Les dessous secrets de l’OAS : première partie
Les dessous secrets de I’O.A.S : 1er épisode
Le 8 janvier 1961, tard dans la soirée, l’hôtel Princesse de Madrid est littéralement pris d’assaut par une foule de curieux et de journalistes venus de tous les coins du monde. Tous attendent fébrilement l’apparition du général Salan.
Les commentaires vont bon train. Comment, va réagir I’exilé de Madrid l’écrasante victoire que vient de remporter legénéral de Gaulle.
Les résultats publiés ce jour même à Paris laissent voir que l’immense majorité de la population française a répondu oui au referendum : de toute évidence, les Français de la métropole font confiance au chef de I’Etat pour les « débarrasser » de l’affaire algérienne.
L’attente des journalistes et des curieux sera vaine.
Ce soir là, le général Salan ne quittera pas sa chambre.
Les correspondants de presse se contenteront d’une déclaration de Pierre Lagaillarde qui, au beau milieu du procès des barricades, a profite de sa mise en liberté provisoire pour regagner l’Espagne, en même temps que Jean-Jacques Susini et d’autres inculpes.
. Mais cette déclaration est entièrement approuvée par Salan. Elle condamne la politique gaulliste menée en Algérie, s’éleve contre I’abandon de cette province par un pouvoir aveugle et insensible au drame que vivent les Français d’Algérie.
Dans la vie de Raoul Salan, cette journée est décisive.
A 62 ans, celui qu’on appelle le Mandarin a une brillante carrière militaire derrière lui.
Commandant en chef en Algérie, après l’avoir été en Indochine, il s’est vu rappeler en France par de Gaulle pour s’installer dans le fauteuil doré de gouverneur militaire de Paris. Mais, Salan est trop ambitieux pour s’accommoder de ce poste honorifique.
Brulant de rancœur, persuadé que le général de Gaulle a trahi ses serments, le general Salan entre en conflit ouvert avec son gouvernement en s’installant en Espagne.
Je suis ici, confie-t-il à ses intimes, afin de poursuivre Ie combat pour l’Algérie française. Si nous perdons l’Algérie, la France se rangera parmi les petites nations. La population musulmane d’Algérie est prête a nous apporter son concours si la France se déclare, franchement et clairement, disposée à demeurer en Algérie...
Les incertitudes, les atermoiements de Paris favorisent la propagande du F.L.N .... Si de Gaulle persiste dans cette voie, il y a un million d ’européens qui vont être sacrifiés.
Ainsi, pour la premier. fois, Salan prend position contre le général de Gaulle et franchit le Rubicon.
Pour I’instant, c’est un homme seul. Pas pour longtemps cependant.
Salan, Lagaillarde et Susini
A Paris, le procès des barricades qui a commence le 4 novembre traîne interminablement.
Les uns après les autres, les accusés sont mis en liberté provisoire.
Certains vont profiter de ce répit pour fuir vers l’Espagne.
Pierre Lagaillarde est le premier a fausser compagnie a ses juges ; il sera rejoint par Jean-Jacques Susini, Marcel Ronda et Demarquet.
Dès leur arrivée, les fugitifs prennent contact avec Salan et lui font savoir qu’ils se mettent sous ses ordres.
D’abord réticent, le Mandarin finira par comprendre qu’une collaboration est nécessaire entre lui et les civils qui se sont réfugiés à Madrid.
Et puis, s’il reste circonspect envers Lagaillarde, qui le rebute quelque peu par son cote fanfaron !, désordonné et braillard, il est en revanche captivé par Susini.
A 27 ans, ce jeune homme blond, très maigre, au visage blafard a déjà fait ses preuves durant la semaine des barricades, en tant qu’adjoint du bouillant Jo Ortiz.
Sa vive intelligence, ses jugements incisifs plaisent au général Salan.
C’est avec des garçons de cette classe que nous arriverons, enfin, a faire quelque chose ... confie-t-il a son aide de camp Ferrandi.
Quant a Lagaillarde, il faut bien faire équipe avec lui ; il a gardé de bonnes relations avec les hommes du F.A.F., le très puissant " front de I’ Algérie française".
En outre, c’est un meneur d’hommes, un « leader » haut en couleur, tel que les aiment les foules méditerranéennes.
Les Européens d’Algérie entre l’ enclume et le marteau
Dès les premières rencontres, Susini décrit a Salan la situation tragique qui règne en Algérie.
Au cours du mois de décembre 1960, la visite du général de Gaulle en Algérie a été l’occasion pour la population européenne, mobilisée par le F.A.F., de manifester sa colère.
Mais le dimanche 11 décembre, aux "Algérie française" des Pieds-Noirs, ont répondu les "Algérie algérienne "des Musulmans, et me même "Vive Ie F.L.N." ou "Fehrat Abbas au pouvoir."
Les contre-manifestants ont débordé les barrages et se sont répandus dans les quartiers européens. L’armée a tiré dans la foule et le bilan a été particulièrement lourd : 61 morts à Alger dont 55 Musulmans.
Le choc psychologique de cette journée a été capital, explique Susini a Salan, les Musulmans se sont rendu compte de leur force ;
-maintenant les Européens ont peur.
Ils ne savent plus quoi faire ni a qui se fier.
ils ont le sentiment d’être pris entre l’enclume et le marteau, entre la métropole pressée de les lâcher et les Musulmans de plus en plus sûrs de leur force et décidés, sous la pression du F.L.N., a réclamer I’indépendance
Susini apprend également a Salan que les mouvements favorables a l’Algérie française sont violemment combattus par les autorites.
Le F.A.F. est dissous.
Les autres organisations sont trop dispersées et manquent de cohésion.
C’est également l’avis de Pierre Lagaillarde qui affirme qu’il est urgent d’unifier les mouvements de diverses tendances et de créer un front commun.
Il faut former en Algérie un véritable appareil de combat essentiellement civil, explique Lagaillarde.
Comment allons-nous I’appeler ? demande Susini. « Armée Secrète » comme au temps de la résistance ?
Le mot organisation doit figurer dans notre sigle, je verrai assez bien « Organisation clandestine » ou « Organisation Armée » répond Lagaillarde.
Bonne idée ! Cette organisation devra être clandestine et fortement disciplinée.
Nous l’appellerons Organisation Armée Secrète, O.A.S
Durant toute cette discussion, salan se contentera de hocher la tête. Le lendemain, il confiera à son fidèle compagnon Ferrandi :
Pauvres algérois : ils ont déjà eu l’U.R.S.A.F., le F.L.N., le F.N.F. !
Avec en plus l’O.A.S., ils ne s’y reconnaîtront jamais !
Enfin si ça a les amuse et si ça leur fait passer le temps en attendant mieux, il n’y a qu’à les laisser faire...