des témoins a déjà été et sera étouffée. J’ai vu d’autres choses horribles aussi…
J’ai vu ces tirailleurs dont on a la preuve maintenant que ce sont de vieilles recrues de l’ALN fraîchement incorporées, danser en hurlant et en mitraillant des blessés à terre, les décapitant à coups de mitraillette. J’ai vu des blessés ou des rescapés se glisser sous des voitures en stationnement et systématiquement poursuivis et achevés au pistolet mitrailleur.
Mais j’ai vu aussi un soldat musulman rentrer dans le couloir, où on était réfugié, nous mettre en joue les doigts tremblants…nous avons cru que c’était la fin, mais un jeune musulman parmi nous lui a parlé, l’a calmé et a réussi à lui enlever le chargeur de sa mitraillette. Puis, à cause de la tension nerveuse, le jeune musulman a été pris d’une crise nerveuse et s’est accroché au col du soldat et le secouait en criant « mais nous sommes français et tu nous tire dessus !! ».
J’ai vu des crânes éclatés par des coups tirés à bout portant. J’ai vu …et j’ai vu…..
Voilà comment on tue. Voilà on veut briser impitoyablement et par tous les moyens la résistance française en Algérie.
Voilà les ordres de de Gaulle !!!
Au moment de la fusillade, les gendarmes mobiles (du Forum) ont tiré à la mitrailleuse lourde sur la foule affolée qui courait sur la place de la Poste et la fusillade a éclaté aussi rue Michelet, place de l’Agha, toujours sur des foules bloquées par des barrages.
Voilà, tous les moyens employés par de Gaulle.
Je ne vous parle pas de la situation de Bab el Oued : c’est le ghetto de Varsovie. Les blessés ne sont pas soignés, les morts ne peuvent pas être enterrés ni sortis des immeubles qui suffoquent dans la puanteur. Les provisions sont rares dans ce quartier pauvre.
La répression a été sauvage, les appartements saccagés, pillés, les femmes maltraitées, une jeune fille a eu le crâne défoncé parce qu’elle résistait aux traitements que lui infligeaient les gendarmes mobiles. Tous les hommes de 15 ans à 70 ans sont déportés. Il y en a à la caserne d’Orléans, à Béni Messous, au camp du Lido, à Rouïba et maintenant on les déporte vers les camps de l’intérieur, à Paul Cazelles et d’autres coins.
Notre société a perdu tous ses employés habitant Bab el Oued.
Autour de nous les gens tombent sous les balles du FLN ou des forces gaullistes ou bien ils sont arrêtés. Notre voisin père de deux petits enfants a été tué lundi. De Gaulle croit briser notre résistance mais elle est comme l’acier, plus on tape dessus, plus elle résiste.
De Gaulle nous a prouvé que les manifestations pacifiques sont noyées dans le sang par ses mercenaires. Aussi nous engageons le combat et c’est un combat pour notre liberté, pour notre dignité, pour l’honneur de la France, cette France qui se roule dans la vase et dans l’indignité et dans l’inconscience aux pieds des dictateurs sanguinaires.
Son réveil lui sera pénible mais il faudra bien qu’elle se reprenne un jour, qu’elle se remette debout. Je le souhaite du fond du cœur et j’y travaille.
Je suis heureux d’avoir laissé partir Olivier et Christine en France. La place des enfants n’est pas ici en ce moment
Affectueusement
Philippe Cook
Je voudrais que ces témoignages soient envoyés aux parents de France et de Suisse
Nous remercions Madame COOK de nous avoir communiqué la lettre que Monsieur Philippe COOK, aujourd’hui décédé, a adressé à ses parents le 28 mars 1962.
Philippe COOK était cadre à la Société B.P. d’Alger.
Joseph HATTAB PACHA
Ancien Maire de la Casbah d’Alger et Conseiller général d’Alger
Dernier Président du Conseil municipal d’Alger
…., le 24 mars 1994
Madame Marie-Jeanne Rey
LETTRE OUVERTE
Chère Madame,
Je suis le dernier descendant d’une noble famille turque et mes ancêtres ont été installés en Algérie, en tant que Belerbey, par le Sultan de Turquie, au début du protectorat sur ce pays, vers 1515.
Le titre de Pacha que je porte m’a été transmis par mes aïeux.
Ma mère était française, mais je suis né en pleine Casbah dont j’ai eu l’honneur de devenir en 1959 le premier citoyen, ardent défenseur de l’Algérie française sans aucune distinction ni considération ethnique.
J’ai été initié à la politique par le Président Laquière, grand homme pour lequel j’ai un immense respect et que je considère comme mon père spirituel.
Conseiller municipal, maire du 2ème arrondissement (Casbah), conseiller général de la 1ère circonscription, j’ai été après la démission de Monsieur CORBIN, président du conseil municipal du grand Alger, ce qui en provoqua la dissolution par ordre du gouvernement, celui-ci, ne supportant pas l’élection à la présidence d’un partisan de l’Algérie française !
Le16 mars 1962, peu avant 14 heures, je me trouvais, rue d’Isly, dans un magasin proche du cinéma « Le Régent » car j’avais rendez-vous avec un délégué de l’OAS qui devait me conduire auprès du Général SALAN et de Monsieur SUSINI.
En effet, j’avais appris qu’une manifestation pacifique était prévue dans la Casbah et j’y étais opposé, craignant que des agitateurs la détournent de son but en provoquant une confrontation avec les habitants de ce quartier.
Attendant mon contact, j’entendis soudain chanter la Marseillaise. Je sortis et je vis un groupe de militaires français qui barraient le passage à des manifestants portant des drapeaux tricolores.
Voyant parlementer les manifestants avec l’officier dirigeant cette troupe, je me suis présenté, lui demandant de ne pas s’opposer au passage de cette foule patriotique, pacifique et sans armes. Se rendant à nos arguments, l’officier a ordonné à ses soldats de laisser passer la manifestation.
Satisfait je suis retourné à mon lieu de rendez-vous, tout en regardant défiler les manifestants dont des personnes âgées, de nombreuses femmes et même quelques enfants.
Quand la manifestation est arrivée à la hauteur du magasin Prénatal, une brusque fusillade s’est déclenchée, dans le dos des manifestants sur lesquels on tirait à la mitraillette.
J’ai vu les gens crier, tomber, dans un chaos indescriptible. Une jeune femme, portant un blouson de cuir sur le bras, s’est écroulée non loin de moi. Le sol était jonché de cadavres et de blessés dont les cris et les râles me déchiraient l’âme tandis que je restais pétrifié d’horreur.
Quand les tirs ont cessé, après une douzaine de minutes dans un non-temps qui ressemblait à l’Enfer, je me suis précipité pour porter secours, comme bien d’autres et j’ai appris, par des clameurs de désespoir, que le comble de l’abomination avait été commis dans la magasin Prénatal, où on venait de découvrir, entre autres victimes poursuivies et abattues à bout portant, une jeune femme et son bébé !
J’ai constaté, avec l’impression affreuse de vivre là un exécrable cauchemar, que les militaires présents dans les rues adjacentes étaient, en majorité, de type maghrébin, alors qu’à l’époque, tous les jeunes appelés algériens étaient mutés d’office, soit en métropole, soit en Allemagne.
L’évocation de ces événements ci-dessus cités fait saigner en moi des blessures incicatrisables dont la première réside dans le fait d’avoir été le témoin oculaire d’un massacre de patriotes français, qui voulaient seulement, au son de l’hymne national, marquer leur attachement à la Mère-Patrie et qui, pacifiques et désarmés, ont été lâchement assassinés par celle-là même à laquelle s’adressait leur ferveur.
Français d’Algérie, nous aurions tous volontiers donné notre vie pour la France, affrontant tous les périls, prêts à tomber sous les plis du drapeau tricolore, comme dans toutes les guerres au cours desquelles nous avions toujours répondu présents.
Dernièrement à la télévision, chacun a pu voir un ancien résistant, parlant de l’affaire Touvier, s’exprimer sur la douleur et l’indignation de Français, condamnés à mort et exécuter par des Français et tous ceux qui l’ont entendu ont été bouleversés par ses paroles.
Comment qualifier alors, le machiavélisme d’un pays qui a osé condamner ses fils les plus fervents à mourir, lâchement exécutés par des balles françaises tirées dans le dos ?
Mon vœu, et le seul, concerne le triomphe de la vérité malgré l’occultation de nos dirigeants qui ne pourra durer éternellement.
Le Gouvernement français a cru bon de prolonger de 70 ans la prescription sur la diffusion de nos archives. Dans l’Eternité Divine, 70 ans représentent un laps de temps très court après lequel nos descendants pourront voir les prétendus héros, aujourd’hui célébrés, répondre à titre posthume de crime contre l’humanité pour l’infanticide odieux qu’ils ont cru pouvoir perpétrer en toute impunité et les événements sanglants qui, encore aujourd’hui, en découlent.
Je vous remercie sincèrement pour la mise en exergue de notre martyr.
Et vous prie d’accepter, Chère Madame, l’expression de mes respectueux hommages.
J. Hattab Pacha
Voir en ligne : http://www.clan-r.org/portail/26-ma...