Jeudi dernier, l'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi de la députée UMP Valérie Boyer pénalisant la contestation de tout génocide, dont celui des Arméniens en 1915. Ce vote, attendu depuis plusieurs années et …
Jeudi dernier, l'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi de la députée UMP Valérie Boyer pénalisant la contestation de tout génocide, dont celui des Arméniens en 1915. Ce vote, attendu depuis plusieurs années et déjà reporté maintes fois en raison des pressions exercées par Ankara, a provoqué de violentes réactions de colère du Premier Ministre turc Recep Taiyyp Erdogan, qui a rappelé son ambassadeur à Paris et a fustigé la « France de Sarkozy ». Des attaques d'une violences étonnantes contre un Etat ami et un chef d'Etat de l'Union européenne, que la Turquie voudrait intégrer.
Erdogan est même allé bien plus loin encore en accusant directement le Président Nicolas Sarkozy de jouer la carte de "la haine du musulman et du Turc".
L’accusation est d’autant plus étonnante que Nicolas Sarkozy n’a à aucun moment incriminé l’islam ou accusé les musulmans ou les Turcs en tant que tels, et il est même au contraire l’homme politique français qui a le plus fait pour intégrer et reconnaître les Français de confession musulmane, instaurant le Conseil Français du Culte musulman (CFCM), nommant des ministres issus de la communauté arabo-musulmane, reconnaissant le fait religieux pour tous, ce qui lui a même valu les critiques acerbes des laïcards.
On ne peut en dire autant d’Erdogan vis-à-vis des chrétiens de Turquie, terrorisés depuis des années par de multiples assassinats de prêtres, de pasteurs et de prélats chrétiens, de responsables arméniens, et par des attentats islamistes ou nationalistes dont les auteurs sont rarement reconnus coupables. Il serait même utile de rappeler que l’une des raisons pour lesquelles la loi sur le génocide arménien a été votée par nombre de députés de tous bords, provient du fait que depuis une dizaine d’années, les historiens et militants associatifs arméniens ne peuvent plus organiser tranquillement des évènements commémoratifs liés au génocide sans être régulièrement menacés, harcelés, agressés, parfois très violemment par des militants nationalistes turcs.
Quoi de pire en effet pour un Arménien fils de rescapés du génocide que d’être menacé dans la France des droits de l’homme par des négateurs de ce même génocide ?
L’hôpital qui se fiche de la charité ! Ceci dit, l’accusation d’Erdogan visait surtout à culpabiliser les Français, à faire diversion, et à renverser les responsabilités, art dans lequel excellent les négationnistes en général.
Stigmatiser la France à propos de la guerre d’Algérie était totalement déplacé. Car en France, à la différence de la Turquie, aucune loi n’empêche les nombreux historiens d’accabler les gouvernements et régimes successifs pour des faits condamnables passés que personne ne nie d’ailleurs. L’emploi du mot « génocide » pour l’Algérie est totalement disproportionné et même obscène, de la part de dirigeants qui nient, quant à eux, un vrai génocide pourtant reconnu par les plus hautes instances internationales et les Parlements de nombreux pays : le génocide arménien. Surtout, la meilleure preuve de la réalité de ce génocide est que les Arméniens ont presque totalement disparu de leur terre originelle, l’Anatolie, contrée peuplée aujourd’hui de Turcs et de Kurdes musulmans et vidée de ses chrétiens, tandis que les Algériens non seulement vivent encore sur leur territoire, libéré depuis 1962, mais ils en ont de surcroît chassé tous les non-musulmans et les fidèles de la France, notamment un million de Pieds-noirs et des centaines de milliers de Harkis algériens pro-français.
Ils ont donc subi des massacres, des représailles massives de la part des forces françaises qui avaient pour mission de réprimer les rebelles terroristes algériens, certes, mais pas un génocide, terme que les Nations unies, les instances internationales et les historiens en charge de ces questions n’ont jamais employé pour le cas algérien.
Stratégie de culpabilisation et accusation-miroir.
Fidèle à sa stratégie de culpabilisation consistant à instrumentaliser le sujet de l’islamophobie et du racisme, le Premier Ministre turc s’est permis de stigmatiser jusqu’au père de Nicolas Sarkozy, Pal Sarkozy, accusé d’avoir participé personnellement au « génocide » des Algériens lorsqu’il servait dans la Légion étrangère, fait totalement faux et démenti par l’intéressé comme par la Légion française où il ne servit que quelques mois. Plus surprenant encore, Recep Taiyyp Erdogan s’est aussi permis d’invoquer la mémoire des ancêtres maternels juifs de Nicolas Sarkozy, en accusant ce dernier d’être un « ingrat », puisque les juifs sépharades ont trouvé refuge dans l’empire ottoman au XVème siècle, lorsqu’ils étaient persécutés en Espagne sous Isabelle La Catholique.
Or, outre le fait que cela concernait l’empire ottoman il y a cinq siècles et non la Turquie d’aujourd’hui, purifiée de ses chrétiens et peu sure pour les Juifs, le seul fait de jouer sur la corde sensible de l’antisémitisme laisse pantois ceux qui connaissent les discours véhéments d’Erdogan sur Israël, les « sionistes » la responsabilité des Juifs du monde entier et des « médias juifs » dans le « génocide palestinien », etc… D’évidence, la définition du terme génocide n’est pas la même en France et aux Nations Unies que dans la Turquie de Monsieur Erdogan.
Il est par ailleurs assez stupéfiant de voir le Premier Ministre d’un pays qui réprime ses populations kurdes et nie officiellement le génocide de 1,5 million d’Arméniens et d’Assyro-chaldéens accuser la France « d’islamophobie » et de « racisme anti-turc ». Car en France, les musulmans ont plus de droits que dans la plupart des pays islamiques. Les Turcs n’y ont jamais été victimes de quelque racisme ou propagande haineuse que ce soit. Et il y a aujourd’hui plus de Turcs musulmans libres de s’exprimer et de travailler dans la seule région d’Alsace qu’il ne reste de chrétiens arméniens ou assyro-chaldéens dans toute la Turquie, leur terre originelle. En revanche, en Turquie, pays qui voudrait intégrer l’UE, les chrétiens ont presque tous été éliminés ou expulsés (depuis un siècle, y compris les centaines de milliers de Grecs chrétiens orthodoxes) et les derniers monastères et terrains appartenant encore aux chrétiens d’Anatolie sont aujourd’hui confisqués par l’Etat turc ou convoités par des musulmans épaulés par les juges et l’Etat turcs (voir dossier de Mar Gabriel). Des prêtres, évêques catholiques ou pasteurs protestants y sont régulièrement tués aux cris d’Allah Ouakbar (cas de Hrant Dink, du Père Santoro, de Mgr Padovese, etc).
Il y a donc lieu d’être surpris lorsque M. Erdogan donne des leçons de morale « antiracistes » à la France et à l’Union européenne alors que son pays nie officiellement l’un des plus terribles génocides de l’Humanité. Rappelons aussi qu’en cette période de Noël, les rares chrétiens encore présents dans le Nord de Chypre sous occupation turque se voient interdire de célébrer leurs fêtes religieuses dans plusieurs villages. La Turquie d’Erdogan accuse l’Europe d’être un « club chrétien » qui « rejetterait » les Etats musulmans, mais ce même pays préside l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), « club musulman » unique en son genre qui a pour but de répandre partout la charià et qui défend des Etats christianophobes comme l’Arabie Saoudite ou le Soudan militaro-islamiste, auteur du génocide de 2,5 millions de chrétiens (sud-Soudan).
Dhimmitude européenne ?
Il y a lieu d’être étonné par le fait qu’aucun de nos dirigeants européens n’ait songé à rappeler Erdogan à plus de cohérence dans ses indignations, fort sélectives, lui qui a déclaré lors d’un sommet de l’OCI que la terrible dictature du Soudan du Général al-Bechir n’a commis « aucun génocide au Darfour et au Sud Soudan », pour la bonne raison « qu’un musulman ne peut pas commettre de génocide »… On peut également rappeler les propos stupéfiants tenus en Allemagne même par le Premier Ministre turc, il y a quelques semaines, à l’endroit de la chancelière Angéla Merkel qui invitait les Turcs à s’intégrer et à apprendre la langue allemande, et à qui il a répondu de façon véhémente que l’intégration des Turcs à la culture allemande est un « crime contre l’humanité »….
A la lumière de ces faits et rappels, la réaction générale de la presse française et européenne et même de nombreux politiques, qui a consisté à accorder plus de crédit aux accusations-diversions d’Erdogan qu’au génocide arménien lui-même (pourtant toujours nié par Ankara, en violation de la résolution du Parlement européen de juin 1987 qui conditionne l’adhésion à l’UE de la Turquie à la reconnaissance de ce génocide), est proprement choquante. Elle témoigne d’un esprit de « dhimmitude volontaire » des Européens – pour paraphraser l’historienne anglo-égyptienne Bat Yé’Or.
Des Européens culpabilisés et terrorisés psychologiquement par le monde islamique et son nouveau leader la Turquie, qu’ils connaissent en fait très mal.
Car la Turquie n’est pas un ancien pays colonisé par l’Europe à qui l’on devrait « demander pardon » pour des fautes passées et en qui l’on serait donc « redevable », mais au contraire une ancienne puissance coloniale de l’Europe, une puissance impériale, qui a occupé une partie de l’Europe orientale et méridionale (mais aussi le Proche Orient arabe et le Maghreb) entre quatre à cinq siècles suivant les pays. Une puissance expansionniste et esclavagiste qui a terrorisé les peuples chrétiens de l’est et de la méditerranée depuis la conquête de Constantinople en 1453 jusqu’au génocide arménien en 1915, parrainant et soutenant des siècles durant l’esclavage des peuples slaves et les pirateries barbaresques.
On peut regretter que lorsque le Président de la République et des élus de la majorité comme Mme Boyer ont été incriminés par des déclarations inacceptables de dirigeants turcs, ceci sur fond de manifestations anti-françaises en Turquie, de nombreuses voix se sont élevées à gauche et même à droite pour critiquer ces lois « mémorielles », au lieu d’exprimer leur solidarité avec les responsables français insultés, et de dénoncer les propos anti-français et anti-arméniens des dirigeants turcs. Certains membres de la majorité en ont profité pour se démarquer du chef de l’Etat et des députés qui ont voté la loi, Alain Juppé et Bernard Accoyer déplorant que son adoption risque de « vexer » notre allié turc, partenaire commercial majeur de la France et de l’Union européenne.
Que répondre à cela ? Concernant l’idée munichoise selon laquelle la loi « risque de « nuire aux relations économiques avec la Turquie », rappelons que ce n’est pas la première fois qu’une crise politico-diplomatique oppose ces deux pays ; que la Turquie menace la France de représailles et que des milliers de Turcs brûlant des drapeaux français ou appellent au boycott des produits français ou européens. Or plus de 11 ans après la loi française de 2001 qui reconnaissait officiellement le génocide des Arméniens et qui avait suscité des réactions similaires, les relations commerciales entre les deux pays n’ont cessé de s’accroître. Elles s’élèvent même aujourd’hui à 11 milliards d’euros.
Pourquoi donc un tel décalage entre les menaces et les actes des dirigeants et patrons turcs ? Tout simplement parce que la Turquie a bien plus à perdre commercialement que la France. Car tout boycott ou acte protectionniste est une arme boomerang qui se retourne fatalement contre ses auteurs, surtout les pays en phase de décollage comme la Turquie où les entreprises françaises délocalisées sont créatrices de milliers d’emplois.
En conclusion, nous ne pouvons que déplorer la tournure qu’ont pris les évènements et l’attitude du gouvernement turc qui, une fois de plus, confirme la volonté de la Turquie de s’auto-exclure des valeurs de l’Union européenne que sont la capacité de se remettre en question, la renonciation au nationalisme expansionniste qui nie la dignité des minorités, l’acceptation du partage de souveraineté, et la dignité absolue de la personne humaine, dont la négation des génocides est l’une des plus graves atteintes. Car le pire, pour les descendants des victimes, est d’endurer l’impunité et l’absence de regrets des bourreaux et de ceux qui leur sont solidaires.
Enfin, le Premier Ministre Erdogan a récemment présenté des excuses publiques de la Turquie auprès des survivants du massacre d’Alévis tués en Turquie en 1937. Alors pourquoi ne reconnaîtrait-il pas la grave faute commise par l’Etat ottoman en 1915 vis-à-vis des Arméniens, d’autant que cela n’incrimine pas la Turquie contemporaine mais l’Etat qui existait avant la création, en 1923, de la Turquie moderne ?
Pourquoi continuer à nier l’indéniable et même à enseigner dans les écoles turques que les Arméniens ont agressé les Turcs et mérité en partie leur triste sort en « provoquant les Turcs » par leur allégeance envers « l’étranger » (la Russie d’alors) ? De la même manière, comment nos politiques et intellectuels philo-turcs peuvent-ils encore être sensibles aux accusations du gouvernement turc selon lesquelles la France « islamophobe » et « turcophobe » de Nicolas Sarkozy bloquerait la candidature turque à l’UE au « prétexte » du génocide arménien ? Alors que l’unique raison de ce blocage réside dans le fait qu’Ankara continue de violer les valeurs essentielles de l’UE (droits des minorités : Kurdes, Arméniens, Assyro-chaldéens, Alévis ; liberté d’expression : 80 journalistes ou producteurs sont actuellement emprisonnés en Turquie pour « insultes » envers le chef de l’Etat ou idées « contraires à l’unité du pays et à l’intérêt national » ; respect de l’intégrité des Etats membres de l’UE, comme la République de Chypre, toujours occupée illégalement et colonisée au mépris de nombreuses résolutions des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Voilà tout ce que nos dirigeants européens et nos politiques français devraient rappeler aux dirigeants turcs, surtout s’ils se déclarent amis de la Turquie, car l’amitié est fondée sur la réciprocité, la franchise, l’honnêteté intellectuelle et le respect.
© Alexandre Del Valle. L’article original peut être consulté sur France Soir