Ce 26 Mars 1962 ...

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Voici le récit détaillé de ce jour tragique vécu par Yves Courrière. Après enquête, il décrit ce drame dans son ouvrage " Les feux du désespoir " édité chez Fayard en 1971...


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Ce lundi 26 mars 1962 aucun de ceux qui l’ont vécu à Alger ne l’oubliera jamais. Cette journée devait voir se produire l’inimaginable.
Le massacre d’une population désarmée. Le comble de l’horreur.

Depuis, chaque partie s’est justifiée, s’est servie des tragiques évènements pour soutenir sa politique. Aucun de ceux qui y ont assisté - j’en fus - ne comprirent quoi que ce soit, dans l’instant, à l’atroce boucherie.
Ils n’entendirent que les coups de feu, ne virent que le sang, les cris, les larmes. Ensuite chacun prit dans l’arsenal des justifications ce qui servait ses convictions, rejetant les arguments de l’adversaire.

Dix ans ont passé. Les langues se sont déliées.

Les documents secrets concernant la tragédie ont pu être retrouvés après une longue enquête tant du côté gouvernemental que du côté de l’O.A.S.

Ils permettent aujourd’hui de se faire une idée de ce que furent les responsabilités de chacun.

Je ne tente de convaincre aujourd’hui aucun de ceux qui "sont convaincus d’avance " quel que soit leur camp. J’ai simplement cherché - témoignages et documents à l’appui - la vérité sur ces heures qui m’ont bouleversé, sur ces heures qui ont marqué la fin d’une époque.

Dès l’aube le général Capodano, responsable militaire du maintien de l’ordre dans le Grand Alger, prend des mesures rendues nécessaires par l’interdiction de la manifestation.
Outre les vingt-cinq escadrons de gendarmes mobiles, les compagnies de CRS et les bataillons d’infanterie qu’il a à sa disposition, il fait appel à des éléments du 4° régiment de tirailleurs du colonel Goubard.

On se souvient du rôle du colonel lors des journées d’avril 1961 auprès du général Arfouilloux dont il était l’adjoint à Médéa.
Après le putsch Goubard a pris le commandement du 4° R.T. formé en grande majorité de tirailleurs musulmans. Dès la fin de la trêve unilatérale au 19 février 1962, le 4° R.T. a fait " la chasse aux fells’ " dans la partie ouest de l’Ouarsenis et dans le secteur de Boghar.

Du 19 février au 23 mars il a fait "de la présence" comme toutes les autres unités de secteur. Étant une unité de réserve générale ses compagnies sont éparpillées de Rocher-Noir à Djelfa.

A l’heure de la lutte anti-O.A.S. Goubard s’inquiète. Son unité risque d’y être mêlée.
Le 16 mars, lors d’une visite du général Ailleret à son P.C. de Berrouaghia, il s’ouvre de ses craintes au commandant supérieur.

<< Pour se battre contre les fells nous sommes toujours d’accord, dit-il. S’il y a une guerre civile contre l’O.A.S. nous la ferons. A contrecœur, mon général, mais nous la ferons. Il ne faut pourtant pas compter sur le 4° R.T. composé en majorité de musulmans dont certains sont d’anciens ralliés pour participer au maintien de l’ordre à Alger. Mes hommes sont d’excellents combattants, ils
ont fait leurs preuves, mais ils sont pour la plupart illettrés, frustes et se sentiraient désemparés dans une ville comme Alger où la population européenne - à travers l’O.A.S.- s’est montrée très hostile aux musulmans. >

Ailleret a compris. Il a promis à Goubard de donner les ordres nécessaires pour que le 4° R.T. ne soit pas mêlé aux opérations de police à Alger.

Or ces ordres - confirmés par le commandant supérieur - N’ONT JAMAIS ÉTÉ TRANSMIS.

Le 23 mars le colonel Goubard doit mettre à la disposition d’Alger-Sahel son État-Major technique n° 1 commandé par le chef de bataillon Pierre Poupat, et trois compagnies.

La première compagnie commandée par le capitaine Ducrettet, la 6° compagnie du capitaine Techer et une compagnie mixte formée pour moitié d’éléments de la 5° compagnie du 4° R.T. et de la compagnie d’appui.
C’est le capitaine Gilet qui en est chargé.

Au total 370 hommes, cadres compris.

Goubard ne s’inquiète pas. Ses troupes ne doivent pas pénétrer à Alger.
Pourtant, dès leur arrivée à Alger, ces trois compagnies sont engagées à Bab El-Oued. Elles essuient le feu des commandos O.A.S. qui tirent du haut des balcons et des terrasses.

Les 24 et 25 mars elles sont employées à différentes tâches de contrôle aux alentours du Forum.
Le 26 mars à 3 heures du matin elles bouclent un quartier européen de Maison-Carrée pour permettre à une unité de gardes mobiles de procéder à un certain nombre de perquisitions.
A 11 heures, ce fatal 26 mars, elles reçoivent l’ordre de quitter immédiatement Maison-Carrée et de prendre place sur le Plateau des Glières.
Elles devront s’opposer au passage des manifestants dans les quatre voies qui, autour de la grande poste, conduisent du bd Laferière vers Bab El-Oued : le boulevard Carnot, la rue Alfred-Lelluch, la rampe Bugeaud et la rue d’Isly.

A 13 heures 30 le chef de bataillon Poupat met ses troupes en place.
Il établit son PC au Bastion 15, charge la 2° compagnie du capitaine Ducrettet de barrer le boulevard Carnot et la rue d’Alfred Lelluch, et Ia 6° compagnie du capitaine Techer les rues d’Isly et de la rampe Bugeaud.
Le capitaine Techer établit son PC auprès du barrage de la rampe Bugeaud et confie la rue d’Isly au sous-lieutenant kabyle Ouchene Daoud qui commandera, avec le sergent-chef Boucher, placé en 2° échelon, les 23 tirailleurs du barrage.
Le convoi et une compagnie de réserve sont placés en attente boulevard Carnot.

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Les barrages établis, Poupat envoie son adjoint le capitaine Ardouin du Parc au quartier d’Orléans. Il faut savoir quels sont les ordres.
En effet le colonel Goubard, grand patron du 4° R.T., ne sait toujours rien de la mission assignée à ses compagnies.
Il se trouve à cette heure sur les hauts plateaux de l’Atlas saharien avec le reste de ses moyens et d’autres unités. Il est parfaitement tranquille. Il croit ses tirailleurs en réserve dans les bases de Douera et Dely Ibrahim !

Au quartier d’Orléans un commandant d’artillerie donne les consignes au capitaine Ardouin du Parc :
<< Vous devez bloquer le square Laferrière. Si les manifestants "insistent", ouvrez le feu. >

Ardouin demande une confirmation écrite - selon le règlement. On la lui refuse !

Au bastion 15 le commandant Poupat, informé, réunit ses commandants de compagnie.
<< Je reçois l’ordre d’arrêter la manifestation par tous les moyens y compris par le feu. Mais je n’exécuterai pas cet ordre dont la confirmation écrite ne m’a pas été donnée. Alors interdiction d’ouvrir le feu sauf si, comme à Bab El-Oued, on vous tire dessus depuis les immeubles. >

Chaque capitaine rejoint alors ses hommes et transmet les consignes.
Le capitaine Techer, commandant la 6° compagnie, prescrit, dans le cas où la troupe serait trop "pressée", de tirer quelques coups de feu en l’air.

Fatale imprudence.

Il est 14 heures 15. La foule commence à se masser sur le plateau des Glières. Les moyens matériels mis à la disposition du 4° R.T. par Alger-Sahel se révèlent très vite insuffisants.

Il n’y a de chevaux de frise que pour le boulevard Carnot, la rue Lelluch et la rampe Bugeaud. Celui de la rue d’Isly est trop court. Les tirailleurs du lieutenant Ouchene Daoud sont très vite en contact avec les manifestants.

Un barrage militaire mis en place rue Charles- Péguy entre les Facultés et le plateau des Glières a été emporté à coups d’amicales bourrades dans le dos et de baisers féminins.

Sur le boulevard Laferrière, entre le Monument aux Morts et la Grande Poste, la foule grossit. Par milliers les Européens répondent à l’appel de l’O.A.S., se massent sur le plateau qui semble leur avoir été abandonné.

< AL-GE-RIE-FRAN-ÇAISE... L’AR-MEE-AVEC-NOUS >... les slogans relaient les Marseillaises qui fusent aux quatre coins des Glières.

On entonne les " Africains ". Le cortège se forme. En tête, de très jeunes gens, presque des gosses, en blue-jeans et chemises roses ou bleu ciel - l’uniforme de la jeunesse d’Alger, le printemps venu - brandissent des drapeaux tricolores.
Hommes, femmes, enfants les suivent. Car on est venu en famille. Il y a même des vieillards qui marchent à petits pas.
Le succès de la manifestation dépasse tout ce qu’on pouvait attendre.

Tout Alger est descendu pour " voler au secours de ceux de Bab El-Oued ".

Les premiers rangs du cortège hésitent. Le bd Carnot, la rue Lelluch, la rampe Bugeaud sont bouclés par des chevaux de frise.
Derrière, sur deux rangs, les tirailleurs ont l’arme au poing.
Une seule voie semble moins hostile : la rue d’Isly.

Le lieutenant Ouchene a disposé ses hommes en travers de la rue. Le seul élément de barbelé, insuffisant, est contourné sans difficulté.
Pourtant les manifestants hésitent encore.
Les tirailleurs algériens sont tendus.

Quelques instants auparavant une vingtaine de jeunes gens et de jeunes filles brandissant un drapeau O.A.S. les ont insultés.

< On se retrouvera, espèces de fellaghas... >

La plupart des tirailleurs ne parlent pas français. Au passage ils n’ont reconnu que le mot fellagha. La tension monte.
Les armes sont braquées contre la foule. << Vous n’allez pas nous tirer dessus >, crie un homme.

Le lieutenant fait relever quelques canons de M.A.T. puis s’avance vers la foule, les bras en croix.
< Halte ! > crie-t-il. Il est blond, rose, parait très jeune sous son képi bleu recouvert d’une housse kaki. Il a des jumelles en sautoir, un pistolet au côté.
Les manifestants voient en lui un " Européen ", et non plus un quelconque de ces musulmans menaçants.

On ignorera toujours qu’il est kabyle et s’appelle Ouchene Daoud.

Un homme d’une quarantaine d’années, en costume marron clair, le regard caché par des lunettes aux verres fumés s’approche :
<< Mon lieutenant, on veut simplement aller secourir ceux de Bab El-Oued. On ne fait rien de mal. Vous êtes français comme nous ... >

<< Impossible, j’ai des ordres. >

Ouchene, devant les supplications de l’homme et celles d’un porte-drapeau qui l’accompagne, laisse passer individuellement une trentaine de personnes. Soudain le porte-drapeau revient vers le barrage.

<< Allez, venez, crie-t-il. On passe un à un par toutes les rues possibles. Allez ... TOUS A BAB EL-OUED. >

Environ trois cents personnes se précipitent, bousculent les tirailleurs de plus en plus affolés.

Non seulement le barrage est brisé mais les hommes sont pris à revers.
En effet AUCUN BARRAGE N’A ÉTÉ PRÉVU dans l’avenue Pasteur.

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Les tirailleurs de Ouchene sont isolés dans la foule. Une femme embrasse le " petit lieutenant français ", d’autres civils au contraire insultent les musulmans. Un homme d’une cinquantaine d’années écarte la veste de son costume gris froncé et, montrant la crosse d’un 11,43 qu’il porte dans un holster, dit à Ouchene :

<< Moi je suis capitaine de réserve. Vous voyez ce pistolet, il n’est pas pour vous mais pour De Gaulle, les gendarmes mobiles et les colonels d’Alger. Vive l’Armée d’Afrique. >

C’est l’hystérie. A quelques mètres c’est déjà l’échauffourée. Des crachats pleuvent sur les soldats.
Le sergent Lazzaroni - un Européen - est bousculé, frappé. Il se dégage et arme son P.M. 
Il le brandit. Va tirer en l’air selon les ordres du capitaine Techer qui a fait désigner un sous-officier Européen à chaque barrage pour cette mission bien imprudente.
Ouchene, conscient du danger, lui crie de désarmer sa M.A.T. Le sergent obéit.
Le lieutenant appelle son capitaine grâce à son A.N.P.R. C6.
Il est affolé.
<< Mon capitaine, certains ont déjà passé le barrage >.

<< Arrêtez la manifestation. >

Le commandant Poupat envoie la compagnie de réserve du capitaine Gilet à la rescousse.
< Coupez le cortège >, ordonne-t-il.

Gilet arrive par la rue de Chanzy avec ses tirailleurs. Il est 14 heures 45.
Soudain une rafale de F.M. claque sur la gauche du lieutenant Ouchene, rue d’Isly.

<< On nous tire dessus, crie celui-ci dans son émetteur-récepteur. Je riposte ? >

<< Affirmatif >, répond le capitaine Techer.

Mais c’est déjà la boucherie. Les tirailleurs affolés tirent dans la foule. Tout va à la vitesse de l’éclair.

Un instant figés les manifestants tentent de s’égailler.
On se rue sur les portes cochères, dans le renfoncement des boutiques.
On s’abrite derrière les arbres. Devant la grande poste neuf personnes se sont jetées à terre, tête contre tête, tragique étoile plaquée sur la chaussée.
Un homme est frappé d’une balle de F.M. en pleine tête. Il s’écroule sans vie, le visage éclaté.

Le vacarme est infernal.

Aux claquements sonores des fusils mitrailleurs répondent les rafales aigrelettes des P.M. Les plus meurtrières.
Certains tirailleurs paniqués ont cherché refuge dans les encoignures de portes mais d’autres tirent comme en campagne, par réflexe, l’arme à la hanche, sur les façades et aussi sur la foule.

Ouchene a repéré deux armes automatiques, des F.M. qui tirent en feux croisés des étages supérieurs de l’immeuble, 64, rue d’Isly, et de celui de la Warner Bros, au coin de la rue d’Isly et de l’avenue Pasteur.
Il fait arroser les façades.

Mais il n’y a pas que ces armes qui tirent dans la foule, sur les militaires.
Un autre F.M., placé sur un balcon de la rue Alfred-Lelluch, tire en enfilade dans la rue de Chanzy.
Les impacts de balles qui ont atteint l’unique voiture en stationnement rue de Chanzy, une Volkswagen n" 760 GP 9A, en sont une preuve irréfutable.

C’est l’enfer. On tire de partout.

De tous les barrages de tirailleurs, des immeubles, des toits, des terrasses, de la foule aussi. Des grenades explosent.

Or aucun tirailleur du 4° R.T. n’en est muni.

Hurlements, sifflements de balles, odeur de la poudre et déjà du sang.
La fusillade nourrie dure à peine trois minutes.

< Halte au feu, nom de Dieu. Halte au feu... >>

C’est Ouchene qui crie. Il a déjà crié une première fois mais personne ne l’a entendu.

Cette fois la fusillade s’arrête.

Encore quelques coups de feu sporadiques. Puis de nouvelles fusillades. Celles-là plus lointaines.
Elles viennent du Forum et du carrefour de l’Agha où des francs-tireurs O.A.S. ont tiré sur les gendarmes.
Déjà on se précipite vers les blessés.
On néglige les morts. Un pompier-brancardier est touché à la cuisse par une dernière balle.
Ses camarades le tirent à l’abri d’une porte cochère.
Des hommes, par bonds successifs, tentent d’approcher des corps étendus sur les trottoirs, sur la chaussée, au milieu de flaques de sang.

Le sol est jonché de morceaux de verre, de chaussures de femmes, de foulards, de vêtements, de débris de toutes sortes.
Sur le plateau des Glières des colonnes de C.R.S. et de militaires progressent, lentement.
Ils vont de palmier en palmier, le canon de la mitraillette ou du mousqueton dirigé vers les toits et les balcons.
L’air est saturé de poussière, de poudre brûlée.
Les hurlements des premières sirènes de voitures de pompiers et d’ambulances succèdent aux rafales d’armes automatiques.
Des infirmiers en blouse blanche chargent les blessés. Adossé contre un platane, rue d’Isly, un homme dépoitraillé se tient le ventre, du sang macule son pantalon.
Avec précaution deux secouristes le placent sur un brancard puis, à la hâte, remontent l’avenue Pasteur vers la clinique Lavernhe toute proche.
Les secours s’organisent.
On charge les blessés dans les ambulances.

On réserve les morts pour le camion militaire. Près d’un corps sans vie une petite fille pleure. C’est fini.

Sortant de leurs abris de fortune les Algérois hébétés, hagards, les vêtements souillés de poussière et parfois de sang contemplent le spectacle.
La rue d’lsly est un champ de bataille. Partout des flaques de sang, des cadavres, des blessés.
Une femme hurle, trépigne sur place. Son mari la tient par le bras, impuissant à calmer sa crise de nerfs.

Déjà un camion militaire s’éloigne.

+++++

Les pieds des cadavres dépassent du plateau et brinquebalent à chaque cahot. Un prêtre à longue barbe est agenouillé près des corps sanglants.
Il murmure une prière. Une jeune femme exsangue, trempe un drapeau tricolore dans une flaque de sang.
Des soldats progressent en colonne le long de la rue d’Isly.

Alors elle leur crie : << Pourquoi, pourquoi ?... Pourquoi avez-vous fait ça ? > Puis elle éclate en sanglots.

Chez Claverie, une boutique de frivolités située face à l’immeuble de la Warner Bros, rue d’Isly, on dégage deux cadavres
qui ont basculé dans la vitrine parmi les mannequins hachés par les rafales.
Le soir de ce 26 mars, à la morgue, 46 corps attendront qu’on vienne les reconnaître.

La tragique fusillade a fait 46 morts et 200 blessés. Beaucoup ne survivront pas à leurs blessures.
Les tirailleurs ont dix blessés, dont deux très graves.
Reprenant leurs esprits les Algérois fuient maintenant le lieu du massacre et vont se réfugier chez eux, abasourdis devant l’atroce réalité : l’armée a tiré sur la foule. L’inimaginable s’est produit.

Cette fois la population est définitivement abattue.
Pendant toute la soirée on va téléphoner à ses parents, à ses amis, pour prendre des nouvelles.
Pour se rassurer aussi.

Les bruits les plus fous courent alors dans Alger. Dans l’excitation des conversations les tirailleurs du 4° R.T. se transforment en fellaghas, on a vu l’insigne de la willaya 4 peint sur leurs casques !

Ils ont ouvert le feu sur une foule désarmée et pacifique. Ils ont achevé des blessés ...

L’O.A.S. amplifie ces bruits. C’est son ultime espoir de reprendre en main une population qui vient d’être durement touchée.
Le colonel Vaudrey qui a provoqué la manifestation et qui y a assisté d’un appartement du centre d’Alger n’a plus que ce moyen de se justifier. Non ! L’O.A.S. n’a pas attaqué les forces de l’ordre.
Personne n’était armé. C’est une provocation délibérée du pouvoir. De Gaulle a ordonné que l’on tire sur la foule.

La réalité est bien différente. Elle n’excuse pourtant pas le massacre.

La seule question qui restera sans réponse est celle-ci : qui a tiré le premier ?

Les officiers et soldats du 4° R.T. affirmeront que la première rafale est partie de l’étage supérieur du 64, rue d’Isly.

L’O.A.S. dira que les "arabes" ont ouvert le feu sur la foule. Qu’importent ces querelles ? Seuls les morts comptent.

Il est indéniable que l’O.A.S. avait donné l’ordre de manifester sans armes.
Il est non moins indéniable que trois armes automatiques ont pourtant été repérées en plein cœur de la fusillade.

L’une au 64 rue d’Isly, l’autre dans l’immeuble de la Warner, la troisième rue Alfred-Lelluch. Sitôt après le drame on retrouvera des traces d’huile et des douilles de F.M. sur les lieux. La présence du fusil mitrailleur au 64 rue d’Isly sera d’ailleurs confirmée par la concierge et les locataires de l’immeuble situé en face, au n° 57.

Les emplacements de sept autres armes ayant tiré sur la foule et sur les forces de l’ordre seront localisés à la suite de l’enquête ouverte au lendemain du 26 mars. Le recoupement des témoignages venant des bords les plus divers le prouve avec exactitude.

Il n’en est pas moins vrai que les tirailleurs ont tiré. Très exactement 1135 balles de mitraillettes Mat 49, 427 de fusils MAS 56 et 420 de fusils mitrailleurs AA 52.
Cent-deux tirailleurs ont fait usage de leurs armes dont 15 Européens sous-officiers ou appelés.

Mais si ces troupes aguerries au combat en campagne avaient tiré toutes ces balles sur la foule compacte des manifestants ce n’est pas 46 morts mais des centaines qu’on aurait eu à déplorer.

Quant à l’histoire des casques peints "aux insignes de la willaya 4" , voici ce qu’il en est :
Six hommes du 4. R.T. avaient en effet tracé des marques de reconnaissance sur leur casque, cinq musulmans : Moharned Hammadi (une tache verte), Mohamed Ghezala (une bande verte), Aïssa Ziane (une tache verte), Bouhoun Mohamed (une tache verte) et Beradia (une bande verte et trois taches).
Illettrés ils avaient trouvé ce moyen de reconnaitre leur casque lourd. Quant au sixième soldat, un Européen, Jean-Claude Habib, il avait simplement tracé ses initiales J.C. H. sur le devant de sa "casserole".

J’ai cherché à savoir si d’anciens rebelles incorporés au 4° R.T. se trouvaient sur les lieux du massacre.

Quatre ex-MNA de Bellounis se trouvaient rue d’Isly, tous farouches anti-FLN engagés volontaires depuis 1959-60 ou 61, et un ex-FLN, engagé en août 61. Un ex-MNA et un ex-FLN se trouvaient bd Bugeaud. Seul Ghezala Mohamed, ex-MNA, avait une bande verte sur son casque !

En outre tous les tirailleurs étaient encadrés de sous-officiers ou officiers français qui n’ont assisté à aucune provocation de leur part. L’hypothèse, pratique pour l’O.A.S.. tombe à l’eau.

Les responsabilités de ce drame atroce sont partagées. Il est certes criminel d’avoir jeté des tirailleurs musulmans dans la fournaise d’Alger, compte tenu de l’attitude européenne des semaines précédentes.

Et de les avoir placés aux "premières loges".

Il n’est pas moins criminel d’avoir poussé la population européenne à manifester, en ayant placé des armes automatiques sur les lieux où l’affrontement était inévitable.

MEME SI CES ARMES N’ONT PAS TIRE LES PREMIÈRES.

Ce qui n’est ni certain ni prouvé.

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