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Gestion des services publics : régie ou délégation ?
Les collectivités locales comme les citoyens sont aujourd’hui désireux de savoir quel mode de gestion choisir dans une logique « optimale » cumulant maximalisation de la satisfaction des usagers et respect d’un principe d’économie de moyens sur le plan budgétaire. Cette recherche suppose que l’ensemble des modes de gestion des services publics soit mis en compétition préalablement au choix d’un mode de gestion particulier par les collectivités publiques bénéficiaires. Et ce, préalablement à la mise en concurrence stricto sensu sitôt le mode de gestion retenu (dans le cas où l’exercice en régie, c’est-à-dire par l’entité publique elle-même, ne serait pas l’option choisie).
Or plusieurs obstacles viennent alors immédiatement freiner l’ardeur des décideurs publics :
Pas d’obligation de comparer les différents modes de gestion
D’une part, en l’état actuel du droit français, il n’existe aucune obligation juridique imposant aux collectivités locales, la confrontation (Benchmarking) des différents modes de gestion alternatifs des services publics. La Commission européenne milite pourtant pour la mise en place d’une procédure d’évaluation comparative des modes de gestion des services d’intérêt économique général, mais ce chantier semble à l’heure actuelle au point mort [1].
Très concrètement, l’obligation de motiver le choix du mode de gestion n’existe qu’en cas de décision de délégation d’un service public [2], mais pas dans le cadre d’un exercice en régie [3] (c’est-à-dire assuré par les services de l’administration elle-même).
Il manque donc à l’heure actuelle une phase d’évaluation systématique des modes alternatifs de gestion des services publics préalablement au choix du mode de gestion. Ce qui pose également la question de la nature de l’évaluation puisque pour la mise en concurrence des modes de gestion privés, il faut nécessairement l’existence d’« offres fermes », afin d’arbitrer entre régie, délégations, contrats de partenariats, etc., et procéder parallèlement à un audit interne pour « modéliser » les coûts de gestion en régie.
Autres obstacles
Certains obstacles tiennent aux caractéristiques du service public en question : certains services publics étant insusceptibles de délégation [4], soit en raison de leur nature, soit par détermination de la loi : au niveau de l’État, le Conseil Constitutionnel choisit de distinguer les services publics constitutionnels (insusceptibles de privatisation), des autres services publics, ce qui en creux dessine les contours des services à compétence régalienne qui ne peuvent faire l’objet d’une délégation. Au niveau local, sont « délégables », les fonctions qui n’appartiennent pas aux fonctions de police du maire, et celles qui ne sont pas exercées par la collectivité à travers une délégation de compétence de l’État [5] (par exemple l’État civil).
Mais au cas par cas, certaines de ces fonctions sont jugées « détachables » et donc susceptibles de délégation : ainsi par exemple, le service de l’éducation est « non délégable », mais la restauration scolaire l’est (contrairement à la surveillance des enfants pendant les repas). Par ailleurs l’entretien des locaux techniques peut être délégué, mais pas l’entretien des salles de classe. Enfin, certaines activités jugées « non délégables », peuvent néanmoins être externalisées (par recours aux marchés publics ou aux partenariats PPP). C’est tout l’enjeu du distinguo opéré entre les activités techniques et les activités de puissance.
D’autres obstacles tiennent aux conséquences sociales et financières des choix de gestion retenus : Pour qu’un choix éclairé entre DSP et régie puisse être réalisé, il faut également anticiper le renouvellement du contrat de délégation ou la restructuration du service public en question (liquidation de la régie et passation en DSP, passage d’une DSP à une gestion en régie, etc.). Or ces éléments sont tout sauf neutres budgétairement :
¤ En cas de liquidation d’une régie, le passif et l’actif financier de la structure sont repris dans les comptes de la collectivité [6]. Parallèlement, le devenir du personnel est essentiel [7] : Si l’on assiste à une reprise de l’activité d’une personne publique par le secteur privé, suivant la nature de la régie le statut des personnels à gérer sera substantiellement différent : les agents non titulaires de droit public se verront proposer un contrat de droit privé (loi du 3 août 2009, relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, art.L 1224-3-1 du Code du travail), en cas de reprise de l’activité par une entité de droit privé. Pour les agents fonctionnaires, la situation est différente puisqu’ils devront se voir proposer un détachement ou une mise à disposition au sein de la nouvelle structure ou être « repris » par la collectivité délégante. Enfin pour les employés d’un SPIC, leur contrat de droit privé sera purement et simplement transféré [8].
La question se pose toutefois du coût de la reprise de ces personnels par le délégataire. En effet, si tout employé à droit au maintien de son contrat de travail, le délégataire est nécessairement obligé de reprendre l’activité anciennement exercée en régie. Or cette reprise peut « perturber » l’économie des offres proposées. Les candidats peuvent par exemple disposer de services mutualisés permettant de substantielles économies d’échelle et vont se retrouver en état de « reprise forcée ». Rappelons que l’obligation de reprise du personnel en cas de succession dans une activité est une règle de droit interne et communautaire (art. L 1224-1 du Code du travail (anciennement L.122-12) sur la continuité du contrat de travail) qui prime l’économie des offres qui pourraient néanmoins être faites par les cocontractants privés [9].
En conséquence, il va se révéler impossible de contracter la masse salariale, sachant qu’en outre (CE. Avis 21 mai 2007), « le législateur n’a pas entendu autoriser la personne publique à proposer aux salariés transférés une rémunération inférieure à celle dont ils bénéficiaient auparavant au seul motif que celle-ci dépasserait (…) celle des agents en fonction dans l’organisme d’accueil à la date du transfert. ». Le transfert ne pourra avoir lieu qu’à rémunérations égales.
¤ Par ailleurs, pour les fonctionnaires, la suppression de poste n’est pas une solution neutre : s’il s’agit de passer d’une régie simple à une DSP, les « fonctionnaires » devront se voir proposer trois offres « raisonnables d’emplois ». La question va se poser de leur éventuel licenciement. Si le reclassement dans la nouvelle structure se révèle impossible, le fonctionnaire qui voit son emploi supprimé dans l’intérêt du service dispose toujours de son grade. Dans la fonction publique territoriale, son statut lui donne le droit de rester pendant 1 an à la charge de la commune qui doit le reclasser en qualité d’agent en surnombre (il n’existe pas de loi de dégagement des cadres contrairement à la FPE). Ensuite, suivant son grade, il se verra pris en charge par le CNFPT (catégorie A) ou par le centre de gestion (catégorie B et C) qui devront chercher un emploi conforme à sa qualification. Cependant, le fonctionnaire restera à la charge financière de sa collectivité qui devra payer [10] entre 1 fois ½ et 2 fois le montant de sa rémunération brute augmentée des cotisations sociales pendant les deux premières années [11] (le transfert est dégressif ensuite).
Si au contraire une décision de licenciement est prise après trois refus, la collectivité se retrouve en situation d’auto-assurance [12] chômage de ses employés licenciés. En particulier, ainsi que l’indique la circulaire du 21 février 2011, « l’État ne peut adhérer au régime d’assurance ni pour ses fonctionnaires, ni pour ses non-titulaires alors que les collectivités locales le peuvent, mais uniquement pour leurs agents non titulaires. En tout état de cause il n’est pas possible d’adhérer au régime d’assurance pour des fonctionnaires. »
¤ Enfin, sur le plan fiscal, les incidences sont toutes sauf neutres. Et elles peuvent intervenir dans les deux sens :
En matière de TVA, le passage du public au privé ou l’inverse introduit des incidences en matière de régularisation de la TVA. Lorsque le mode d’exploitation change, cette modification se traduit fiscalement (et fictivement) comme une cessation d’activité, rendant les régularisations des droits à déduction immédiatement exigibles. Cela implique un traitement comptable particulièrement lourd pour « neutraliser » les droits à déduction et pour le nouvel exploitant de disposer d’une trésorerie suffisante pour faire l’avance du solde de TVA à reverser au titre de la régularisation.
En ce qui concerne le reste des impôts, les différences sont beaucoup plus accusées : pour les services en régie sans personnalité morale ni autonomie financière [13] (contrairement aux régies à autonomie financière qui juridiquement deviennent des EPA ou des régies à personnalités morales qui deviennent des EPIC), la fiscalisation est minimale. Ils ne sont pas, sauf exception de « lucrativité » de leur activité, soumis à l’IS, à l’IFA, à la CET (contribution économique territoriale), aux taxes assises sur les salaires, ni aux droits d’enregistrement. Ils sont par contre soumis à la taxe sur les bureaux d’Île-de-France, et à la TVA. Le passage au régime de la DSP exercée par une entité privée ou même un EPIC ou une entité du tiers secteur (association ou certaines coopératives), va au contraire exposer l’activité exercée à l’ensemble de ces taxes avec quelques ajustements s’agissant des taxes spécifiquement locales [14].
Voir conclusion sur le site d’origine
Voir en ligne : http://www.ifrap.org/Gestion-des-se...