LA VERITE TRIOMPHE TOUJOURS , ! oubli des autorités françaises et mensonges du FLN !

, par  Cactus , popularité : 7%

« Le passé n’est jamais mort, il n’est même jamais passé. »
- William Faulkner

Depuis 2004, et jusqu’en 2012, nous vivons sous le signe du cinquantenaire de la guerre d’Algérie. Colloques, conférences, témoignages et publications universitaires se succèdent presque sans interruption. Or, ces efforts de compréhension ne doivent pas masquer la prégnance et la permanence de la guerre hors des cercles académiques. De part et d’autre de la Méditerranée, les événements qui s’échelonnèrent de 1954 à 1962 continuent de façonner les esprits et de provoquer les polémiques, ce dont pourra témoigner quiconque suit l’actualité française ou algérienne. Plus fondamentalement, l’existence même des acteurs de cette guerre implique une survivance du conflit dans la mémoire.

 !anaughty !, Rootless (Sans racines), 2007
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Ainsi, comme notre titre le suggère, la guerre d’Algérie ne s’est pas terminée avec les Accords d’Évian de mars 1962. Elle a plutôt migré dans les mémoires diverses et souvent antagonistes de l’événement qui continuent aujourd’hui à lutter pour leur reconnaissance et leur légitimité. On peut, à ce titre, parler « de véritable guerre civile des mémoires incompatibles(1) » dans laquelle l’histoire commence tout juste à vouloir – et à pouvoir – instiller ne serait-ce qu’une infime dose de froide analyse. En France, on émerge à peine de l’amnésie générale. En Algérie, les premières fissures apparaissent à la surface du mythe unanimiste de la révolution forgé par le Front de libération nationale (FLN) pour légitimer ses prétentions hégémoniques au pouvoir. Entre l’oubli et la surexposition du passé, c’est une histoire plus consensuelle qui se profile. Du moins nous est-il permis de l’espérer…

Côté français, faire l’histoire
Cette volonté d’oubli, rien ne l’a illustrée avec autant de clarté que le refus de la part des autorités de reconnaître aux « événements » d’Algérie le statut de guerre. Il a fallu, en effet, attendre 1999 pour voir le gouvernement voter une loi établissant formellement qu’il ne s’agissait pas « d’opérations de maintien de l’ordre », selon la formule bureaucratique consacrée, mais bien d’une véritable guerre. Pendant le conflit à proprement parler, l’emploi de tels euphémismes cachait une raison fort simple, quoique contestable : admettre que l’état de guerre revenait à détruire l’image d’une République « une et indivisible » dont l’Algérie, répartie en trois départements, faisait partie intégrante. Il importe, ici, de bien saisir la nature particulière de l’Algérie dans l’empire colonial français. Contrairement aux colonies d’« Afrique noire » ou d’« Extrême-orient », l’Algérie constituait une région à part entière du territoire métropolitain, au même titre que la Corse, comme en témoigne la gestion de ses affaires par le ministre de l’Intérieur. Selon une expression répandue chez les pieds-noirs(2), « La Méditerranée traverse la France comme la Seine traverse Paris(3) ».

Immédiatement après la fin des hostilités, les autorités n’ont pas jugé bon de revenir sur la nature du conflit, et ce, jusqu’en 1999. Deux raisons expliquent ce silence. D’abord, sur un plan pragmatique, la reconnaissance d’une guerre implique le paiement de rentes aux anciens combattants, qui furent plus de 2 700 000 à servir en Algérie(4). Plus fondamentalement, par contre, il apparut aux autorités que l’amnésie constituait le moyen le plus infaillible de mettre un terme aux résurgences épisodiques de conflits de mémoires auxquelles ces mêmes autorités se trouvaient inextricablement mêlées. Un exemple de ces luttes s’articule autour du recours à la torture et aux exécutions sommaires pendant la guerre. Entre la mémoire des victimes de ces exactions, celle des exécuteurs et celle des hommes d’État qui avalisèrent ces pratiques, les chocs furent répétitifs et violents. Ces antagonismes ne facilitèrent en rien le travail des historiens, et il aura fallu attendre 2001 pour voir paraître le premier ouvrage « scientifique » exclusivement consacré à la question(5). Un autre exemple, peut-être plus significatif en ce qui concerne la société française elle-même : la présence de groupes ou de communautés dont l’existence est intimement liée à la guerre. Anciens combattants, travailleurs algériens immigrés pendant la guerre, pieds-noirs et harkis(6) constituent autant de mémoires particulières refoulées par l’État dans la sphère privée.

Cette parcellisation de la mémoire en multiples fractions antagonistes a rendu difficile une historicisation de la guerre d’Algérie, préalable essentiel à son incorporation dans la conscience collective. Cependant, les passions s’estompent peu à peu, et les témoins que la proximité des événements a longtemps contraints – ou encouragés – au silence s’ouvrent lentement. Dans ce contexte, le chercheur peut progressivement chercher à combler les lacunes laissées par plus de 40 ans d’atomisation de la guerre en mémoires particulières. Comme le mentionne Guy Pervillé, historien particulièrement sensible à cette évolution, « la relève de la mémoire par l’histoire est désormais commencée(7) ».
Côté algérien, défaire l’histoire À bien des égards, la situation en Algérie est diamétralement opposée à celle qui se dessine dans l’Hexagone. À l’image de la pluralisation du paysage politique algérien des dernières années, on assiste à la constitution d’histoires concurrentes qui viennent remettre en question la version officielle forgée par le FLN afin de justifier ses velléités à incarner seul la nation algérienne. En effet, derrière « l’hyper-commémoration » de la guerre de libération nationale reprenant presque littéralement la propagande du FLN au temps de la guerre, les mythes fondateurs se fissurent. Principalement, ce sont les agissements du FLN lui-même et de sa branche militaire, l’Armée de libération nationale (ALN), qui sont touchés par ce vent de « révisionnisme ».

Par exemple, on voit de plus en plus souvent questionnée l’unanimité du ralliement populaire au FLN pendant la guerre. Sans s’engager à fond dans les différents processus qui entrent dans la construction d’une nation, il est clair que l’adhésion, ou l’invention de l’adhésion, d’une majorité de la population au projet national en constitue une condition sine qua non. En d’autres mots, il est impératif que la population, nonobstant ses repères identitaires traditionnels (famille, région, religion, etc.), souscrive également, même prioritairement, à cette « communauté imaginée »(8) qu’est la nation afin que cette dernière puisse éventuellement constituer une réalité politique. C’est bien sur cette adhésion que s’est fondée la légitimité du FLN, non seulement en tant que seul interlocuteur valable lors des négociations avec la France en vue de l’indépendance, mais aussi en tant qu’acteur unique de la révolution et qu’architecte de l’Algérie nouvellement émancipée.

Or ce que l’histoire officielle ne dit pas mais qui commence à transpirer au travers des fissures évoquées plus haut, c’est bien la manière par laquelle fut accomplie cette adhésion. À ce titre, le massacre par l’ALN de dizaines de milliers de harkis, ces « collaborateurs » de la puissance coloniale, est un exemple probant. En effet, leur seule présence, mais surtout leur nombre, soit environ 265 000(9), tendent à remettre en question la version officielle voulant que les opposants à l’indépendance n’eurent été qu’une poignée d’individus isolés et égarés.
Évidemment, il est compréhensible, pour les raisons que nous venons d’évoquer, que les propagandistes du FLN aient voulu minimiser le nombre des Algériens pro-français, comme ils ont dissimulé les divisions à l’intérieur du FLN. Par contre, ce discours unanimiste postulant l’adhésion volontaire de tous les Algériens à la cause nationale s’est rapidement transposé, après la guerre, dans la construction d’une histoire officielle vis-à-vis de laquelle aucune remise en cause ne fut permise. Or, de plus en plus nombreux sont ceux qui, à l’instar de l’ancien haut fonctionnaire Boualem Sansal, croient que « l’histoire n’est pas l’histoire quand les criminels fabriquent son encre et se passent la plume(10) ». Sans remettre en question la légitimité absolue de l’indépendance algérienne, plusieurs intellectuels se sont mis à la tâche de déboulonner certains mythes de l’histoire de la guerre afin de rendre à cette dernière sa nature plurielle et complexe.

Vers une histoire consensuelle de la guerre d’Algérie ?

Nous ne saurions prétendre rendre justice à la complexité des mécanismes en jeu dans les dynamiques mémorielles et historiques en cours de part et d’autre de la Méditerranée. Par contre, nous croyons avoir montré comment celles-ci suivent des trajectoires dont les points d’origine sont diamétralement opposés. En France, à la faveur d’un refroidissement relatif des conflits opposant les mémoires antagonistes de la guerre, les historiens ont entamé le défrichage systématique d’une guerre longtemps abandonnée à l’amnésie collective. En Algérie, on voit apparaître à la surface lisse de l’histoire officielle les premiers remous causés par la volonté de certains Algériens de prendre en compte les multiples facettes de la guerre de libération nationale, non plus seulement la version hégémonique telle qu’élaborée par le FLN au lendemain de l’indépendance. Or, puisqu’elles sont parties de points opposés, il est permis de croire que ces trajectoires sont appelées à se rencontrer, pavant la voie à une histoire de la guerre d’Algérie qui réconcilierait non seulement les antagonismes intérieurs, mais aussi ceux qui ont toujours cours entre les deux pays. Ainsi, il serait « enfin possible d’en finir avec la guerre d’Algérie(11) ».

Notes

(1) BRUCKNER, Pascal, La tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme occidental, Paris, Grasset, 2006, p. 167.
(2) Après avoir désigné pendant longtemps les populations indigènes (sans plus de précisions) vivant sur le sol algérien, le terme pieds-noirs en vint après la Seconde Guerre mondiale à référer aux Européens nés en Algérie, et dont la majorité provenait de France, d’Espagne et de Malte. Sur les pieds-noirs, on lira, notamment, JORDI, Jean-Jacques, De l’exode à l’exil, rapatriés et pieds-noirs en France, Paris, L’Harmattan, 1993, 250 p.
(3) Cité dans KEDWARD, Rod, La Vie en Bleu : France and the French since 1900, Londres, Penguin Books, 2006, p. 329.
(4) MANCERON, Gilles et Hassan REMAOUN, D’une rive à l’autre. La guerre d’Algérie, de la mémoire à l’histoire, Paris, Syros, 1993, p. 31.
(5) BRANCHE, Raphaëlle, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001, 474 p.
(6) Les harkis sont des musulmans ralliés à la cause française et qui combattirent sous ce drapeau lors de la guerre. Au terme de celle-ci, ils fuirent en masse l’Algérie et les représailles organisées par le FLN, desquelles résultèrent entre 10 000 et 150 000 morts parmi les harkis. Le flou des estimations reflète le manque de sources fiables. Le lecteur consultera avec profit, sur le drame des harkis, entre autre, ROUX, Michel, Les harkis, les oubliés de l’histoire, 1954-1991, Paris, La Découverte, 1993, 419 p.

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