Algérie-Libye : Rôle trouble et peur de la contagion démocratique

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Plus que l’incendie de l’ambassade d’Algérie à Tripoli par des rebelles triomphants et en colère, c’est les drapeaux algériens brandis auparavant par les partisans d’El Gueddafi à chacune de leurs manifestations qui interrogent sur le rôle trouble de l’Algérie officielle dans ce soulèvement du peuple libyen contre son tyran.
L’accueil de la famille El Gueddafi conforte les suspicions, voire les certitudes sur son implication avec ce dernier. La confirmation de cet accueil, par les autorités algériennes qui en avaient auparavant violemment démenti son annonce par les rebelles, jette encore plus le discrédit sur les précédents démentis d’un soutien militaire au dictateur que les rebelles n’ont cessé de dénoncer. Il est vrai par ailleurs qu’il fallait que les Algériens aient été très loin dans leur soutien à El Gueddafi pour se sentir obligés d’accueillir sa famille et personne ne croira que celle-ci est venue se hasarder aux frontières algériennes. Il s’agit bien d’une mise à l’abri concertée qui, même involontairement, va rassurer plus encore le dictateur dans son désir de « brûler la Libye », comme il l’a déclaré. Ces réfugiés reconnus en cacheraient-ils d’autres ? Ce fourvoiement de l’Algérie qui, en plus de son isolement, se trouve maintenant obligée de boire la coupe jusqu’à la lie en rejoignant tête baissée un strapontin au groupe de contact sur la Libye est guidé par la seule peur de la contagion démocratique.

Cette même peur qui avait déjà conduit le régime algérien à soutenir jusqu’à la fin Ben Ali et à être le dernier à prendre acte du changement de régime. L’argument nationaliste sourcilleux de l’ingérence occidentale, notamment française et du besoin de la contrer, ne pouvait pourtant pas être invoqué comme il l’est aujourd’hui pour la Libye puisque Ben Ali a été justement porté à bout de bras jusqu’à la fin par la France dont il était le meilleur allié dans la région. Mais qui mieux que l’Algérie a joué le plus objectivement en faveur d’une intervention étrangère en sabordant toute alternative de changement qui n’épargnait pas El Gueddafi et qui ne faisait pas de son maintien au pouvoir une condition alors même que tout indiquait à quel point sa personne cristallisait toutes les haines ? Ne se suffisant pas de ses propres canaux, y compris occultes, l’Algérie a fait de l’Union africaine une machine de combat diplomatique au service d’El Gueddafi au travers, notamment du commissaire à la paix et la sécurité qui a été le pivot de toutes les initiatives de l’UA pour la Libye et les a conduites en personne.

Sous l’habit du diplomate africain, se trouve un diplomate algérien de longue date qui, lors de son investiture en 2008 en tant que commissaire africain, succédant à un autre Algérien, a d’abord pensé à remercier « l’implication personnelle du président Bouteflika » dans sa désignation. Ce soutien ne pouvait même pas se justifier par de quelconques intérêts nationaux fussent-ils étroits, l’Algérie ne pouvant avoir de voisin plus indésirable qu’un El Gueddafi et pas seulement pour ses réactions imprévisibles. Faut-il rappeler l’instabilité générée par son instrumentation des révoltes touareg ou sa remise en cause de l’intégrité territoriale algérienne, notamment ses territoires Sud avec son projet d’Etat saharien dont il revendiquait la paternité et incluant le Sahara algérien, l’hébergement et l’armement d’islamistes algériens, les multiples incursions armées en Algérie et même une invasion armée de son territoire en 1997 sans compter son exploitation irrationnelle et unilatérale des ressources transfrontalières (hydrocarbures et eau fossiles) menaçant les intérêts algériens et tunisiens et faisant de la frontière algéro-libyenne une source d’instabilité permanente ?

C’est le désir de survivre à la vague démocratique dans le monde arabe qui conduit le régime algérien et Bouteflika en particulier à « amnésier » la dangerosité d’un El Gueddafi qui, après la chute de Ben Ali, constituait le dernier verrou de protection d’un régime qui, avant d’être stoppé par cette vague, emboîtait le pas aux deux dictateurs. Il faut rappeler comment Bouteflika ne s’est plus encombré des quelques habillages institutionnels conférant au régime un semblant de rationalité, comment il a violé la Constitution pour s’octroyer une présidence à vie ou, comment il a préparé une succession filiale au profit de son frère Saïd qui avait déjà le statut d’un Seïf El Islam local. Mais les affinités de Bouteflika avec El Gueddafi vont au-delà.

Tissées dans les années 1970 où Bouteflika était l’inamovible ministre des Affaires étrangères et réactivées par ce dernier à son accès à la présidence, convaincu que son poids sur la scène nationale dépend de la densité de ses réseaux internationaux, elles ont épousé l’affairisme frénétique des deux régimes : Seïf El Islam, qui a avec Saïd Bouteflika la proximité des dauphins désignés, a également de gros intérêts à Tlemcen, ville d’origine des Bouteflika et d’une partie importante de la nomenklatura, dont le luxueux hôtel Mariott n’est qu’une partie visible. Même la fiancée de Seïf est une Algérienne d’une famille proche du sérail, c’est dire la proximité. On sait aujourd’hui que la famille d’El Gueddafi, comme celle de Moubarak ou Ben Ali, a amassé une fortune parmi les plus grandes au monde.Qu’en saura-t-on demain sur les dirigeants algériens ?

C’est cela qui donne de l’indécence autant aux anciens dirigeants libyens qu’aux dirigeants algériens lorsque, réduisant la révolte populaire en Libye à l’intervention de l’OTAN, ils prétendent défendre les intérêts nationaux contre cette dernière accusée d’en vouloir seulement à « leur » pétrole. Or, les pays occidentaux et leurs compagnies n’avaient pas besoin d’une armada armée. El Gueddafi leur avait déjà donné tout le pétrole qu’ils voulaient. Choukri Ghanem, protégé de Seïf qui l’a imposé à la tête de la compagnie nationale des pétroles (National Oil Company) et aujourd’hui réfugié en Italie, avait totalement libéralisé le secteur pétrolier au profit des Occidentaux. Juste avant la révolution, 50 compagnies pétrolières, à écrasante majorité occidentale, activaient dans le pays avec une part de lion à l’ENI italienne et Total la française et autour de 5 milliards de dollars étaient investis chaque année par ces compagnies dans le secteur pétrolier sur lequel se portaient quasi-exclusivement les IDE.

L’Occident avait tout fait en retour pour réhabiliter El Gueddafi et conforter son pouvoir : depuis les visites spectaculaires dans toutes les capitales européennes où le tapis rouge lui fut déroulé, la nomination par les Etats-Unis d’un premier ambassadeur depuis 36 ans jusqu’à l’élection de la Libye comme membre non permanent du Conseil de sécurité en 2008 avec attribution de la présidence tournante. On sait aujourd’hui également comment El Gueddafi a mis tous ses moyens au service de la CIA et comment les USA, au mépris du respect des droits de l’homme, renvoyaient au colonel ses opposants islamistes.

L’Occident se serait bien accommodé, comme il l’a longtemps fait, d’El Gueddafi et des autres dictateurs arabes. Le fait est que, déstabilisés par leurs propres sociétés civiles, ces régimes ne peuvent plus lui être des appuis fiables dans un contexte de compétition féroce imposée par la mondialisation. Ils ont bien raison d’en vouloir aujourd’hui à l’Occident pour son ingratitude. Il récompense mal leur servilité.

 

Ali Bensaäd (Enseignant-chercheur CNRS-Iremam, Aix-en-Provence et CNRS-Centre Jacques Berque, Rabat)
 

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