Paru dans le Point : Québec, la bataille de l’identité

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Immigration
Québec : la bataille de l’identité

19/07/2007 - De notre envoyé spécial Dominique Audibert - © Le Point - N°1818

La Belle Province est désormais confrontée à un flux de nouveaux immigrés qui ont de plus en plus de mal à s’intégrer à la société québécoise. Reportage.

C’est ici que tout a commencé, au fin fond du Québec immuable et tranquille. Hérouxville : 1 338 habitants, un village perdu au milieu des collines et des forêts de la Mauricie, à 200 kilomètres au nord-est de Montréal. L’église est surmontée du traditionnel clocher en zinc, les fermes portent en grosses lettres le nom du propriétaire, il y a des drapeaux à fleurs de lis devant les maisons en bois. Et, bien sûr, l’inévitable « dépanneur » (l’épicerie version québécoise) dans la grand-rue. L’hiver il fait - 30 °C, l’automne on chasse le chevreuil et l’orignal. Un rythme à peine troublé par le passage biquotidien du train de marchandises.

Et puis voilà que, le 25 janvier, le conseil municipal adopte un document qui fait l’effet d’une bombe. Il s’agit d’un « code de vie » destiné aux immigrés qui auraient l’idée saugrenue de venir s’établir dans ce bled perdu au milieu de nulle part. On y rappelle quelques vérités élémentaires sur la façon de vivre des gens d’ici : qu’on fait des arbres de Noël en décembre et que les croix au bord des chemins témoignent d’un vieux passé, qu’une femme peut être flic ou médecin, que les petits garçons et les petites filles se baignent ensemble à la piscine, qu’il n’y a qu’un seul menu à la cantine scolaire et pas de salles de prière, etc. La lapidation et l’excision, juge bon de préciser le texte, ne font pas partie des coutumes locales.

Publié le surlendemain dans le plus grand quotidien québécois, La Presse , ce manifeste fait sensation. Toute la planète médiatique débarque à Hérouxville pour essayer de comprendre quelle mouche a piqué ses citoyens. L’affaire paraît d’autant plus surréaliste qu’on n’y a jamais vu le moindre immigré. Oui, mais il y a cette sale histoire de la fille du maître des postes (receveur) engrossée par un Marocain qui l’a obligée à avorter. Et ce couple de musulmans avec une femme voilée qu’on a vu rôder trois jours de suite dans le village comme s’ils cherchaient une maison. Mais, surtout, ici comme dans tout le Canada, on a eu vent, ces derniers mois, d’histoires hallucinantes. Un jour, c’est la Cour suprême qui autorise un jeune Sikh à porter son poignard rituel, le kirpan, à l’école. Un autre, c’est une YWCA (association d’aide aux femmes) de Montréal qui installe des vitres opaques à son gymnase pour complaire aux juifs hassidim du quartier d’Outremont parce qu’ils ne supportent pas l’idée que leurs enfants puissent voir des jeunes femmes en tenue de sport.

C’est encore une école maternelle condamnée pour avoir refusé de préparer un menu spécial pour les enfants musulmans. Sans compter cet ambulancier chassé comme un malpropre de la cafétéria d’un hôpital juif de Montréal pour avoir réchauffé des spaghettis pas kasher dans le micro-ondes. Ou encore ces Québécois obligés de déguerpir d’une cabane à sucre (où l’on déguste les produits de l’érable) pour laisser un groupe de musulmans faire leurs prières tranquillement. Si on ajoute que les policières de Montréal ont été invitées à laisser leur place à un collègue masculin si un juif hassidim le réclame, on comprendra qu’il y avait de l’exaspération dans l’air. « On est passés pour d’affreux jojos mais on a fait ce que le gouvernement du Québec aurait dû faire depuis longtemps ! » justifie André Drouin, le maire adjoint d’Hérouxville, qui a rédigé le texte. Solange Fernet-Gervais, la doyenne du village, résume sans détours : « Ici au Québec, on a subi les Anglais, on s’est battus tout au long de notre histoire pour défendre notre identité, c’est pas pour nous faire dicter notre façon de vivre par des musulmans ! »

Autant dire qu’à leur façon, plutôt rustique, les bonnes gens d’Hérouxille ont enflammé un débat qui couvait déjà sous la cendre. « Un cas isolé » , a minimisé le Premier ministre québécois, Jean Charest, tandis que son ministre de l’Immigration regrettait une affaire qui « ternit l’image d’accueil et de tolérance » du Québec. Il a fallu que Mario Dumont, le leader de l’Action démocratique du Québec ( voir interview ) mette les pieds dans le plat en dénonçant « l’aplatventrisme des autorités devant les minorités » pour briser le tabou. Son parti a d’ailleurs réalisé un carton aux élections de mars. Cerise sur le gâteau : dans un sondage fait à chaud, en pleine tempête médiatique, 59 % des Québécois se disaient « racistes » . Soudain, c’est toute l’image du multiculturalisme canadien, supposé être un exemple de tolérance et de coexistence pacifique, qui se lézarde. Dans ce pays du « vivre et laisser-vivre », l’affaire d’Hérouxville révélait brutalement des non-dits inquiétants. Pour calmer les esprits et prendre - enfin - le problème à bras le corps, le Premier ministre du Québec a donc chargé une commission spéciale de lui remettre un rapport.

Rachida Azdouz, psychologue et vice-doyenne de l’université de Montréal, une Marocaine qui a fait ses études en France et se définit comme un « pur produit de la République » , après dix-huit ans au Québec, résume : « Le Québec découvre que l’immigration n’est pas seulement un apport mais qu’elle peut être aussi une source de conflits. Ici, cette question a longtemps été complètement déconnectée du réel... » Dans les années 90, il s’était même trouvé une juge pour accorder des circonstances atténuantes à un Algérien qui avait violé la fille de sa compagne, au motif qu’en la sodomisant il avait préservé sa virginité.

D’où un furieux débat sur ce qu’on appelle ici les « accommodements raisonnables » . En droit canadien, cette notion qui existe depuis 1985 implique qu’un employeur ou une institution a une obligation d’accommodement vis-à-vis d’un individu qui invoque une discrimination fondée sur la race, l’origine nationale, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Le premier cas, célèbre, fut celui d’une employée des grands magasins Sears, adepte de l’Eglise universelle de Dieu, dont les préceptes interdisent de travailler le samedi. Elle obtint gain de cause devant les tribunaux. Mais, depuis, plusieurs affaires spectaculaires émanant souvent de minorités intégristes ont choqué l’opinion. Comme lorsqu’il a été envisagé, en 2003, que l’Ontario reconnaisse des tribunaux d’arbitrage religieux appliquant la charia.

Marie-Andrée Bertrand, psychanalyste, professeur de criminologie et féministe convaincue, est la pasionaria du camp des anti. « Dans une société démocratique, laïque et égalitaire, les dérogations réclamées par des groupes d’extrémistes religieux sont le signe d’un refus de s’intégrer » , dénonce-t-elle.

Dans le camp opposé, l’avocat Julius Grey est cet homme de loi qui a défendu la cause du kirpan à l’école. Bien qu’il se revendique de gauche et républicain bon teint, cet homme tout en rondeur, qui est la bête noire des laïques purs et durs, plaide le réalisme conciliant. Selon lui, empêcher une jeune fille musulmane de porter le hidjab, c’est prendre le risque qu’elle n’aille plus à l’école. En revanche, dit-il, il faut refuser la burqa, ce masque grillagé qui cache tout le visage, parce qu’il isole et coupe de toute communication. « C’est vrai qu’il y a un ras-le-bol , concède-t-il, les Québécois ne veulent pas que la culture française ne devienne qu’une culture parmi d’autres. Mais il faut aussi accepter l’idée que la culture québécoise de demain ne reste pas à 100 % la même qu’aujourd’hui. »

Il est vrai que les recours déposés devant la commission des Droits de la personne pour des motifs religieux sont ultraminoritaires. Ils ne représentent que 2 % de l’ensemble et n’émanent en majorité ni de juifs ni de musulmans, mais de protestants. « La polémique sur les accommodements raisonnables révèle un malaise beaucoup plus profond sur l’immigration. Il vaut mieux que l’abcès soit crevé plutôt que de continuer à couver une mauvaise infection » , estime Pierre Bosset, directeur de la recherche à la commission des Droits de la personne.

Même son de cloche pour Stéphane Reichold, directeur d’un organisme qui fédère quelque 300 associations d’aide aux immigrés et réfugiés. « Il était temps que ça vienne sur la table , s’exclame-t-il. En fait, il se passe ici ce qui arrive partout lorsque l’immigration augmente trop vite. » Rachid Raffa, ex-directeur du Centre culturel islamique du Québec, algéro-québécois « depuis trente-deux hivers » , se désole : « Déjà, le 11 Septembre avait fait des ravages pour l’image des musulmans. Cette histoire d’Hérouxville fout de nouveau tout en l’air, pour nous c’est vraiment le rocher de Sisyphe ! »

Faut-il croire alors que le Québec a dépassé la cote d’alerte en matière d’immigration ? Contrairement au multiculturalisme canadien, qui met toutes les cultures sur le même plan au sein d’une mosaïque ethnique, le credo officiel du Québec reste celui de l’« interculturel » : entendez une société ouverte aux apports et aux échanges, mais organisée autour d’une culture centrale francophone. Tout ce qui pouvait montrer les limites de cette politique, ou accréditer l’idée d’un Québec rigide et fermé face au reste du Canada multiculturel et ouvert, a été proscrit du discours officiel. Si l’on ajoute à cela le poids d’une tradition québécoise du consensus, qui met le couvercle sur tout ce qui fâche et qui frise parfois l’angélisme, on comprend mieux le syndrome d’Hérouxville. « On n’a pas vu venir cette crise , reconnaît Benoît Pelletier, ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes à Québec. On a cru que le débat identitaire était clos et que le concept de "québécois" répondait à lui seul aux enjeux, mais on s’est trompé. »

C’est que le grand déballage sur l’immigration révèle aussi la fragilité identitaire du Québec. Après la défaite aux trois référendums successifs sur la souveraineté, et le recul du Parti québécois (indépendantiste) aux dernières élections, on avait pu croire cette page-là tournée.

Mais justement : privé de la souveraineté comme ciment identitaire, le Québec découvre soudain sa vulnérabilité devant l’immigration et retrouve des réflexes de citadelle assiégée. Assiégée de l’extérieur par le reste du Canada dont le multiculturalisme n’est, à ses yeux, qu’une façon de noyer le fait québécois. Assiégée de l’intérieur, ensuite, par ses propres immigrés soupçonnés de vouloir faire bande à part. Déjà, au soir du troisième référendum perdu de 1995, Jacques Parizeau, le porte-drapeau du camp souverainiste, avait dénoncé le « vote ethnique » des immigrés, qui avaient majoritairement voté « non ».

A quoi s’ajoute une dimension religieuse. Le Québec supporte d’autant moins l’irruption du religieux dans l’espace public et les revendications de minorités intégristes qu’il a eu le plus grand mal à s’en libérer. Le spectre de la « Grande Noirceur », l’époque où l’Eglise catholique régentait tous les aspects de la vie publique et privée dans la Belle Province, reste présent dans tous les esprits.

Hérouxville, au fond, n’aura été que le miroir grossissant du Québec. Face à l’immigration, ce miroir lui a renvoyé l’image de craintes légitimes, mais aussi de ses peurs et de ses vieilles blessures. Celles des peuples dont le combat pour l’identité, et sa reconnaissance, n’est jamais vraiment fini.

Immigrants maghrébins

En l’espace de dix ans, 400 000 immigrants sont arrivés au Québec, concentrés pour l’essentiel à Montréal, et le rythme annuel d’arrivée a quasi doublé. Qui plus est, la nature de cette immigration a profondément changé. Jusque dans les années 80, il s’agissait, pour l’essentiel, d’une immigration « européenne ». Aujourd’hui, environ 40 % des immigrés qui arrivent au Québec sont de provenance maghrébine, Algériens et Marocains. Pour le Québec, l’immigration a d’abord été une arme pour assurer sa survie linguistique et renforcer la francophonie. Depuis quinze ans, le Québec est même la seule province canadienne qui maîtrise entièrement sa politique d’immigration. C’est volontairement qu’il a privilégié l’immigration en provenance du Maghreb, en tablant sur la francophonie de ses ressortissants.

Son Excellence Michaëlle Jean
La gouverneur générale du Canada, représentante de la reine Elisabeth II et descendante d’esclaves, Haïtienne d’origine et francophone, est une icône pour le multiculturalisme canadien.

Elle est belle, chaleureuse et spontanée, autant dire pas exactement le style Buckingham Palace. Si on ajoute qu’elle est noire, d’origine haïtienne, qu’elle a grandi au Québec, où elle était une star de la télé, et qu’elle a épousé un Français pour aggraver son cas, on comprendra que Michaëlle Jean, 27e gouverneur générale du Canada, représentante de la « Queen » et chef de l’Etat en titre, n’était pas prédestinée à sa charge. Mais, ce matin-là, sous les lustres de la salle à manger de Rideau Hall, éclatante dans un tailleur-pantalon de soie grège, Son Excellence est rayonnante devant un parterre de gens de presse qui en ont pourtant vu d’autres. Dehors, le drapeau de la « GG » - un léopard couronné tenant dans sa patte droite une feuille d’érable - flotte pour indiquer aux Canadiens que la gouverneur générale est en résidence.

Dans un français impeccable à peine teinté d’une pointe d’accent créole, Michaëlle Jean ouvre le débat du jour sur le journalisme. C’est son ancien métier et elle connaît la musique. C’est aussi sa façon de signifier qu’elle n’est pas seulement là pour accrocher les médailles et inaugurer les chrysanthèmes. Les Québécois continuent de l’appeler « Michaëlle », c’était le titre de son émission vedette à Radio-Canada. Mais ici c’est « excellence ». « Si j’étais médecin ou avocat, on dirait docteur ou maître. Pour la gouverneur générale on dit excellence, mais je reste un citoyen parmi les citoyens » , dit-elle. Fausse modestie ? Un de ses anciens confrères sourit : « C’est normal qu’elle représente la reine, elle s’est toujours prise pour une princesse... »

Michaëlle Jean n’est pourtant pas née avec une cuillère d’argent dans la bouche. Dans son discours d’investiture, en septembre 2005, elle rappelait sa naissance à Haïti, ce pays « barbelé de pied en cap » , et l’apprentissage magnifique de la liberté que fut pour elle le Canada. Ses armoiries personnelles sont surmontées d’un coquillage et d’une chaîne brisée qui symbolisent le soulèvement des esclaves. Petite fille quand ses parents sont arrivés au Québec en 1968, comme réfugiés politiques fuyant le régime des Duvalier, elle a grandi dans l’est du Québec, à Thetford Mines, le pays des mines d’amiante. Descendante d’esclaves, le Canada reste pour elle « le pays de tous les possibles » . On la sent affranchie de toute entrave, fière d’avoir été choisie pour incarner la plus ancienne fonction officielle du pays, mais fidèle à ses racines. En visite au Ghana, devant la « porte du non-retour » d’où partaient les esclaves au château d’Elmina, elle n’a pu retenir ses larmes. Intelligente, mais émotive et sensible, elle a appris à se blinder. Dans son métier de journaliste, d’abord, où certains confrères voyaient dans sa beauté l’unique raison de sa réussite. Dans sa nouvelle vie aussi. « Michaëlle a dû apprendre à la fermer, ce n’est pas dans sa nature ! » souligne une vieille amie.

Quand le Premier ministre d’alors, Paul Martin (libéral) l’appelle en 2005 pour lui proposer le poste, elle prend quatre semaines pour réfléchir. Pour lui, c’était un coup politique. Une Noire à ce poste, francophone et québécoise de surcroît, quelle icône pour le multiculturalisme canadien ! Et quel pied de nez au camp souverainiste de la Belle Province ! Au Québec, des indépendantistes purs et durs, rappelant les sympathies souverainistes du couple, crièrent à la trahison. On exhuma de vieux films où l’on voyait, entre autres, Michaëlle Jean et son mari, Jean-Daniel Lafond, porter un toast en compagnie d’Aimé Césaire à « l’indépendance et à la liberté » . Du reste du Canada les journaux anglophones dépêchèrent des meutes d’enquêteurs pour essayer de découvrir comment Michaëlle avait voté aux référendums successifs sur l’indépendance. Et puis l’orage est passé. Aujourd’hui, lorsqu’on lui demande si elle ne se sent pas schizophrène entre ses attaches d’hier et ses responsabilités de gouverneur générale, Michaëlle Jean botte en touche. Elle préfère rappeler que le Canada est le seul pays au monde où, à Otttawa, l’opposition officielle est représentée par un parti (le Bloc québécois) ouvertement sécessionniste.

Chez les conservateurs, arrivés au pouvoir à Ottawa après sa nomination, les grincheux font la moue. Certains ne sont pas loin de penser que la nomination de Michaëlle Jean, héritage des libéraux, est un cadeau empoisonné. La nouvelle « GG », à leurs yeux, sort de son rôle. En pratique, la plupart des Premiers ministres du Canada se contentaient d’informer le locataire de Rideau Hall de la marche des affaires tout en le tenant à l’écart de leur direction. Avec Stephen Harper, l’actuel Premier ministre conservateur, les relations sont officiellement correctes, mais plutôt fraîches. Episode significatif : la visite du président afghan, Hamid Karzaï, à l’automne dernier. Pour être seul à parader à ses côtés, Harper avait décrété que cette visite était de travail et non pas officielle, ce qui excluait la présence de Michaëlle Jean. Qu’à cela ne tienne, celle-ci a organisé pour Karzaï un dîner à Rideau Hall. Ce soir-là, sur la question très controversée des troupes canadiennes en Afghanistan, des représentants d’ONG n’ont pas ménagé leurs critiques sur la politique d’Ottawa. Et la gouverneur générale, dit-on, n’aurait pas déployé d’efforts considérables pour enterrer ce sulfureux débat. Harper était furieux. Michaëlle Jean était, paraît-il, ravie de sa soirée.

Interview de Mario Dumont*

Le Point : En dénonçant l’« aplat-ventrisme » devant les minorités, vous avez ouvert une vraie boîte de Pandore !
Mario Dumont : Sans doute, mais c’est un débat qui a lieu partout et je ne regrette pas de l’avoir ouvert. Car, ici, devant des accommodements qui étaient devenus clairement déraisonnables, les leaders politiques n’osaient même pas se lever pour défendre des principes aussi fondamentaux que l’égalité hommes-femmes ou la séparation de l’Etat et de la religion.

D’où vient ce ras-le-bol ?
Il reflète un malaise identitaire. Quand les élus commencent à se demander, au nom du politiquement correct, si on peut souhaiter un bon Noël à la population sans choquer les musulmans et les hindous, les gens se disent qu’on marche sur la tête ! Les Québécois d’origine sont prêts à bien des choses pour accueillir de nouvelles façons de vivre, mais pas au prix de leur propre effacement. Le Québec n’est pas une page blanche. Les immigrés peuvent enrichir beaucoup d’aspects de notre société, mais pas au prix de nos propres valeurs.

Le multiculturalisme a-t-il atteint ses limites ?
Le multiculturalisme canadien n’a pas été pensé pour le Québec. Il ne tient pas compte de la réalité d’un peuple comme le nôtre, qui est minoritaire au sein d’une fédération, et minoritaire sur le continent nord-américain.

N’y a-t-il pas aussi des relents xénophobes ?
Le vrai problème a été le silence de la classe politique quand les premiers dérapages se sont produits. La plupart des leaders, à commencer par le Premier ministre, ont tout fait pour étouffer le débat. Au nom du politiquement correct, c’était une incongruité de nommer les choses et d’en parler. La population n’a pas admis qu’on fasse de l’immigration une question taboue.

Certains vous accusent de populisme...
Quand le gouvernement a proposé de relever les quotas d’immigration, nous l’avons approuvé. Il ne s’agit donc pas d’intolérance ni de populisme. Mais les Québécois rejettent une forme d’aplatventrisme qui n’ose plus défendre nos traditions et nos coutumes.

Interview de Jean Charest*

Le Point : Le multiculturalisme canadien a-t-il atteint ses limites ?
Jean Charest : Pour nous, au Québec, l’immigration a pour but d’intégrer de nouveaux arrivants à la société francophone. Nos objectifs sont donc différents de ceux du reste du Canada. La difficulté est de faire en sorte que les immigrés qui arrivent chez nous restent au Québec. Les problèmes et les débats identitaires soulevés par l’immigration ne sont pas très différents de ceux que vous connaissez en France.

Sauf que le Québec francophone est une société minoritaire en Amérique du Nord !
C’est vrai, aucun autre endroit au monde ne vit ce que nous vivons. Depuis l’origine, le Québec a mené un combat permanent pour défendre sa langue et sa culture. Cela dure depuis quatre cents ans. C’est une bataille qui se transmet de génération en génération, qui n’est pas terminée et qui ne le sera jamais dans un environnement qui change.

Comment faire pour que l’immigration ne remette pas en question cette identité chèrement acquise ?

e n’est pas facile ! Il faut poser comme principe et comme concept juridique l’acceptation et le respect de l’autre, mais sans pour autant mettre de côté nos propres valeurs.

Le Québec accueille en 2008 le Sommet de la francophonie. Que faut-il en attendre ?
Il faut redynamiser la francophonie pour lui donner un nouveau souffle. Je pense, par exemple, à des thèmes comme le développement durable et les gaz à effet de serre. Un autre grand thème devrait être le rôle de la francophonie dans la mise en oeuvre d’une organisation des Nations unies sur l’environnement, un projet avancé par la France et que le Québec appuie.

Vous avez proposé à Nicolas Sarkozy un accord sur la mobilité de la main-d’oeuvre. De quoi s’agit-il ?
Nous travaillons beaucoup pour amener des Français au Québec, mais il y a souvent des problèmes de reconnaissance des diplômes et des compétences. Il faut qu’un médecin ou un plombier français puissent exercer sans problèmes au Québec et vice versa. J’ai donc proposé à Nicolas Sarkozy d’ouvrir immédiatement une négociation et cette idée a reçu le meilleur accueil.

Voir en ligne : Article du POINT

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