Barricades pour un drapeau (mis à jour)
Lorsqu’on lit la version dite « officielle » du Service Historique de la Défense qui reprend la narration écrite par Bernard Droz et Evelyne Lever on ne peut s’empêcher d’être en colère.
Après avoir pris connaissance des témoignages qui suivent, et qui ont été reconnus par nombres de journalistes présents à Alger ce jour-là, nous ne pouvons – et nous ne devons - pas accepter cette version qui n’est pas la vérité historique même s’ils la veulent officielle.
Pour que chacun de nous – en tous cas ceux qui n’ont pas vécu ce 24 janvier 1960 – ait une approche plus fidèle de ces évènements, il faut impérativement lire le reportage « en live » que nous livre Paul Ribeaud dans son ouvrage,
« Barricades pour un drapeau » paru aux éditions La table ronde en avril 1960.
Vous trouverez, en italique,
tous les dialogues ou passages des chapitres qu’il a écrits et qui sont d’une importance capitale dans le déroulement de cette journée tragique.
Les photos qu’il a prises à cette époque et qui accompagnent son témoignage ainsi que
des pages entières photocopiées pour que même une seule virgule de son récit reste inchangée.
Sa présence auprès des personnages clé de cette journée des barricades, des quelques jours qui lui ont précédés, et de ceux qui ont suivi, en font un témoignage d’une grande véracité par son impartialité.
Il a fini d’écrire ces journées de janvier 1960, en mars 1960 et les a publiées en avril 1960.
Paul Ribeaud est journaliste, collaborateur de Paris Match et d’autres agences de presse internationales. Son frère Guy Ribeaud, fervent gaulliste, est depuis 1954 l’homme de confiance de Chaban-Delmas et l’un des personnages influents des Républicains Sociaux.
Bien introduit dans les milieux politiques, Paul Ribeaud obtient toujours les informations qui le feront se trouver au bon endroit et à la bonne heure pour saisir l’évènement.
C’est ainsi qu’on le retrouvera le 11 mai 1958, à la veille du coup d’état qui a fait chanceler la IVème République, dans l’avion du Ministre de la Défense nationale Chaban-Delmas pour inaugurer à Philippeville « l’Ecole des cadres pour la Guerre révolutionnaire, dite subversive ».
La révocation de Massu
Ce 20 janvier, il attend avec d’autres reporters dans le hall de l’Hotel Raphaël à Paris, le général Massu qui sera limogé par De Gaulle après l’interview qu’il a donnée à Kempski, journaliste au Süddeutsche Zeitung. Tous les journalistes ayant essayé d’approcher Massu savent qu’il n’a jamais voulu donner d’interview. Que son limogeage intervienne après cet entretien ne peut que confirmer la réalité de l’entretien.
Toujours prêt à saisir l’évènement, il part le 22 janvier pour Alger où il doit séjourner un ou deux jours avant de se rendre à Reggane, sur les informations d’un responsable de la Base, pour assister à l’explosion imminente de la première bombe atomique française. Il est, bien sûr, à cent lieues de se douter du climat bien plus explosif qui règne à Alger.
Assis à ses côtés, dans la voiture qui le conduit à Orly, le député d’Oran Portolano lui confie :
« Nous sommes foutus. On veut relever Massu de son commandement. C’est de la folie, on veut mettre Alger à feu et à sans. »
Dans la caravelle d’Air France se trouvent également Laradji et Lauriol tous deux également députés d’Algérie .Ils viennent d’être reçus séparément par De Gaulle et sont très mécontents des propos que leur a tenus le chef de l’État.
Lauriol répète à Ribeaud ce que De Gaulle lui a dit :
« L’Armée ne fait que des conneries, elle a fait l’affaire Dreyfus, elle a fait Pétain et maintenant elle veut faire l’intégration. Cent mille morts fellagha glorifient une cause. les magistrats des tribunaux militaires sont des incapables et des médiocres qui font une répression sans nuance, ce ne sont que des exécuteurs de hautes œuvres. Les musulmans ne seront jamais des français, ils détestent les français d’Algérie, ils attendent de moi que je leur ramène Ferhat Abbas. »
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Son premier soupçon s’éveille lorsque, se rendant à l’état major d’Alger au quartier Rignot il voit les C.R.S. contrôler l’entrée de tous les visiteurs.
« Je trouvais un tout petit peu anormal que des militaires se faisaient garder par des C.R.S.. »
Alors qu’il vient demander un passage sur un avion militaire pour Reggane au colonel Gardès, celui-ci lui déclare :
« Ribeaud, je vous aime bien depuis votre aventure marocaine (j’avais été enlevé par l’armée de libération), je crois que vous devriez retarder votre départ. Je crains qu’il ne se passe à Alger de graves évènements si Paris ne fait rien pour les prévenir. Votre voyage au Sahara peut attendre quelques jours. Ce n’est pas si urgent si vous connaissez la date prévue pour l’explosion. »
Il est convaincu qu’il se passe quelque chose de grave lorsqu’il voit les forces de police déployées tout autour du G.G. Il décide finalement de rester et se rend chez son ami Jacques Laquière qui va l’héberger le temps de son séjour.
Dès lors, en quête de renseignements, il parcourt la ville du G.G, au Forum, du bureau des députés, à la rue Laferrière, du monument au morts à l’hôtel Aletti.
« L’hôtel Aletti est le seul endroit d’Alger où voisinent le sympathisant FLN, l’activiste, le député musulman condamné à mort par le FLN, le libéral, le militaire, le policier, le souteneur, la femme du monde et la fille soumise. L’Aletti n’est pas tout Alger, tant s’en faut, mais véritable Sodome à lui tout seul, il explique qu’à Alger tout soit possible. Dans cette ville de 800 mille habitants où foisonnent des hommes de paille, des maquereaux, des hommes politiques vénaux, de vrais policiers et des gardes du corps payés à la journée, des tueurs à gages et des fonctionnaires de tout acabit, tout peut se produire même l’imprévisible.
L’imprévisible, ce n’était pas une manifestation de masse, elle était prévue depuis longtemps. Depuis plusieurs mois avait été déposé sur le bureau du Premier ministreun rapport sur l’état d’esprit d’Alger dans lequel tout était prévu. Ce rapport était signé Delouvrier. L’imprévisible, c’était le nombre de morts. »
23 JANVIER 1960
Au 4, boulevard Laferrière, dans le bureau des députés d’Alger, les parlementaires viennent de signer une déclaration qu’ils vont remettre à Paul Delouvrier.
Les parlementaires soussignés présents à Alger considérant que le gouvernement actuel de la Vème République ? par des violations permanentes tant de la lettre que de l’esprit de la constitution a peu à peu transformé le régime de la France pour aboutir en fait à l’institution d’un pouvoir personnel, parfaitement éclairés maintenant par les déclarations faites à leurs collègues Portolano, Laradji et Lauriol par le général De Gaulle sur l’usage que l’on prétend faire d’un tel pouvoir en ce qui concerne le règlement du problème algérien,
« Considérant que cet usage conduit inéluctablement à trahir la confiance des musulmans qui se sont donnés à la France et aboutit à la dislocation et à la ruine de l’Algérie et de la France toute entière,
« Conscients d’exprimer en pleine communion avec les élus locaux, mieux que quiconque, les sentiments français et la volonté française des populations qu’ils ont l’honneur de représenter, font connaître à) Monsieur le Président de la République qu’ils lutteront de toutes leurs forces contre la poursuite d’une telle politique à la fois illégale et illégitime.
Signé :
Boualem, Bouabsa, Marquaire, Laradji, Kaouah Ioualalem, Marçais, Arnuf, Vinciguerra, Paulian et Canat.
Le Délégué général leur demande instamment de ne pas rendre public ce texte. Ils acceptent d’en retarder la publication pendant 48 heures et font état de la manifestation qui en découlerait.
« Je m’y oppose, répond Monsieur Delouvrier. Si les manifestants passent outre et si la manifestation risque d’engendrer le désordre, je donnerai l’ordre de tirer. »
Le lendemain matin, P. Ribeaud assiste dans leur bureau, à la discussion entre les députés et Lagaillarde au sujet de la déclaration qu’ils ont écrite. Lagaillarde se saisit du texte , sort du bureau des députés et au pas de course, Ribeaud sur ses talons, entre, quelques mètres plus loin, à l’Otomatic dont les grilles sont au trois quart fermées comme la plus part des magasins. La grève générale est déclenchée à Alger.
Ribeaud écrit :
« Assis en face de moi, Lagaillarde appelle un étudiant qui se trouve dans le café.
"-Téléphone à l’ AFP afin qu’ils envoient quelqu’un chercher un communiqué."
Avec un crayon il remplace les "nous" par des "je" et signe le texte de son nom après avoir rayé celui des autres députés.
Il déclare ensuite à quelques fidèles réunis autour de lui :
« Tenez-vous prêts pour cet après-midi ; même si Ortiz et les anciens combattants ne bougent pas, nous déclencherons notre manifestation. »
Après avoir déjeuné d’un sandwitch, Lagaillarde se rend aux Facultés en entrant par la rue Edouard-Cat qui longe les bâtiments. Sur le perron, il emprunte un escalier à droite qui mène au premier étage, traverse une salle de cours encombrée de bureaux, ouvre une porte, suit un petit couloir, ouvre une seconde porte à droite et pénètre enfin dans le petit bureau qui deviendra son poste de commandement.
Pendant ce temps Joseph Ortiz, Jacques Susini et Jacques Laquière préparent leur manifestation au deuxième étage du numéro 1 de la rue Charles Péguy et angle boulevard Laferrière dans l’immeuble où se trouve la banque de La Compagnie Algérienne.
Ortiz est décidé à réagir au limogeage de Massu.
Il est à noter que, si les troupes de Lagaillarde se chiffrent seulement à 15 ou 20 fidèles ce 23 janvier, dans les milieux bien informés de Paris et d’Alger on sait que Ortiz a sous ses ordres entre 5 000 et 10 000 hommes armés.
« Personne ne sait encore que c’est ici que sera le cerveau de la manifestation. »
Il est 3 heures de l’après midi. 200 ou 300 jeunes sont massés juste en dessous du tunnel qui relie la rue Berthezène au boulevard Saint Saëns et à la rue Michelet. Ils scandent "Algérie française !" " C’est Massu qu’il nous faut !" " De Gaulle au poteau"
Les gendarmes de la police d’Alger leur disent : pas de grabuge ….
« Soudain Lagaillarde apparait sur la bordure des Facultés. Déjà il est maîtres des bâtiments qu’il occupe à lui seul. »
Le général Challe lance des appels au calme que France V répète toutes les trente minutes
L’après-midi s’écoule sans autre incident.
A la nuit tombée les CRS ont transformé l’immeuble du G G en dortoir.
« Devant l’entrée deux cars blindés étaient rangés. Des fusils-mitrailleurs étaient braqués en direction du Forum et des escaliers qui descendent vers la mer.
Dans les deux camps on était prêt pour l’épreuve de force.
Un peu avant minuit, je quittais le bureau des députés où l’on siégeait en permanence. Kaouah venait de déclarer de sa voix triste :
S’il y a une manifestation il faut surtout qu’elle se déroule dans le calme sinon il vaut cent fois mieux qu’il n’y ait pas de manifestation.
Tous les députés, Biaggi compris, partageaient cette opinion. Mais les députés n’avaient pas le pouvoir d’empêcher la foule d’Alger de marcher vers le Plateau des Glières. »
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24 JANVIER 1960 - DES FRANÇAIS TIRENT SUR DES FRANÇAIS
Ce 24 janvier, tôt le matin, une partie des 500 mille tracts imprimés pendant la nuit sont éparpillés au dessus d’Alger, jetés d’un petit avion de tourisme qu’une escadrille de chasse se charge de faire atterrir rapidement.
Les algérois pourront lire ce texte.
« Français d’Algérie,
Le dernier général du Treize Mai, le dernier garant de l’Algérie Française et de l’intégration a été bafoué et limogé. De Gaulle veut avoir les mains libres pour brader l’Algérie après l’Afrique noire et rendre l’Armée parjure à ses serments. L’heure est venue de nous lever. Dimanche matin à 11 heures vous rejoindrez les cortèges qui partiront des campagnes et faubourgs. Tous ensemble, derrière vos territoriaux et ceux qui, depuis plusieurs années, conduisent le combat.
Pour que vive l’Algérie française .
Comité d’entente des anciens combattants
Fédération des UT et des Auto-défense
Comité d’entente des mouvements nationaux »
A 9 heures les premiers cortèges se forment.
Le cortège de Belcourt qui comprend plusieurs milliers de personnes est stoppé par d’importants barrages de police. Celui de Bab el Oued force le barrage formé par le 3ème régiment de parachutistes et pénètre à l’intérieur de la ville par les quais, au bas de la grande poste et du boulevard Laferrière.
« Au même moment en face du lycée Bugeaud, à l’état major du corps d’armée d’Alger, dans une salle de la caserne Pelissier, de nombreux officiers étaient réunis par le général Crépin qui avait pris ses fonctions de Commandant du Corps d’ Armée d’Alger (en remplacement de Massu). Il y avait là des officiers du 3è R.P.C, du 1er R.P.C du 1er régiment d’ Étrangers parachutistes.
Comment comptez-vous exécuter les ordres ? demanda le général Crépin
Dans le calme et la dignité, mon Général, répondirent en chœur les officiers.
Mais encore ?
Dans le calme et la dignité , mon Général.
La conclusion la plus claire que le général Crépin dut tirer de cette conférence, c’est qu’il n’était pas facile de remplacer le général Massu.
De retour à son PC, le colonel Broizat était abordé place Sarrail par deux officiers U.T. en civil qui lui demandèrent si les paras étaient prêts à s’associer à la manifestation.
Il ne saurait en être question répondit le colonel. Le sens de la manifestation est compréhensible, mais l’idée d’une marche sur le G.G. est inadmissible pour des militaires.
Dans la ville deux voitures haut-parleur, pavoisées aux couleurs tricolores appelaient le peuple d’Alger à venir nombreux sur le plateau des Glières devant la Grande Poste. [1]
Un cortège de musulmans de la Casbah était arrêté par des barrages de barbelés et par un épais cordon de zouaves. A 10h30 les cortèges se formaient au cœur de la ville et affluaient vers la rue Charles Péguy après avoir enfoncé les barrages de CRS.
En tête du Cortège, les croix celtiques noires du mouvement Jeune Nation oscillaient comme des mâts de bateau dans la tempête. Un peu avant 11 heures, plusieurs milliers de personnes étaient réunies devant la Grande Poste et l’on commençait à crier « Massu » et « Algérie Française »
Dans le PC du Front National Français gardé par des territoriaux sans armes, Ortiz, Jacques Laquière, Susini et un groupe d’hommes des Unités territoriales discutaient à propos du nombre de manifestants.
C’est raté dit un territorial, il n’y a pas assez de monde. Les barrages mis en place
aux portes de la ville ont empêché les musulmans et les colons du bled de venir. Il n’y a même pas trois mille personnes.
Ne dis pas de bêtises, répliqua Susini, le 13 Mai c’était la même chose : une heure
avant la manifestation il y avait 2 000 personnes. Ensuite ils furent 50 000, 100 000.
Assis derrière un grand bureau, Ortiz écoutait. Il était difficile de savoir ce qu’il pensait. Il paraissait tourmenté, inquiet.
En face de lui, posé sur le bureau, l’amplificateur installé la veille, ronronnait doucement.
Le commandant des U.T. Sapin-Lignières, parlait avec le Docteur Michaud.
A l’écart l’avocat Méningaud écrivait une déclaration.
Les rumeurs de la foule emplissaient la pièce. Il était onze heures.
Les volets de fer s’ouvrirent brusquement sur le balcon où le micro était installé. Le petit homme au béret mit le son. Joseph Ortiz s’avança sur le balcon. Il avait retrouvé son assurance, une formidable impression de force se dégageait de sa personne. Il regarda la foule, la jaugea ; il se pencha sur elle. De sa large main il tenait le micro comme pommeau d’épée. Le silence avait figé la foule, formée maintenant de cinq mille personnes, dont les visages étaient levés vers le colosse aux cheveux châtains.
La plupart des gens qui étaient là le voyaient pour la première fois et ne savaient pas qui il était.
Il se pencha un peu plus sur le balcon et hurla dans le micro : « Ici Ortiz, président du Front national français ».
Sa voix fut couverte par les clameurs délirantes qui s’échappaient du peuple d’Alger. Ce peuple avait trouvé un chef et il l’acclamait. Ce chef avait un nom espagnol mais la foule n’était pas regardante aujourd’hui. Elle avait quelqu’un à acclamer, n’était-ce pas l’essentiel ?
A partir de cet instant tout va se dérouler très vite comme un scénario minuté et préparé dans les moindres détails.
En réalité tout est improvisé et il faudra bien peu de chose pour que la manifestation réussisse ou échoue.
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Paul Ribeaud raconte, en 15 pages, le drame dont il a été témoin ce 24 janvier 1960.
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A Alger, les représentants du Gouvernement sont au bord du désespoir.
La place de la Poste est quasi déserte, gardes mobiles et CRS ont reçu l’ordre de rejoindre leurs quartiers. Quelques paras ont pris position boulevard Laferrière.
Partout dans Alger on construit d’autres barricades. Les manifestants au lieu de reculer se renforcent.
On se prépare à la guerre civile.
Entre le peuple et le Gouvernement c’est la rupture.
Des réservistes construisent une barricade devant le bureau des députés. Un sentiment de colère anime tous les députés.
« L’un d’eux affirme : Fonde est un assassin.
Le colonel Fonde est le responsable de la sécurité d’Alger, sous les ordres du général Costes, c’est lui qui commande le groupe de la gendarmerie mobile.
" On a voulu qu’il y ait des morts. On a fait charger les gendarmes sans prévenir les paras qui devaient les appuyer latéralement. En faisant assassiner quelques braves gendarmes – car on les a envoyé dans un véritable coupe-gorge – on a voulu dresser la Métropole contre le peuple d’Alger. Avec Lacoste tout aurait été évité."
Le sénateur qui vient de s’exprimer est bien connu pour sa modération et pour n’avoir jamais mérité l’étiquette d’ultra. »
Lorsqu’ils entendent la déclaration du général Challe diffusée sur France V,
leur indignation se mue en fureur et à leur tour, rédigent une déclaration.
Nous sommes dans la nuit du 24 au 25 janvier 1960, à une heure du matin, à la demande du colonel Broizat, le chef d’escadrons Bizard franchit la barricade du PC d’Ortiz pour s’entretenir avec lui et Sapin-Lignières.
A 2 heures 40 le général De Gaulle adresse un message au pays, toujours dans la même veine, très mélo, je ne vous en infligerai pas la lecture.
Alger s’est installée dans la révolution.
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25 JANVIER 1960
Très tôt, ce matin, les algérois arrivent boulevard Laferrière. Des bouquets de fleurs et de petites pancartes rappellent les victimes de la fusillade de la veille.
Pendant la nuit, la barricade de la rue Charles Péguy faite de planches et de morceaux de ferraille est devenue un vrai mur de pavés bien alignés.
Paul Ribeaud écrit dans son témoignage :
« Des Hernandez, des Navarro et aussi des algériens d’origine purement française s’étaient fait tuer et étaient encore prêts à affronter la mort parce qu’ils étaient persuadés que la métropole voulait les abandonner.
L’amour de ces hommes et de ces femmes pour la patrie française n’avait rien de conventionnel. Torturé depuis le début de la rébellion, c’était un sentiment violent ombrageux jaloux qui ne pouvait supporter atteinte.
Ils étaient un million cinq cent mille qui naissaient, vivaient, et mouraient avec un drapeau dans la tête, et ce drapeau était français. »
Au PC de Lagaillarde des hommes de tous âges venaient s’enrôler.
Au soir du 25 janvier, ils étaient environ 2000 à s’être engagés.
Dans la ville, les paras du 3è R.P.C, du 1er R.P.C et du 1er R.E.P fraternisaient avec
« les rebelles ».
La révolution s’installait à Alger mais « la France entière très partiellement informée de ce qui se passait en Algérie ne soupçonnait pas la gravité de la situation. »
De sorte que le ministre de l’Information, Roger Frey, donna le même soir une conférence de presse dans laquelle il fit une déclaration très fantaisiste de la situation.
- « Au cours d’une série d’explications « extrêmement confuses » aux dires d’un représentant de la presse, le ministre s’efforçait de préciser aux journalistes présents ce qui s’était passé à Alger dimanche soir. Il affirmait [bleu marine]« qu’il était établi que les premiers coups de feu étaient partis de la Compagnie Algérienne où étaient retranchés les hommes d’Ortiz. »[/bleu marine]
Le 27 janvier c’est au tour de Michel Debré de recevoir à déjeuner les principaux directeurs de journaux .
Ils ont fabriqué une version officielle qu’ils servent aux lecteurs avec la complicité des médias.
Qui se soucie aujourd’hui de savoir d’où venaient les premiers coups de feu ? Nous.
Pourtant à cette époque déjà, Paul Ribeaud prévient le lecteur dans son dernier paragraphe de la page 98 :
"« ... les lecteurs ne m’en voudront pas si, dans le chapitre prochain je prends souvent le contre-pied de ce que leur ont dit la radio ou leur journal. Gaulliste depuis bien avant le 13 mai, je pense avec « Figaro » que sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur. »
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La mèche la poudre et l’étincelle
Les manifestants n’ont pas tiré les premiers.
Et Paul Ribeaud va clore ce chapitre en posant une dernière question :
Avons-nous eu droit à cette enquête honnête ? Non.
Et nous pensons toujours, avec raison, que notre cause, notre histoire, notre passé sont toujours combattus par des moyens malhonnêtes, des rapports de police tronqués et des déclarations à la presse du monde entier partiales et mensongères.