Economie et religion : Une cohabitation forcée
Quand les pratiques économiques se heurtent aux valeurs religieuses, l’on peut se demander si l’économie et la religion peuvent cohabiter.
Dans le cas des projets Ansej, Fares Mesdour, spécialiste de l’économie islamique et professeur à l’université de Blida, se demande si « le gouvernement ne pourrait pas simplement supprimer le taux d’intérêt minime de 1% qui rend réfractaire à ce dispositif certains jeunes soucieux d’éviter les pratiques usuraires.Les spécialistes de l’économie ne partagent pas cet avis. « 1% est un taux symbolique qui se justifie pour couvrir les frais bancaires inhérents à la gestion des dossiers », nous dit un économiste qui se veut contre l’idée de le supprimer complètement. D’ailleurs, dit-il, « il est en deçà de ce qu’il devrait être, c’est-à-dire à 6% ou 7% en tenant compte de l’inflation » et « il ne grève pas les ressources du bénéficiaire ».
Selon lui, le dispositif Ansej revêt déjà une forme « généreuse » qui n’existe nulle par ailleurs et si des facilités sont accordées « c’est pour créer de la croissance et diversifier notre économie, sinon le crédit peut s’apparenter à une perte pour la collectivité nationale ». Selon lui, « les jeunes doivent rembourser leur crédit, ce qui relève d’un acte citoyen ». Pour ce professeur en économie, l’argument de la riba qui est invoqué « est inapproprié », car « il ne faut pas confondre le taux d’intérêt qui est le prix de l’argent et qui tient compte de l’inflation avec l’usure qui est une pratique immorale et inacceptable ». Le taux d’intérêt est « conforme à la moralité parce qu’il permet de préserver la valeur de l’argent », précise-t-il, en estimant qu’on pourrait le supprimer éventuellement si les projets d’investissement sont orientés vers l’agriculture ou l’élevage.
Les impératifs économiques peuvent-ils pour autant s’accommoder des spécificités religieuses ?
En réalité, pour M. Mesdour, l’économie et la religion ne sont pas incompatibles. D’ailleurs, « dans le Coran, nous retrouvons des versets qui traitent aussi bien de l’économie que du social et notre religion nous apprend l’économie et l’éthique ». L’économie éthique est d’ailleurs devenue « une préoccupation même aux Etats-Unis et en Europe où on y parle carrément de banques éthiques (ethic bank) ». A la Bourse de Wall Steet, il y a « un indice Nasdaq Islamique parce que la finance islamique est pratiquée là-bas », explique notre interlocuteur. Cela pendant qu’en Algérie, on continue à « fermer la porte » aux banques islamiques », dit-il.
Adapter le cadre réglementaire
Nacer Hider, secrétaire général à Al Baraka Banque, rappelle pour sa part que sous d’autres cieux « quand l’économie évoluait en marge de la sphère religieuse, elle a donné lieu à une activité économique organisée indépendamment de certaines éthiques morales et religieuses ». En raison de la crise financière de 2008, les économies occidentales « ressentent maintenant l’effet de cette séparation », car elle est un exemple édifiant de ce qu’engendre « l’absence des valeurs morales dans l’exercice de l’activité économique et financière ». Qu’en est-il de l’Algérie ? « Nous avons hérité d’une organisation économique, financière et bancaire calquée sur l’organisation occidentale, mais chez nous, elle se heurte à des résistances d’ordre culturel et religieux », observe le responsable d’Al Baraka. Du coup, pour « conjuguer ce mode de fonctionnement de l’économie avec notre vocation culturelle et religieuse spécifique », les pouvoirs publics « doivent favoriser l’émergence de pratiques bancaires et financières compatibles avec l’Islam ».
Il s’agit « d’adapter le cadre légal et réglementaire existant et aménager en son sein un espace qui puisse intégrer les produits compatibles avec la charia en leur préservant leur spécificité ». Le but final étant, selon notre interlocuteur, qu’ils puissent exister « en conformité avec les lois et les règlements en vigueur dans le cadre d’un ensemble harmonieux qui ne négligerait aucune composante ». Aujourd’hui, les banques islamiques ne sont pas nombreuses en Algérie. Al Baraka qui représente 95% de parts de ce marché ne collectait en 2009 que 1% des ressources par rapport au marché global et ne représentait que 2% des crédits octroyés.
Voir en ligne : http://www.elwatan.com/economie/eco...