A propos du bilan des victimes du 8 mai 1945 Réponse au questionnaire Fnaca sur le nombre de victimes du 8 mai 1945

, par  Kir , popularité : 27%

Dans sa démarche de mémoire et sa volonté de témoigner, la Fnaca est décidément bien imprudente.

Cette question posée à des élèves de collège de 3ème, le prouve :

Combien d’algériens sont victimes de la répression française ?

Aucun historien sérieux ne s’est encore engagé à répondre à une telle question.

A moins de lire dans une boule de cristal, trop de contradictions, des bilans successifs et hasardeux, des archives incomplètes, induisent une difficulté, sinon une impossibilité, à avancer un chiffre exact, tel que le demande le questionnaire Fnaca à de jeunes élèves, qu’elle induit auparavant en erreur, en leur fournissant un chiffre non vérifié, et encore non fiable aujourd’hui.

Notre Journal a déjà évoqué ce sujet, dans un article intitulé
Sétif -8mai 45 Appel aux algériens cliquer ici
car nous sommes bien conscients que les chiffres avancés sont pure fantaisie.

Dans une réponse au site "Les clionautes" voici le point sur la question, réalisé par l’historien Guy Pervillé.

Point qui éclaire sur la difficulté et l’extrême prudence à s’avancer sur un bilan :

[brown]Il y a eu un rapport de la commission d’enquête présidée par le général de gendarmerie Paul Tubert, mais cette commission, dont le travail a été rapidement interrompu par l’interdiction de se rendre à Guelma, n’a proposé aucun bilan chiffré des victimes de la répression.[/brown]

Veuillez lire le texte de ce rapport en annexe de l’enquête de Marcel Reggui publiée par l’historien Jean-Pierre Peyroulou, Les massacres de Guelma, Paris, La découverte, 2006, pp. 137-165 :

"La vérité est qu’il existe de très nombreuses et diverses estimations de ce bilan, mais qu’aucune n’est jusqu’à présent démontrée d’une façon probante."

Il faut éviter la confusion entre la non-estimation du rapport Tubert avec l’estimation donnée à la tribune de l’Assemblée consultative de Paris par le représentant communiste Pierre Fayet, lequel a parlé de 15 à 20.000 morts, en donnant une "preuve" qui m’a laissé plus que sceptique : le nombre de "mechtas" détruites par la répression, une mechta étant d’après lui peuplée en moyenne de 1.000 habitants (alors qu’en fait "mechta" se traduit par "hameau").

Mais je dois encore préciser ma réponse, en citant un message que j’avais envoyé en février 2006 à l’un des rédacteurs en chef d’un grand quotidien :

" Dans son éditorial du samedi 19 mars 2005, intitulé "L’histoire et le déni", votre journal cite le discours de l’ambassadeur de France à Sétif :

"Ainsi pour la première fois, l’ambassadeur de France à Alger a évoqué il y a quelques semaines le massacre de Sétif du 8 mai 1945 au cours duquel plus de 10.000 Algériens ont trouvé la mort. "

Mais cette évaluation est-elle incontestable, et sur quoi est-elle fondée ?

A ma connaissance, elle vient d’un livre de souvenirs de Francis Jeanson, qui dit avoir entendu ce bilan dans la bouche d’un haut responsable de la répression, qui s’en vantait, lors de son premier séjour en Algérie.

Mais ce nombre est-il un fait prouvé et incontestable ?

L’historienne Annie Rey-Golzeiguer en a fait état en 1995, sans citer de source, dans une communication lors du colloque de Reims sur la capitulation allemande, en disant que la répression avait fait au moins cent fois plus de morts que l’insurrection, mais sans le prouver. Elle a repris deux fois la même affirmation dans son livre paru en 2002, sans fournir davantage de preuve. Mais dans le même livre, elle formule à deux reprises une autre estimation, en déclarant seulement que la seule conclusion incontestable est de parler de milliers de victimes, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Gilbert Meynier, dans la présentation des oeuvres complètes de Charles Robert Ageron publiée par les Editions Bouchène, écrit ceci :

"Par honnêteté, quand il ne peut donner de chiffres, Ageron s’abstient d’en livrer quand ils ne peuvent être scientifiquement établis - comme c’est le cas par ailleurs pour mai 1945. Sur ce sujet, l’historien algérien Boucif Mekhaled, dans son bilan sur mai 1945, n’en donne pas non plus : il passe en revue les différentes évaluations chiffrées en les soumettant avec une simple probité à la critique historique".

De même, dans Le Nouvel Observateur n° 2117 du 2 juin 2005 ("Sétif : la guerre des mémoires"), Gilbert Meynier et Claude Liauzu, rappelant la difficulté d’établir le vrai bilan, déclarent :

[brown] "La seule conclusion que peut faire l’historien : il y eut en effet des milliers de morts, mais s’il est honnête, il n’en dira pas plus".
[/brown]

Ce serait très clair et décisif, si dans le même temps la presse algérienne, soumise à l’influence de la fondation du 8 mai 1945 de Bachir Boumaza, ne continuait pas à affirmer des estimations égales ou supérieures à 45.000 morts. Et si un historien français, Jean Louis Planche, ne proposait pas depuis plusieurs années qu’il poursuit ses recherches dans les archives des bilans de plus en plus élevés, comme s’il voulait rapprocher les positions des uns et des autres encore très éloignées.

J’attends le livre que prépare Jean-Louis Planche avec une impatience croissante, puisque son estimation du nombre des victimes algériennes n’a fait qu’augmenter, de 10.000 en 1996 à 15.000 ou 20.000 en 2000, jusqu’aux 20.000 à 30.000 de son point de vue dans Le Monde des 8 et 9 mai 2005.

Mais je constate que les déclarations des historiens sur ce point hésitent encore entre deux versions qui ne me semblent pas du tout équivalentes :

soit "au moins dix fois plus que les victimes de l’insurrection" (sans que les preuves d’une telle affirmation soient données), soit seulement "des milliers de morts", ce qui ne me semble pas du tout être la même chose.

Pour ma part, j’ai participé avec Jean-Charles Jauffret au jury de thèse de Boucif Mekhaled en 1989. Je me souviens très bien qu’il aboutissait à l’impossibilité de conclure à un bilan quelconque des pertes algériennes. C’est pourquoi Jauffret et moi nous avons réagi très sévérement au film de Mehdi Lallaoui et Bernard Langlois (1995) qui nous a semblé adopter presque totalement le point de vue de Bachir Boumaza et de son association. Et la prudence de mon maître Charles-Robert Ageron a renforcé la mienne.

Personnellement, j’attends avec de plus en plus d’impatience la publication de l’enquête de Jean-Louis Planche pour en vérifier ou en critiquer les résultats, en prolongeant la recherche restée inédite que j’avais faite en 1992 pour mon habilitation à diriger des recherches.

En attendant, je reste très méfiant sur les bilans du nombre des victimes de la répression que l’on nous propose arbitrairement, et je me demande si l’on n’a pas confondu, comme pour la guerre d’Algérie après 1962, le nombre des morts et celui des victimes.

J’ai fait observer à Jean-Pierre Peyroulou (qui travaille à une thèse sur le 8 mai 1945 à Guelma) que les quelques bilans partiels du nombre de morts que l’on pouvait citer ne me semblaient pas du tout suffisants pour prouver les bilans globaux que l’on affirmait, et il m’a répondu qu’il était tout à fait d’accord avec moi. Je connais un autre chercheur qui a produit un livre très approfondi utilisant une documentation puisée des deux côtés de la Méditerranée, le docteur Roger Vétillard, médecin à Toulouse mais né à Sétif en 1945, qui partage le même avis. Je crois que son travail devrait être publié pour permettre ce que les historiens n’ont malheureusement pas pu faire jusqu’à présent : instaurer un véritable débat contradictoire sur ce sujet entre Algériens et Français, et défendre le droit des historiens à en parler en tant que tels, sans se soumettre à des groupes de pression politiques.

Pour le moment, il n’en est pas question, et la tendance dominante en Algérie semble bien être celle qui a été définie depuis 1990 par la fondation du 8 mai 1945 : répéter des affirmations extrêmes pour obliger les Français, s’ils veulent contribuer à une réconciliation des deux peuples, à se soumettre à l’exigence d’une déclaration de repentance. C’est ce que j’ai signalé depuis 2002 dans mon livre Pour une histoire de la guerre d’Algérie, et sur mon site internet (article sur "la revendication algérienne de repentance unilatérale de la France"). Et l’aboutissement de ce processus me paraît se rapprocher de plus en plus.

En lisant votre journal, je constate de plus en plus souvent que l’idée d’un bilan très élevé de la répression de mai 1945 paraît s’accréditer comme une vérité établie, alors que jusqu’à présent ce n’est pas le cas. Dans le n° du 10 mai 2005, p. 5, votre journaliste F. B. a écrit :

"la "pacification", en causant entre 10.000 et 45.000 morts, a constitué le socle du nationalisme algérien".

Le 30 août, elle a écrit : "Dans cette allocution prononcée à Sétif - ville où furent massacrés des dizaines de milliers d’Algériens en mai 1945", ce qui est certainement faux suivant tous les témoignages sérieux.

Je ne le dis pas pour accabler cette journaliste que j’ai souvent citée pour établir des faits, mais il est très difficile de résister seule à un "bourrage de crâne" qui s’exerce continument depuis des années. Et pas seulement en Algérie, puisque je lis dans votre supplément télévision des 2 et 3 octobre 2005 :

"Une manifestation indépendantiste, sévèrement réprimée par l’armée française, fit ce jour-là (8 mai 1945) plusieurs milliers de morts parmi les Algériens (de 10.000 à 45.000 victimes selon les sources)". Et un peu plus loin : "Il en va de même pour la nuit du 17 octobre 1961, au cours de laquelle des milliers de manifestants algériens furent tués par la police parisienne". il est clair que nombre de vos journalistes ne sont pas capables de faire par eux-mêmes la distinction entre la rumeur et l’histoire. Et ils le peuvent d’autant moins que les historiens eux-mêmes ne font pas toujours preuve de la rigueur et de la clarté nécessaires en la matière.

C’est tout ce que je peux vous dire pour le moment, sinon que votre journal me paraît exposé à un risque particulièrement important de déformation de la vérité historique par son souci de contribuer à une réconciliation franco-algérienne. Réconciliation que je souhaite moi aussi de tout cœur, mais que je ne crois pas possible pour le moment parce que les problèmes sont mal posés. Le véritable but de la revendication algérienne est, à mon avis, de remporter une victoire morale sur la France afin de remporter une victoire idéologique décisive dans la guerre civile algérienne."

Veuillez excuser cette très longue citation : je la reprend parce qu’elle dit l’essentiel. Et je la complète sur deux points. D’abord, Jean-Louis Planche a publié en avril 2006 aux éditions Perrin son livre intitulé Sétif 1945, histoire d’un massacre annoncé, après y avoir travaillé pendant onze ans. J’attendais sa parution avec impatience, et je me suis hâté de le lire. Mais je n’ai trouvé qu’une seule "preuve" de l’estimation du nombre des victimes, à la page 308 où il cite "la Note de renseignement n° III que le gouverneur Chataigneau fait apporter au ministre, et dans laquelle figure cette interrogation terrifiante :

"Faut-il accorder du crédit au nombre de 10.000 victimes indigènes dans la seule région sétifienne comme l’indiquerait un informateur qui vient de parcourir cette région pendant un mois ?"

Mais ce document, si terrible soit-il, ne m’a pas paru suffisant pour prouver les bilans de plus en plus élevés auxquels s’est rallié Jean-Louis Planche, parce qu’il s’agit du même document qu’il a cité plusieurs fois depuis le début de ses recherches (voir le tiré à part qu’il m’avait envoyé de son article publié dans le n° 590 des Temps modernes, octobre-novembre 1996, et sa réponse à ma lettre du 13 septembre 2001), et parce que le mot "victimes" est fâcheusement ambigu.

Il est vrai que Jean-Louis Planche avait exprimé beaucoup plus tôt la même tendance en écrivant son éditorial du numéro 11, décembre 1989, de la revue Parcours, l’Algérie, les hommes et l’histoire :

"Le général Tubert (auquel un article biographique était consacré dans ce numéro) put évaluer le nombre des morts de la répression à 15.000 pour le moins. Nous sommes en mesure aujourd’hui de préciser ce nombre, d’après les éléments établis par les renseignements généraux qui menèrent leur propre enquête : 25.000 (interviews de Michèle Barbier)."

Le général Tubert, devenu un proche sympathisant du Parti communiste algérien, a lui-même durci ses propos à son exemple, mais bien après les faits. Mais d’autre part le médecin né à Sétif en 1945 dont je parlais plus haut, le docteur Roger Vétillard, a publié son livre intitulé Sétif, mai 1945, massacres en Algérie, Editions de Paris, janvier 2008, dont j’ai rédigé la préface parce qu’il me paraissait nécessaire d’éviter le monopole de la parole sur ce sujet capital. Ce livre est souvent sévère pour les affirmations de Jean-Louis Planche, par exemple pour celle de l’existence de milices à Sétif, affirmée peu avant la citation que je viens de reproduire.

Je ne considère pas pour autant que le débat soit clos. Bien au contraire, je crois qu’il y a encore à discuter sur cette question. Par exemple, voici un passage que j’ai retrouvé en relisant le livre publié en 1990 par Francine Dessaigne, La paix pour dix ans, Sétif, Guelma, mai 1945, Editions J. Gandini, pages 114-115. Il est question des rapports envoyés à Washington par le représentant de l’OSS à Alger dans la note 2 de la page 114 : "Major W. K. Rice, A.-C. Chief JICAME Branch AFN, le 17 mai 1945. "The national archives - E. Records Administration" - Washington DC - Military Reference Branch" (La traduction de tous les textes provenant de Washington est due à B. Alis). "

Et voici le texte des trois paragraphes consacrés à ces documents :

[brown]" Des fuites s’étaient peut-être produites à partir de rapports confidentiels émanant de l’Official (sic) Strategic Services (OSS) ou de personnes ayant participé à leur rédaction. En effet, nous relevons dans certains d’entre eux une curieuse inflation de chiffres :

[brown]"l’émeute arabe du 8 mai à Sétif s’est étendue à d’autres villes et villages, jusqu’à Souk Ahras à l’est avec des chiffres non officiels de quatre-vingt-dix-sept européens tués et environ dix mille Arabes tués et blessés" (note 2). Le major Rice retransmet un rapport de l’état-major général des troupes britanniques en Afrique du Nord, le 24 mai, indiquant " qu’il y a une grande similitude entre ce rapport et le rapport JICAME produit la semaine précédente. On lit au chapitre quatre : "Les chiffres donnés le 17 mai sont :

[brown]Européens tués cent deux, Arabes : neuf cents à mille. Des chiffres non officiels d’informateurs fiables, dont les services de santé français, situent les pertes arabes à six mille tués et environ quatorze mille blessés. Ces derniers chiffres peuvent être exagérés " (note 1 page 115 : C’est nous (F. Dessaigne) qui soulignons).

[brown]Le 4 juin, il écrit : "le général Tubert, président de la commission dissoute, pense que le total des Arabes tués pendant la répression n’excède pas cinq mille, et que le chiffre le plus probable est de trois ou quatre mille. Il pense que le chiffre de mille morts donné par le commandement militaire à Constantine est trop faible, mais que les rumeurs de dix, vingt ou trente mille morts sont largement exagérées". (Nous étudierons plus loin la mission du général Tubert.

[brown]Nous n’avons aucune trace de ces chiffres dans son rapport, ni dans ses discours à l’Assemblée, ni dans le fonds privé Tubert consulté aux archives nationales). Le 25 juillet, dans son rapport, le major fait état de dix-sept mille tués, renseignements obtenus " d’une enquête officielle, en sous-main, qui vient juste d’être achevée par les autorités françaises... (Under cover official investigation), curieuse association d’adjectifs. Ainsi les autorités françaises se seraient livrées à une contre-enquête "officielle", mais discrète, aboutissant à un chiffre dix fois supérieur à celui, tout aussi officiel, avancé publiquement par les mêmes autorités, civiles et militaires, jusqu’au ministre de l’Intérieur ? Et un très fiable honorable correspondant se serait empressé de le révéler au major Rice ?

[brown]Le major envoie aussi des rapports rédigés par des agents ou sympathisants du PPA, comme celui ou l’on peut lire, toujours à propos des chiffres :

[brown]"Le nombre total de victimes musulmanes dépasse six mille (d’autres sources officielles indiquent trente mille et même cinquante mille) (Note 2 : 13 août 1945, sans préciser les "sources officielles").

Ce passage ne confirme pas l’opinion de l’auteur, qui défend le point de vue des Français d’Algérie. Mais on voit bien dans ces documents que les affirmations officielles minimisant le nombre des victimes indigènes ont rapidement suscité l’incrédulité dans les milieux politiques d’Alger et que leur scepticisme est allé en augmentant ; et on peut même supposer que le document qui soulevait l’incrédulité de Francine Dessaigne avait la même origine que celui sur lequel Jean-Louis Planche a fondé son estimation. Mais faut-il pour autant parler de "morts" ou de "victimes" ? J’ai décidé de rechercher les originaux de ces documents pour essayer de voir plus précisément ce que l’on peut en tirer.

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[*Note Rédaction :
Lire aussi dans l’encyclopédie une autre approche - voir Phase 2 - et les ouvrages cités téléchargeables*]

Voir en ligne : Guy Pervillé la guerre d’Algérie, histoire et mémoire CRDP d’Aquitaine. Mars 2008, collection mémoire de notre temps

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