CousCous ?
Merci Christiane !
Le couscous est un plat typiquement maghrébin (on se demande, d’ailleurs, pourquoi on le qualifie de cuisine orientale) une spécialité d’une grande notoriété et de renommée internationale.
Il se trouve que ce plat, dont l’origine remonte à l’antiquité, est plus qu’une simple recette de cuisine ou un délicieux mélange d’ingrédients.
C’est un ensemble de références culturelles, il renvoie à différentes identités culturelles, selon les régions et les pratiques sociales. D’ailleurs, l’on ne peut définir – et apprécier – le couscous que dans un contexte défini, celui de son ancrage social et des liens qui l’attachent à ce type d’enracinement.
Par ailleurs, le couscous est une succession de récits surprenants. Ainsi de ce plat si particulier sont nées quelques croyances fantastiques...
L’on raconte que pour faire tomber quelqu’un sous le charme d’un sortilège, il suffit de rouler le couscous à « l’eau de lune », ou encore avec la main d’un cadavre récemment enterré. Ce sont les sorcières qui, la nuit tombée, hantent les cimetières pour se livrer à des pratiques aussi macabres.
Si le couscous est une suite d’histoires, il est aussi une succession de souvenirs. Chacun de nous, après avoir une fois au moins goûté au couscous, dit seksou, garde de ce plat si magique des souvenirs qui le poursuivent longtemps et le renvoient à son enfance.
L’image que l’on retient du couscous, c’est celle d’une femme (mère ou grand-mère) qui, « assise à même le sol, sur une peau de mouton, jambe pliée et gauche allongée, le long de la gasaâ, le dos contre le mur avec tous les ustensiles à portée de la main », roule avec des gestes répétitifs les grains dorés.
Le couscous constitue une symbolique gastronomique dans la tradition algérienne, et maghrébine : festivité, mariage, circoncision, offrandes, décès... Il suscite une rencontre, des retrouvailles. C’est aussi un lien qui raffermit l’amitié et renforce davantage les alliances familiales. Il signifie, en outre, liens et rapprochements.
Il veut dire partage et solidarité. Autrement dit : « Le couscous est le plat du partage, donc de l’hospitalité et de la générosité. Il renvoie au principe fondateur de toute communauté humaine, la solidarité. » Le couscous veut dire également authenticité. Ainsi, le couscous restera à jamais inscrit dans nos mémoires, dans nos chants, sur notre palais.
Le blé dur à l’origine du couscous
Mais que ce soit pour le blé dur ou la culture de l’olivier, il existait bien avant l’arrivée des Phéniciens dont les Berbères étaient en relation depuis l’Antiquité la plus lointaine. Mais rien ne conclut que le couscous est d’origine punique, il y a autant de raisons qui nous incitent à la prudence.
Par exemple, tous ces bijoux par lesquels la femme algérienne se pare lorsqu’elle roule le couscous des différentes cérémonies, certains modèles pourraient rappeler des modèles venus de Carthage.
Est-ce à dire que les femmes berbères ont pris goût des diadèmes et des khoulkhals (sorte de cerceaux de chevilles), ou encore la main ouverte, ce symbole porte-bonheur qui décore des bagues ou des pendentifs.
Est-ce un héritage carthaginois ?
Est-ce des bijoux puniques ?
Là aussi il n’y a pas de solides arguments pour approcher les ressemblances. Les bijoux kabyles ou chaouis par exemple, ont peu de traits communs avec les bijoux carthaginois. Toutes les combinaisons géométriques et décorations berbères diffèrent complètement et n’ont rien à voir avec l’art carthaginois.
Or, la première des croyances berbères, c’était toujours la bonne venue de la moisson. Et les rites à ce sujet sont très nombreux.
Les rites des labours, les rites destinés à faire tomber la pluie, les rites des moissons, tous ces rites qui sont innombrables sont célébrés tout au long de l’année agricole. A partir de là, on perçoit aisément la place des céréales dans le système agraire amazigh . La récolte est ce produit né d’un mariage magique renouvelé chaque année, entre un élément femelle, la terre et un élément mâle, la pluie.
Pour assurer cette union et pour la rendre féconde, l’homme amazigh s’est entouré de toutes les cérémonies symboliques qui se déroulent dans toute la Numidie. La terre meurt avec la moisson et renaît à l’automne. De là, est née la préparation du couscous qui se soumet à des rites selon que la cérémonie est funéraire ou de fêtes, de mariage, de circoncision. Chaque région du pays prépare à sa manière le rituel qui entoure le manger du couscous. Il y a autant de cultes agraires devant le mystère de la récolte.
La trace de ces cultures est-elle héritée de la Phénicie ? Tanit Pene Balla, la grande déesse de Carthage, était vraisemblablement une déesse de la fécondité, et Juno Caelesti qui lui succéda à l’époque romaine accentua encore ce caractère, elle fut déesse qui donne les épis, ou celle qui provoque les pluies. Or, le taslit berbère n’a rien à voir avec la lune.
Dans les croyances berbères, l’asli, élément mâle, semble dans la plupart des cas, un personnage céleste, matérialisé dans la pluie. Pour implorer Dieu afin que la pluie tombe, à ce jour les enfants sortent dans certaines de nos régions avec " Boughadja, appelés aussi Taghoundja ", sorte de marionnette en pièces d’étoffes multicolores.
Pour revenir à notre sujet qui est celui de l’origine du couscous, nous restons affirmatifs qu’elle est amazighe. Depuis, il existe différentes façons pour préparer le couscous. Du blé dur on en fait de la semoule qui servira à la préparation du couscous.
Le thème n’est pas de présenter des recettes, pour cela les livres de cuisine en illustrent bien des procédés des différentes opérations dans l’effritement des grumeaux, saupoudrées de semouline qu’on frotte bien avec la paume de la main dans une " gas’aâ " en bois.
On l’appelle Seksou en Kabylie, Taberbouchet dans les Aurès, Taâm chez les Ouled-Naïl, lem’hawar chez les gens de Mila et Naâma chez ceux de Constantine. Dans la région de Chenoua, on fait même du Taâm oubeloout ou couscous à base de glands.
Le couscous sera accompagné d’une sauce appelée "marga" faite de légumes tels tomates, oignons, cougettes, navets, ail, fèves, pois-chiche, viande blanche, rouge et des condiments depuis ras el hanout, coriandre, poivre, sel jusqu’au piment pour avoir une cuisine relevée .
Les gens du Littoral comme à Collo ont la spécialité du couscous au mérou.
A chaque cérémonie, son propre couscous. Il y a le mesfouf sucré au miel et aux raisins secs, ou seffa avec beurre, raisins secs, cannelle, fleur d’oranger et amandes mondées dans l’ouest du pays.
Il existe le couscous de couleur brunâtre appelé " lemziet " dont les citadins de Constantine raffolent. Les pieds-noirs se sont accoutumés au couscous-merguez emprunté de l’art culinaire juif.
Or, le couscous algérien et maghrébin en général, a pénétré l’Andalousie dès le XIIIe siècle. Sa cuisson à la vapeur qui remonte aux temps les plus reculés, fait du couscous qu’il a bien une légende. Parce que confectionné à partir du blé dur le couscous est-il berbère avant d’arriver en Ethiopie ? On peut classer le couscous dans la famille des panades.
En roulant la semoule dans une bassine avec la paume des mains, qu’on passe au tamis bien calibré, les grains sortent et sont séchés sur un drap blanc puis sont portés à la vapeur dans un couscoussier pour être cuits.
Coscotan à la moresque
Aujourd’hui, chaque pays du Maghreb se targue d’être à l’origine de ce plat aux saveurs berbères. Présent dans les noces, dans les circonstances de fêtes et de peine, le couscous s’est toujours entouré de rituel qui lui donne une certaine sacralité.
Il parvient de sortir des frontières et d’être prisé selon Rabelais dès le XVIe siècle sous le nom de "coscoten à la moresque".
C’est sous les premiers Hafsides que le nom de couscous est mentionné. On dit assez souvent que " les fleuves coulent vers la mer et gardent la nostalgie des hauteurs où ils ont pris leur source..." Il en est de même pour les peuples . Rien n’est perdu aussi longtemps qu’ils en conservent le culte et les traditions millénaires. Le couscous est ce plat de convivialité qui a gardé son histoire millénaire, celui de l’homme libre.
En Algérie, chaque famille a ses propres cérémonies intimes en plus de celles liées à la tradition religieuse et ancestrale.
Couscous Zerdat sabil
Que ce soit durant l’Aïd el Adh’ha ou Séghir, le Mouloud Ennabaoui Charif, Achoura, El-Mouharem, le couscous est à l’honneur.
C’est ce repas rituel, qu’on distribue aussi aux pauvres dans les mosquées en tant qu’aumône propitiatoire (Fi Sabili Allah) dans la voie de Dieu qui porte le nom de " Zerdat-sabil ". Ce couscous préparé avec de la viande de la bête immolé sur le seuil de la nouvelle maison est offert.
Le repas terminé, on se congratule et on souhaite prospérité et heureux séjour aux nouveaux occupants de la maison. C’est cette formule utilisée " mensel mabrouk " que cette maison soit bénie ou encore " Inchallah tafrah fiha wa tablegh el maqsoud " (s’il plait à Dieu, vous y goûterez de la joie et y verrez vos désirs exaucés).
Couscous sacrificiel de la hadhra
Mais c’est sans doute le couscous offert à l’occasion de la " hadhra" lors des visites de lieux où reposent les " Awlya assalihine", un couscous géant avec de la viande d’un bœuf sacrifié, où se restaurent les adeptes de la tariqa et ceux qui viennent pour la curiosité voir les séances de dh’ikr. C’est une sorte d’office où l’on psalmodie les versets du Coran par un " soubhan Ed’daïm " (louanges à l’Eternel) autour du chkeikh ou mokadem de la confrérie Aïssaoui, Rahmanyya, Kadrya, ou Hnasala etc....
Le couscous se consomme dans l’allégresse mais aussi dans une sorte de méditation après un court prélude entonnant l’invocation " Louange à Dieu qui n’a pas d’enfants, qui n’a pas d’associé à son Règne et qui n’as pas d’auxiliaire. Proclame Sa Grandeur. Le Puissant doué de majesté, le Sage doué de beauté, le Proche doué de générosité "
C’est à l’écoute de ce récitatif qui sera suivi d’un lyrisme métaphysique où le temps et l’espace dépendent de l’Eternel, que le rythme des bendirs, les adeptes à l’unisson des voix dans une ambiance de Tawhid de la Réalité unique, ressentent ce souci d’équilibrer l’immanence et la transcendance.
Alors que la litanie va en chœur souhaiter prière et paix au Prophète (QSSSL), puis énumérer les saintes depuis Jouneïdi, Chadilya, Abdelkader El-Djillali, etc.
Autour de la baraka, le couscous est servi après la plainte du mourid (néophyte) et que les kouans prononcent le teslim pour la séance de " tahwal " (oscillation de la tête et du corps) dans un exercice extatique selon un tempo où les bendirs reprennent impérieux dans une exaltation d’une mélodie qui détend l’atmosphère mystique.
N’est-ce pas là encore un rituel de dégustation du couscous communautaire qui rappelle l’antériorité de nos ancêtres, tel que nous l’avons vécu au cours des hadras à Sidi Slimane ou encore à Elghrab, Bouldjbel lorsque feu cheikh Hsouna Ali Khadja entonnait les Med’hs (litanies) à l’honneur du Prophète Mohamed (QSSSL) et des saints dans la zerda Aïssaoui où le " Mhawar " couscous raffiné des citadins de la médina de Constantine et le M’zeït dégageaient les saveurs de l’art culinaire de l’antique Cirta.
Le couscous lorsqu’on l’offre est aussi une symbolique contre le mauvais œil. Le Couscous est comme le burnous d’origine amazigh. Il est algérien. Il a une généalogie maghrébine dans toute la profondeur de nos racines.
Parce que le couscous algérien appartient à une histoire millénaire surtout que le couscoussier était fait en argile cuite, une poterie vieille depuis la Numidie .
Ce bonheur aussi éclatant de cette préférence d’un plat succulent au plaisir des yeux pour la foi et la paix. N’est-il pas à lui seul la source et l’espérance ? Et pour le Ramadhan, le s’hour avec ce mesfouf au miel et raisins secs, il sanctifie la qaâda de ce mois sacré par les litanies du Pardon et de la Miséricorde.
N’est-ce pas cette initiative à inscrire dans le loù entreprise algérienne de semoulerie, avait organisé, on s’en souvient au Palais des Expositions de la SAFEX à Alger, en marge de la 37e Foire Internationale et offert il y a quelques mois de cela aux visiteurs venus nombreux un couscous géant de 5 960 kg dégusté par plus de 25 000 personnes.
Comme de tradition, ce couscous qui a été assaisonné de sauce avec 1 250 Kg de légumes diverses et 100 moutons de race barbarine soit 2 200 Kg de viande, 140 Kg de pois-chiche, 250 Kg de smen (beurre salé), 200 Kg de tomates en conserve, et 200 litres d’huile.
Ce couscous a été servi comme dans une Zerda à la baraka des Saints (Awlya Salihines) par 100 restaurateurs, 80 cuisiniers profondément attachés à la tradition culinaire algérienne et du personnel venu aider pour la circonstance. A ce jour il n’y a pas eu de rival et le record précédent étant détenu par les Tunisiens avec un plat de couscous de
2 000 kg et les Marocains avec 1 500 kg.
C’est sous la kheïma de type Naïli que ce repas a été savouré dans l’esprit de la convivialité que SIM a su mettre l’hospitalité algérienne dans le ressourcement culinaire et gastronomique plusieurs fois séculaire de notre terroir où les familles algériennes venaient de célébrer le Yennayer (nouvel an amazigh) qui coïncide cette année avec la fête abrahamique, la cérémonie de l’offrande du bélier par l’archange Gabriel à Sidi Ibrahim El Khalil (Abraham)
Le bon couscous ancestral de la bénédiction qui remonte à l’Algérie la Numidienne, grenier à blé de Rome, pourvoyeuse en céréales de la France impériale, qui a suscité tant de convoitises pour son blé riche en qualité protéique ?
C’est sans doute ce qui a fait que le couscous deviendra le plat national par excellence. Au plus lointain de son histoire, l’amazighité de son origine est plus que millénaire.
Il s’affirme comme le plat de la baraka. Lié à tous les rituels de la vie le couscous accompagne nos peines et nos joies. La diversité des recettes dans la présentation du couscous met tout un savoir-faire dans l’art culinaire. Tous les aromates se fondent doucement dans la marmite qui s’évaporent et viennent imbiber les grains contenus dans le couscoussier. Les senteurs enrobent l’atmosphère grâce aux épices orientales raffinées qui viennent donner du goût à la viande et au poulet. Le couscous de nos grands-mères a une saveur particulière.
Graine beurrée que la sauce préparée aux multiples légumes relevée par le " ras-el-hanout " provoque la douceur d’une touche piquante.
Les délices de ce couscous millénaire tiennent à la convivialité qui l’entoure entre les membres d’une famille. Plus de 60 recettes sont appliquées pour faire de ce mets un moment de délice familial. Il apparaît avec sa note nostalgique lorsqu’on est loin du pays. Là se renforce l’idée d’appartenance identitaire. Le couscous réunit les sensibilités diverses parce qu’il reflète l’histoire de nos us et coutumes. La tradition plusieurs fois séculaire légitime le couscous dans toutes ses saveurs et ses goûts. Pèlerinage ou circoncision, noces ou décès, sa préparation s’accompagne toujours d’un rituel.
Le mot couscous ne vient-il pas du Tamazight Sksou (Idzagzu) qui veut dire écraser le grain ou moudre. Le couscous aux sept légumes faisait partie des offrandes que les Berbères mettaient pour célébrer Yennayer ou Ennaïr. Il y a la préparation du couscous aux gros grains cuits avec les pieds du bélier ou veau égorgé à l’occasion de l’Aïd El-Kébir (El Adha).
Voilà pourquoi, en remontant l’histoire, il est utile de rappeler que l’Algérie était bel et bien le grenier à blé de Rome.
Cette référence lui suffit d’exprimer que l’origine du couscous date de la période libo-phénicienne lorsque le blé dur servait pour préparer ce plat nourricier qui reste attaché à notre culture culinaire.
Les variétés céréalières qui ont fait leurs preuves durant les millénaires donnaient déjà une sélection généalogique, comme la variété de Hedba, Bidi 17, Oued Zenati, Mohamed Benbachir dont les grains couleur ambre clair, translucide servent à fabriquer de la bonne semoule de couscous, consommé à Sétif, Saïda, Sersou, Berrouaghia, Chlef, Sour-El-Ghozlane, Aïn-Témouchent, Tlemcen, Tiaret, Kabylie, Guelma, le Constantinois, etc.
La qualité nutritionnelle et diététique, mesurée par sa teneur en protides, lipides, glucides, vitamines, sels minéraux, présente une valeur énergétique qui reflète toute la généalogie végétale de notre couscous en tant que plat national avec tous les rites qui l’entourent, notamment dans les offrandes, zerdas et hadhra, cérémonies célébrées autour des sépultures des " Awlya salihines ".
Avant que naissent les moulins à eau et à vent, c’étaient les meules domestiques, sorte de pierres superposées trouées avec un bâtonnet appelé " El-matahna ".
Nous nous sommes attelés à revoir les rites qui entourent la préparation du couscous, à telle enseigne qu’il existe plusieurs recettes liées à la cérémonie qui entoure le mets. Les croyances et les rites berbères ne dérivaient pas du rituel punique. Hérodote nous a d’ailleurs transmis le souvenir d’une cérémonie d’une héroïne qui tient une si grande place dans les mystères agraires des Berbères modernes. On admettra volontiers que lorsque l’agriculteur berbère, en commençant ses labours, brise une grenade sur le timon de sa charrue, et l’enterre dans le premier sillon, c’est qu’il pense que les épis portent autant de grains que contient la grenade, lui attribuant ainsi une valeur symbolique. La grenade est un vieux symbole punique de fécondité.
Dr Boudjemaâ HAICHOUR (actuellement ministre dans le gouvernement algérien)