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Faut-il négocier avec les talibans ? Et a quel prix
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Michel OUIMET
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Est-ce que Kaboul a changé ? C’est la question que tout le monde m’a posée quand je suis revenue d’Afghanistan, en octobre.
La réponse est oui.
Oui, Kaboul a changé ; oui, il y a eu des progrès. Et oui, l’implication de la communauté internationale depuis 2001 a amélioré les conditions de vie des Afghans.
La première fois que j’ai mis les pieds à Kaboul, c’était en décembre 1996. Les talibans avaient mis une chape de plomb sur le pays : les femmes n’avaient pas le droit de travailler et les filles ne pouvaient pas aller à l’école. Tout était interdit : rire, porter du blanc, chanter, écouter de la musique, boire de l’alcool.
Lorsque les talibans ont pris Kaboul en septembre 1996, la planète a découvert avec stupeur leur délire religieux. Des images ont défilé en boucle à la télévision, montrant des talibans brûler des films « anti-islamiques ». Ils ont aussi traîné l’ex-président communiste Najibullah hors des locaux de l’ONU où il se cachait depuis quatre ans pour le pendre à un réverbère devant une foule médusée. Une exécution sauvage qui donnait le ton.
Quand je suis arrivée à Kaboul quatre mois plus tard, il neigeait, une neige mouillée qui fondait au sol, laissant de grandes traînées de boue. Les journalistes étaient partis couvrir d’autres guerres. La ville était sale et triste. Toutes les femmes portaient une burqa, souvent rapiécée, et les enfants marchaient pieds nus dans leurs souliers.
Les maisons n’étaient pas chauffées, les fenêtres souvent brisées. Kaboul sortait d’une guerre civile qui l’avait laissée exsangue, épuisée. La moitié de la ville avait été détruite par les bombardements. Tous ceux qui avaient un peu d’argent avaient fui, la plupart dans le pays voisin, le Pakistan.
Quelques quartiers de la ville avaient de l’électricité par intermittence. Le soir, Kaboul était plongée dans le noir. Au coin des rues, des talibans armés se réchauffaient autour d’un feu. Ils étaient jeunes, agressifs, imprévisibles et ils arrêtaient tous ceux qui ne respectaient pas le couvre-feu.
J’avais l’impression que Kaboul avait été abandonnée. Figée dans le temps. Au Moyen-âge.
Quatorze ans plus tard, Kaboul a changé. Du tout au tout. La ville vit un boom économique, dopé par les milliards de la communauté internationale. Plusieurs femmes se promènent sans burqa.
Oui, Kaboul a changé. Les filles vont à l’école et les femmes ont le droit de travailler mais ça ne veut pas dire que les Occidentaux vont gagner la guerre. Car l’Afghanistan a la tête dure. Aucune puissance n’a réussi à dominer ce pays fait de montagnes et de désert, ni les Britanniques ni les Russes ni les Américains.
Aujourd’hui, les Américains brisent le record russe. Ils sont en Afghanistan depuis neuf ans et 51 jours. Les Soviétiques ont déguerpi dans la honte et l’humiliation après neuf ans et 50 jours.
Les Occidentaux se sont lancés tête baissée en Afghanistan. Ils ont sous-estimé ce pays complexe fait de tribus, de clans et d’ethnies rivales. Un pays qui a sa propre conception de la démocratie qui n’a rien à voir avec la nôtre. Un pays profondément religieux. Et impitoyable avec les femmes. Les talibans n’ont rien inventé, la burqa existait bien avant eux.
Les Occidentaux ont débarqué en Afghanistan en s’imaginant qu’ils allaient chasser les talibans et les terroristes avec leurs bombes et leurs dollars. L’affaire serait bouclée en quelques années, croyaient-ils dans leur grande naïveté. Aujourd’hui, ils prolongent leur mission jusqu’en 2014. Et ils négocient avec les talibans, l’ennemi qu’ils essaient d’abattre depuis neuf ans.
Au cours des quatre prochaines années, les Américains vont donc combattre les talibans et les Canadiens vont former les soldats afghans.
Pendant que les braves Américains et Canadiens vont risquer leur vie, leurs gouvernements respectifs vont négocier avec les talibans. Absurde. Les talibans ont des exigences. Ils ne vont pas mettre fin à leur lutte armée en échange d’une poignée de postes de ministres dans le gouvernement Karzai. Ils ont leur vison du monde, une vision nourrie par leur islamisme pur et dur. Ils ne croient pas dans les tribunaux, ils veulent des exécutions publiques dans les stades et ils vont exiger l’application de la charia. Les maigres victoires des femmes risquent d’être compromises.
Négocier signifie céder du terrain. Qu’est-ce que les Occidentaux, incluant le Canada, sont prêts à lâcher pour signer la paix avec les talibans ? Les droits des femmes ? Les tribunaux ? Ces questions ne sont jamais débattues sur la place publique, encore moins au parlement à Ottawa. Pourquoi ? Parce qu’elles sont trop gênantes ?
Brahma Chellaney
Professeur d’études stratégiques au Centre de Recherche Politique à New Delhi
Afghanistan : la fin de la guerre est une illusion
Les membres de l’OTAN ont annoncé le retrait de leurs troupes en Afghanistan d’ici 2014. Croire que la guerre s’arrêtera là est une illusion, selon Brahma Chellaney. Au contraire, l’instabilité de la région s’en verra renforcée, et la menace terroriste n’en sera que plus grande.
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Les russes s’y sont cassé les dents, la coalition marque le pas mais faudrait-il pour autant lever le camp ? A quoi donc aurait servi tant de pertes en vies humaines, tant de moyens déployés et d’argent jeté par les fenêtres en vain ? Un autre foyer de déstabilisation verrait le jour, avant l’Iran, après l’Irak, ça fait beaucoup dans un mouchoir de poche.