Nous apprenons la démission du HCR de Madame Andrée Montéro.
1961, année charnière ?- Michel LAGROT
Ouvrant avant l’heure le bombardement médiatique dont nous sommes menacés pour le cinquantenaire de la mort de l’Algérie française, la chaîne FM France Culture a produit récemment une semaine d’émissions sous le titre « Algérie 1961, année charnière ». Elle n’a pas lésiné : trois heures chaque matin pendant cinq jours ! Chaque matinée comportant un volet « archives », un volet « débat », un volet « documentaire », le tout fort bien fait sur le plan technique, avec de gros moyens.
D’emblée les débats vont au fond du problème historique avec une édifiante affirmation de Wassila Tamzali : cette dernière, dont le père fut tué par le FLN, est connue par son livre, « Une éducation algérienne », passionnant retour sur l’itinéraire d’une intellectuelle militante du FLN dont l’unique et constant fil conducteur est une haine quasiment pathologique de la France et des Français. Laquelle déclare sans ambage que sa famille était parvenue au faîte des honneurs, du pouvoir et de la fortune, respectée de tous dans l’Algérie des Français, et que néanmoins, les Algériens eussent ils été tous dans cette situation, ils auraient été tous nationalistes.
En clair, les musulmans se sont révoltés, non parce qu’ils étaient pauvres ou opprimés, mais par ce qu’on ne peut appeler autrement que du racisme à l’état pur….. quel aveu ! Il est assez curieux de rapprocher ce propos des interviewes multiples de musulmans interrogés dans l’émission, dont pas un seul ne se montre hostile aux Français d’Algérie, même à l’époque, et même parmi des fellaghas prisonniers ; on entend même à l’occasion de franches déclarations de fraternité ! Serait ce cette haine qui ressemble à l’amour ?...
Autre aveu révélateur, et combien important : toutes les personnalités du FLN interrogées ( dont « Si »Azzedine ) confirment ce que Ben Bella avait clamé depuis longtemps : dans l’esprit des « fondateurs », les Européens n’avaient aucune place dans l’Algérie indépendante, et les déclarations contraires n’étaient que pour endormir l’opinion française.
Avis à ceux qui, de nos jours, prétendent imputer notre exode à des craintes irraisonnées ou à l’action de l’OAS ….. un de ces chefs fellagha fait, par ailleurs, une description complaisante des méthodes par lesquelles il recrutait ses combattants par l’intimidation et la menace dans des douars de montagne livrés à eux mêmes. On est loin du paradigme du peuple unanime en révolte spontanée contre ses oppresseurs !
Dans une de ses remarquables et très mesurées interventions, Boualem Sansal, qui supervisait les débats, observe d’ailleurs que le FLN s’est d’abord imposé par la violence.
La présence de cet écrivain a contribué à remettre de la chair et du sang dans cette histoire, par ailleurs déshumanisée par des historiens manifestement incapables ( c’est aussi une révélation de cette émission )
d’entrer dans la dimension humaine des évènements.
Il est vrai que les historiens présents étaient d’abord G.Meynier et R. Branche, idéologues d’une partialité caricaturale : la torture, bien sur, fut mise en épingle comme le fait principal de cette guerre, partant de trois références que sont D.Boupacha, D. Bouhired et H.Alleg ; or on sait que les deux Djemila n’ont jamais été torturées ailleurs que dans la péroraison de leurs avocats et dans la propagande du FLN. Quant à H.Alleg, jamais torturé lui non plus ( v. le témoignage à l’époque du Dr Michaux, médecin légiste ) il initia, sous l’égide du PCF, cette méthode érigeant en système de défense l’accusation de torture… avec le formidable succès que nous savons.
Et pour les supplices exercés par le FLN sur de parfaits innocents choisis comme tels, ce ne sont que des « exactions »…..
Mais pouvait on faire confiance aux historiens ? pour réponse on citera M.Jauffret, pourtant réputé sérieux, prétendant dans le débat que les villages de regroupement ouverts par l’Armée déplaçaient 2 millions de personnes ! chiffre exorbitant et totalement faux, complété par une description, tout aussi fantaisiste, les assimilant à des camps de concentration…. Cependant ces considérations militaires ont donné lieu à des échanges instructifs : dont le concept de « guerre dissymétrique » exposé par un spécialiste des guerres subversives ; nous avons subi une guerre non déclarée entre une puissance classique technique et une organisation idéologique sans règles ni morale : ce type de conflit, d’après ce militaire, peut être gagné mais à condition de sortir de la règle démocratique. Pour nous, c’est enfoncer une porte ouverte, mais c’est dire aussi que nous étions condamnés à perdre.
Difficile aussi de faire confiance aux historiens lorsqu’on entend l’un d’eux déclarer froidement qu’en 1961 l’OAS a fait plus de morts que le FLN ….
Les lieux communs sur les « citoyens de seconde zone » ne nous ont pas été épargnés, sans que personne mentionne que chacun pouvait sortir du « statut personnel » à tout instant et jouir de la citoyenneté française sans restriction, sans que personne non plus n’évoque la quadrature du cercle qu’était ( et est encore ) la coexistence du droit islamique et du droit commun français.
Des documents nous ont rafraîchi la mémoire sur la palinodie des premières négociations officielles de 1961 avec le GPRA à Evian, et l’échec que l’on sait ; saisissante interview de Louis Joxe, liquéfié après l’humiliation que lui avaient fait subir les Barbaresques, arrogants jusqu’à l’insulte…. De même les discours de De Gaulle à l’époque, son éclatant cynisme, son mépris affiché pour le passé et pour les hommes, sa démagogie, ses mensonges et hélas, les applaudissements des foules à son verbe : cela ressort fort bien, malignement mis en valeur par les responsables de l’émission.
Et puis, bien sur, après le pseudo putsch d’avril, réactions à chaud des officiers gaullistes et de quelques furieux du contingent, révélateurs du climat de guerre civile fabriqué par le général. D’ailleurs seuls ont été sollicités des militaires violemment hostiles à l’Algérie française , ou au mieux de ceux « qui ne savaient pas ce qu’ils venaient faire là » : question que, curieusement, les 173 000 Pieds noirs de 1943 ne s’étaient pas posée en Italie ou dans les Ardennes…
Des nombreuses interviewes reproduites, dont quelques unes - sans plus – auprès des Français d’Algérie, de l’époque et d’aujourd’hui, on retire des impressions diverses et quelques « matériaux historiques », tels que ce brave musulman de la Kasbah racontant comment, le dimanche, il avait coutume de se baigner à la Madrague ; cette plage étant présentée couramment ( v. ARTE ) comme interdite aux musulmans…. Ou cette très virulente militante FLN racontant candidement avec des frissons comment, circulant avec sa voiture à Constantine, elle fut glacée d’effroi, prise dans une manifestation de jeunes gens pour l’Algérie française. La pauvre chérie ne réalise pas que d’autres jeunes femmes, européennes, ont été aussi prises dans des hordes de manifestants FLN, la différence étant que ces dernières n’ont plus eu le loisir de le raconter…
On retiendra la remarquable intervention de J.C. Perez, comme on pouvait s’y attendre sans langue de bois, exposant crûment le problème de la survie des Européens et du nécessaire combat dont, hélas, ils n’ont pris conscience que bien trop tard. La seule interview extensive, réalisée sur place à Mascara dans un cimetière européen, est consacrée à Mme Aline Cespedes-Vignes, auteur de 2 ouvrages d’évocation des dernières années françaises. Pourquoi elle, parmi les auteurs si nombreux dans le genre ? On croit comprendre que son sésame pour l’émission fut la phrase prononcée au début : « je savais dans mon fors intérieur que leur combat ( celui du FLN ) était légitime »…
Le mot de passe obligé… !
Sur la description de la situation de l’époque, occultation totale de ce qui gêne : l’action pacificatrice de l’Armée tournée en dérision, pas un mot sur les SAS, dont l’action fut pourtant si importante et si novatrice. Pas un mot des persécutions du pouvoir à l’encontre de la population européenne, pas un mot des enlèvements, des égorgements, de l’exode prévisible et déjà commencé, des polices parallèles, des arrestations arbitraires de jeunes, des camps de Djorf et de Lambèse, des tortionnaires comme Desbrosse….
Les souffrances du peuple pieds noirs, n’existent pas, pertes et profits… en revanche, la manifestation du FLN à Paris le 17 octobre, dont le bilan est grotesquement refabriqué, est décrit horrifiquement, bien que Boualem Sansal reconnaisse honnêtement qu’à l’époque il en avait à peine entendu parler.
Les extraits de films illustrant la partie documentaire sont pratiquement tous tirés d’œuvres très orientées, genre « La bataille d’Alger » et il est surprenant de constater combien, déjà, ils sonnent faux … R.Branche, « historien » d’extrême gauche fait à ce propos une remarque assez plaisante, s’étonnant du bruit fait autour de « Hors-la-loi », film insignifiant, puisqu’on était libre d’aller voir d’autres productions…. comme si on avait le choix ! pas la moindre mention du film de J.P. Lledo, totalement passé sous silence, alors qu’il est justement un véritable événement.
Un certain J.Ferrandez, auteur d’une assez médiocre B.D. sur cette guerre, plaide pour ne pas céder à l’anachronisme, dans lequel pourtant il plonge en permanence dans son oeuvre, sans doute de bonne foi : une illustration de la difficulté qu’il y a à revivre un temps sur lequel tant de mensonges ont passé, et pourtant si proche….
Au total, les inébranlables paradigmes du siècle restent le socle de toute approche de l’Histoire : il est entendu que tout le monde savait que l’Algérie serait indépendante ( sans doute avons nous mauvaise mémoire..), que tout le peuple algérien ( dont les Pieds noirs n’ont jamais fait partie ) s’est soulevé contre un colonialisme oppresseur, que la nostalgie est un sentiment réactionnaire ( quand elle est ressentie par nous ), que la colonisation était un échec ( que nous ayons remis à des assassins le pays quasiment le plus moderne d’Afrique ne compte pas )….
Lorsque B.Sansal évoque la confiscation de l’Histoire par le FLN, il peut étendre sa réflexion à la France ! Pour nous, Français de là-bas, c’est encore plus simple : nous avons compté pour zéro dans les décisions du politique , et historiquement on nous a déjà rayé de l’Histoire. Jacques Soustelle avait nommé cela un ethnocide…..
Remercions tout de même France-Culture de nous avoir épargné le « spécialiste-de-la-guerre-d’Algérie » qui remplit habituellement de ses prétentieuses péroraisons ses émissions historiques, et que tout le monde aura reconnu. Et laissons Boualem Sansal, encore lui, tirer de tout cela une conclusion désabusée : Les guerres , a-t-il déclaré, ne finissent jamais…..
M.Lagrot
Hyères le 4/8/2011
Voir en ligne : http://www.clan-r.org/portail/1961-...