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PROFESSEUR CHAULET
PROFESSEUR CHAULET
Itinéraire d’un homme accompli au service des autres
Un médecin journaliste dans la guerre
« Quand la presse est libre, cela peut être bon ou mauvais. Mais assurément sans la liberté, la presse ne peut être que mauvaise. Pour la presse comme pour l’homme, la liberté n’offre qu’une chance d’être meilleur, la servitude n’est que la certitude de devenir pire. » Albert Camus
Le vieil homme parle avec respect de l’itinéraire des combattants de la liberté. Les Chaulet sont des gens extraordinaires, lance-t-il. Sid Ahmed Hassam, vieux militant de la cause nationale, évoque le sacrifice consenti par les Chaulet « qui auraient pu se contenter d’une vie douillette, mais sont allés au charbon, sans se poser de questions ». Ils sont restés fidèles et attachés à leur terre qu’ils n’ont cessé d’aimer. « Ils ne sont pas du genre à étaler leurs faits d’armes. Ils sont discrets, presque effacés », prévient l’octogénaire.
Ces appréciations se sont vérifiées lorsque nous sommes partis à la rencontre de cet illustre personnage, modèle de simplicité et de modestie. Lorsqu’il nous reçoit à son domicile envahi de livres et de documents, le professeur insiste d’abord sur le devoir de mémoire et la nécessité de reproduire les précieux ouvrages sur la guerre de Libération qu’il détient, et qui ne sauraient se perdre avec l’usure du temps. Pierre Chaulet parle de ces années de feu où il s’est engagé en faveur de la cause spontanément, nourri qu’il était par une culture de la lutte pour la liberté et la justice. « J’ai été très jeune éveillé aux problèmes sociaux », avoue-t-il. C’est qu’en dehors de l’école, en 1940, Pierre était entré dans les Scouts de France. La suite se fera par l’influence de la famille, dont le père Alexandre est né lui aussi en Algérie, fondateur des premiers syndicats. Celui-ci a été à l’origine de la mise en place en 1941 de la première Caisse d’allocation familiale et des assurances sociales.
Il est mort en 1963 après avoir dirigé la 1re Caisse nationale de sécurité sociale de l’Algérie indépendante. Pierre a baigné dans l’atmosphère des revendications sociales.
Une renommée internationale
« Mes parents se trouvaient directement concernés par l’infériorité sociale des petits fonctionnaires employés ou ouvriers européens, sensibilisés par cette inégalité, et par l’insécurité des non possédants. Au soir du 1er novembre 1954, lorsque Mohamed Laïchaoui, journaliste et militant MTLD, est venu m’apprendre le début de la lutte armée, il était clair pour moi que j’étais non seulement solidaire d’un camp, mais dans un camp.
Je n’avais pas à faire de choix. Il y avait deux camps et je ne pouvais rester dans les tribunes. » Il avait 24 ans et venait de terminer ses études de médecine.
Né à Alger, à la rue Monge près de la Grande Poste, à l’année de la célébration du centenaire de la colonisation, de parents eux-mêmes nés en Algérie, Pierre était responsable des mouvements de jeunesse chrétiens. « Je n’appartenais à aucun parti. Je ne parlais pas arabe.
J’avais un avenir simplement tracé de promotion sociale, par les études universitaires. » « Le premier choc psychologique a été pour moi de découvrir l’inégalité politique en Algérie et le mensonge institutionnel concrétisé par le statut imposé par le pouvoir français à l’Algérie en 1947.
Le second choc, ce fut la découverte de la misère dans les bidonvilles d’Alger. » C’est ainsi que durant l’hiver 1951, les responsables de mouvements de jeunesse organisent à Alger une série de réunions visant à élaborer un programme d’actions commun. Les premières réunions ont lieu dans l’arrière-salle du café de la Marsa à côté de la grande mosquée. Il y avait toutes les tendances dont les jeunes nationalistes comme Belaïd Abdeslam, Lamine Khène, Omar Lagha, Mahfoud Kaddache, Salah Louanchi, Réda Bestandji, Drareni, Yaker, Bourouba... Il y avait l’Association de la jeunesse algérienne pour l’action sociale (AJAAS).
« On voulait s’unir, mais les tentatives avaient foiré. » D’aucuns voulaient intégrer la World Association of Youths (WAY) inféodée à l’Ouest, alors que de l’autre côté, la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, proche de l’URSS, semblait attirer davantage de monde. L’idée a germé de créer un front national de la jeunesse algérienne. Une plate-forme pédagogique d’échanges a été mise en place, animée par les Kaddache, Louanchi, Abdeslam, Pierre Roche, Françoise Becht, Eveline Safir et Chaulet...
« On a commencé par le thème de la faim en Algérie, par le chômage, ensuite le colonialisme... Cela a duré de 1953 à 1956. » « Lorsque la zone autonome s’est organisée, je venais de me marier.
J’ai rencontré Abane dans le domicile de Bouda, au Ruisseau. C’est là que je lui ai fait une interview en présence de mon épouse, de Chergui Brahim et Louanchi. Là, on s’est accrochés quand j’ai dit à Abane qu’on était Algériens.
Suspicieux, il n’a pas voulu nous croire malgré les assurances des présents. Le lendemain, il nous met à l’épreuve en nous chargeant de le transporter. On est vite devenu des amis. On a fait par la suite, des voyages ensemble. On était l’illustration que la guerre n’était pas raciste ni confessionnelle, que des gens génétiquement pas Algériens se considéraient comme tels, en tant que partie prenante de l’Algérie en combat. »
Après 1955, le jeune médecin effectua un travail sanitaire, de manière clandestine. « J’ai amené le commandant Azzedine chez un médecin européen pour se faire extraire des balles à la jambe. » En juin 1956, Abane exprime le vœu de sortir un journal, sorte de brochure ronéotypée dans lequel il fait écrire tous les Responsables. C’était la voix de l’intérieur, puisqu’à l’extérieur il y avait résistance algérienne. Pierre se souvient de son premier papier intitulé Sahara français : un mirage. « C’était juste après les premières découvertes du pétrole.
Il fallait contre-attaquer et vite. » Ce travail de journaliste le passionnait. Il eut à rencontrer bon nombre de journalistes étrangers, Robert Barrat, Georges Pinchenier, des Japonais... Pour la propagande extérieure, l’Algérie combattante ne pouvait se passer de cet outil, de même que les contacts avec les avocats de renom tels que Pierre et Renée Stibbe, Henri Douzon avec lesquels, Pierre avait des contacts réguliers. « Au retour du congrès de la Soummam, le convoi qui transportait les documents de la plate-forme, ayant été fait prisonnier, il nous fallait rapidement publier le contenu dans le n° 4. Ce qui a été fait. » Le n° 7 était en préparation, Ben M’hidi devait y écrire un article sur la minorité coloniale. Ce numéro n’est jamais paru après son arrestation par les paras de Bigeard. Saâd Dahlab a pris la relève avec la nouvelle version n° 8 qui est sortie le 5 août 1957 à Tanger. Avec l’arrêt de Résistance algérienne, El Moudjahid devient le seul organe central du FLN qui ne sera plus ronéotypé, mais imprimé.
Le témoignage de Réda Malek
Bien avant ces péripéties, en 1956, lors du détournement de l’avion et l’arrestation de Ben Bella et ses compagnons, Pierre a été arrêté parce que son nom figurait sur le carnet d’adresses de Khider. Fin février 1957, de nouveau arrêté, emprisonné pendant deux mois puis expulsé en France, où Pierre a préparé sa thèse de doctorat en décembre 1957 sous le thème « Cancer bronchique primitif, gynécomastie, pérostite des os longs ». Puis, Pierre rejoint sa femme et son fils à Tunis. « J’y ai trouvé Abane qui m’avait demandé un an auparavant de faire un travail sur la santé en Algérie. Je le lui ai remis. Après avoir travaillé avec les réfugiés, j’ai été affecté à la rédaction avec Moussaoui, Fanon, Réda Malek. Quand Abane est parti pour ne plus revenir, c’est Boumendjel qui a assuré la coordination. » Claudine, mon épouse s’est trouvée mêlée à notre activité. Elle a contribué à transporter les militants. Lorsque j’ai été arrêté en 1957, c’est elle qui a transporté Abane jusqu’à Soumaâ près de Blida. « N’oublions pas que le document de la plate-forme d’août 1956 adopté à Ifri au congrès a été transporté dans les langes du nourrisson de Claudine, l’épouse de Pierre et que le couple a évacué à l’époque Abane lorsque l’étau se resserrait autour du CCE. Ces faits sont significatifs de leur total engagement. »
A Tunis, Claudine s’est occupée du foyer des moudjahidate et du rapatriement des réfugiés que Pierre allait visiter aux frontières aux côtés des docteurs Mentouri Haddam, Abdelwahab, Oucharef... Médecin le matin, rédacteur le soir, Pierre avait un programme bien chargé, d’autant qu’il s’est occupé aussi des archives et a contribué à la réalisation de films avec Chanderli. Réda Malek ne tarit pas d’éloges sur son ami de longue date. « Il est prétentieux de porter un jugement sur un homme tel que Pierre Chaulet. C’est son parcours et ses actes qui parlent pour lui. Qu’il me suffise de dire que je m’honore de notre longue amitié et c’est à l’honneur de l’Algérie de compter parmi les siens un homme de cette qualité. Son sens précoce de la justice face aux inégalités s’est aiguisé au fil des ans et s’est épanoui au sein de la Révolution algérienne. Au journal, il s’est signalé par la clarté de ses analyses, son sens critique, la richesse de ses appréciations, le tout tempéré par un humour. De plus, il est d’une rare modestie. Après l’indépendance, ce spécialiste des problèmes de santé a toujours plaidé inlassablement pour les réformes dans ce domaine. Il est devenu un des maîtres renommés de la lutte anti-tuberculeuse en Algérie où il a contribué à la quasi-éradication de cette maladie. Ce qui frappe le plus en lui, c’est qu’il a toujours été à la hauteur de ses convictions et de ses idées. Ce qui suppose une force de caractère et une disponibilité à toute épreuve. » A l’indépendance, Pierre reprend son métier à l’hôpital Mustapha. « J’y ai retrouvé le professeur André Levi Valenti, grand patron du service qui est resté jusqu’en 1965. C’est avec mon ami Larbaoui que nous avons assuré la soudure et la continuité. »
Un regard critique
Sur le plan politique, cela n’allait pas très bien à l’époque. La crise de 1962 venait assombrir l’horizon. « Je n’avais pas à prendre parti, j’étais simple militant de base, élu. On disait ce qu’on pensait, jusqu’au moment où le FLN nous a abandonnés. Il y avait une coupure due aux querelles d’appareil. Il n’y avait aucune raison de faire du suivisme. On nous a dit : Rentrez chez vous. On vous appellera dès qu’on aura besoin de vous. On avait tout de suite compris. » Pierre a vécu douloureusement la décennie noire qui a vu l’Algérie emportée dans un cycle infernal de violence qui a coûté la vie à des milliers d’Algériens. « Il y a deux phénomènes qui m’ont fait fuir mon pays : les paras et les barbus.
En 1994, j’étais sur une liste de gens à abattre. Mon nom était affiché à la mosquée de Zéralda. J’avais toutes les raisons d’être la cible car en plus d’être non musulman, j’étais médecin et un danger pour les affairistes du médicament. » Douloureuse parenthèse entre 1994 et 1998 où il a dû quitter l’Algérie. Son regard sur l’Algérie de 2006 ? « Il y a beaucoup de choses positives qui ont été faites, mais on doit se résoudre à la mondialisation. La marchandisation de la médecine me fait peur. » La santé et la résurgence des maladies du passé ? « Il n’y a pas résurgence. C’est une évolution normale. Car la proportion des jeunes et des vieux a changé, entraînant une transition épidémiologique. S’agissant de la tuberculose, son relatif retour est lié à la pauvreté qui est une réalité dont on doit tenir compte. Doit-on se résigner à une médecine à deux vitesses ? On ne peut plus fonctionner sur le principe de la médecine gratuite, mais il faut faire en sorte que les inégalités économiques ne se répercutent pas sur le droit à la santé, qui est un droit constitutionnel... »
Parcours
Pierre Chaulet est né à Alger en 1930. Jeune, il adhère au scoutisme catholique. Pierre s’est éveillé très jeune aux problèmes sociaux. Il s’est engagé dans la lutte armée aux côtés du FLN, alors qu’il était jeune médecin. Arrêté à deux reprises, il a été expulsé en France. Il rejoint le FLN en Tunisie où il poursuit ses missions de médecin et de rédacteur d’El Moudjahid. A l’indépendance, il rejoint l’hôpital Mustapha où il tient un important service. Il a grandement contribué à l’éradication de la tuberculose. En 1992, il est sollicité par Boudiaf. Il est nommé conseiller au Premier ministère aux côtés de Belaïd Abdeslam et Réda Malek. Il est membre du Conseil national économique et social (CNES).
Par Hamid Tahri