L’affaire BELLOUNIS (3eme partie)

, par  Jean Claude THIODET ✞ , popularité : 15%

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Quand le colonel KATZ s’en mêle...

C’est alors que SALAN et LACOSTE chargent le colonel KATZ, commandant du territoire de Laghouat et appartenant aux services secrets, de superviser l’ affaire.

Sur place, KATZ temporise : il ne faut pas attacher trop d’importance aux ordres formels parvenus en septembre 1957.

BELLOUNIS de son côté, manifeste son désir de reprendre les négociations, et pour se prouver mutuellement leur bonne volonté, les deux parties effectuent ensemble quelques opérations dans le courant de l’hiver. Ma !gré tout, les collectes abusives se poursuivent. KATZ veut les faire cesser et réclame au gouvernement français des vivres et du matériel pour les bellounistes, ainsi que des enforts pour le 11e Choc.

. « Si vous voulez que BELLOUNIS s’abstienne de faire des razzias, il faut lui fournir ce dont il à besoin. »

SALAN , qui est tenu au courant de l’affaire au jour le jour, ,organise une nouvelle réunion pour examiner la question BELLOUNIS . Une vingtaine de personnes sont là.

Outre le général SALAN, il y a le colonel KATZ , le capitaine ROCOLLE , le capitaine de MASSIGNAC et la plupart des spécialistes de l’Action Psychologique de l’Armée.

KATZ fait le bilan de la situation :

« Depuis le 4 septembre, explique-t-il, BELLOUNIS a tué 166 fellagas, fait 68 blessés et 70 prisonniers. Ce sont même les chiffres officiels du F.L.N., qui, d’autre part, vient de donner l’ordre de supprimer à tout prix le général ».

Je peux, continue le colonel, "mettre fin aux débordements de BELLOUNIS, si toutefois vous lui envoyez des vivres et des munitions " .

Deux clans se forment alors
- les militaires qui sont pour la poursuite de l’opération OLIVIER
- et les civils qui sont contre.

En effet, les civils, représentés lors de cette réunion par les préfets, brossent un tableau plutôt pessimiste de l’atmosphère du pays.

La population s’inquiète, des membres du M.N,A. rejoignent tous les jours les rangs de l’A.N.P.A. : d’autre part, ce n’est pas un apport supplémentaire de ravitaillement qui mettra fin aux collectes de BELLOUNIS, car c’est également pour lui un moyen d’engager la population contre le F.L.N.

En bref, pour les civils il faut stopper l’opération.

Après une discussion longue et pénible, on en arrive à la décision fatale .
L’expérience se poursuit et un budget de 70 millions est voté pour les troupes bellounistes. Un haut fonctionnaire, M. CIOSI, Inspecteur Général de l’Administration, est chargé de superviser l’opération.

Dès le lendemain de cette réunion, dans la région de Djelfa, à mi-chemin entre la ville et le P.C de BELLOUNIS, CIOSI rencontre le « général » pour la première fois.

L’ambiance est très détendue, chaleureuse, euphorique même.

CIOSI reconnaît dans le chef d’état major de l’A.N.P.A. SI-HOCINE, un de ses anciens élèves du lycée où il enseignait autrefois les mathématiques.
On s’amuse beaucoup, on évoque des souvenirs. On parvient malgré tout, entre deux plats, à discuter des modalités d’application de l’accord établi entre les autorités et BELLOUNIS .

Le « général » confirme que son seul but est l’anéantissement du F.L.N. et qu’il n’a aucune attache politique. Il promet également de respecter désormais le territoire qui lui a été délimité et de faire cesser les collectes qu’il exerce sur la population. Il s’engage enfin à faire respecter la justice qu’exerce la France et à lui livrer les délinquants qu’elle rechercherait, lorsqu’il en aurait la possibilité.

De son côté, le gouvernement français promet de livrer armes et munitions.

Les Français d’Algérie contre l’expérience BELLOUNIS

A son retour , CIOSI apprend que pendant qu’il s’entretenait avec BELLOUNIS, le chef du 2e bureau de SALAN, le colonel de SCHAKEN, arrêtait à Alger un représentant de la police bellouniste.

Après lui avoir reproché de déborder de son territoire, le colonel le charge de transmettre le message suivant à BELLOUNIS :

- Ton chef doit désavouer MESSALI Hadj et renoncer à son drapeau. S’il n’adhère pas à ces conditions, nous arrêtons immédiatement notre opération.

Pour CIOSI et BELLOUNIS, cette action parallèle est « absolument incompréhensible ».

Le « général » profite aussitôt de la situation pour déclarer qu’il est hors de question d’appliquer les accords mis au point avec CIOSI.

D’autre part, l’opinion publique européenne commence à se montrer défavorable à cette expérience... Des tracts très violents circulent dans Alger : la très puissante Fédération des Maires d’ Algérie s’élève contre la « reconnaissance officielle d’une armée qui a toutes les apparences d’une armée rebelle et dont les autorités semblent admettre l’existence pour des raisons qui nous échappent. »

La réunion secrète de Djelfa

Sur le terrain, Bellounis poursuit ses actions hors des limites territoriales qui lui ont été fixées.
Ses effectifs ne cessent de s’accroître : il contrôle maintenant 5 000 hommes répartis sur 80 000 kilomètres carrés.

Par ailleurs, il cherche à se rallier certains dirigeants des willayas voisines qu’il soupçonne d’être opposés au F.L.N : Il les réunit secrètement le 6 décembre 1957, à Djelfa et leur propose de préparer une action commune contre le F.L.N., avec l’appui des forces alliées.

Les conjurés réclament au « général » la preuve démontrant que le M.N.A. est bien considéré comme un interlocuteur valable et qu’ Alger re- connaît son armée.

Ils ne veulent pas s’engager sans assurance.

BELLOUNIS se fait fort de leur obtenir ce qu’ils demandent. Il les convainc donc et ils mettent alors sur pied une action qui, avec les alliés, permettrait d’attaquer massivement toutes les bases F.L.N. réparties sur le territoire.

Il ne reste plus maintenant à BELLOUNIS qu’à obtenir l’accord d’Alger. Le lieutenant de HESMES se fait son porte-parole. mais la réponse est catégorique : il faut s’en tenir aux accords passés sur le seul plan militaire.

Alger refuse toute concession politique.

L’ambitieux BELLOUNIS est frustré par ce refus. Néanmoins, il est obligé de se contenter d’un second rôle.

Officiellement, il accepte de renoncer à ses ambitions politiques ; en réalité, il ne les abandonne pas, mais il attend seulement un moment plus favorable.

BELLOUNIS « dépasse les bornes »

Par ailleurs, le 6 décembre, le jour même où BELLOUNIS réunit les dirigeants du F.L.N., le général SALAN, dans un communiqué secret destiné aux autorités militaires locales, précise qu’il faut absolument "encourager l’action des bellounistes mais en la canalisant au maximum".

Il rappelle aussi, entre autres choses, que BELLOUNIS ne doit pas arborer son drapeau afin de ne pas agacer la population européenne.
Cette déclaration montre à tous, s’il en était encore besoin, que BELLOUNIS continue à n’en faire qu’à sa tête.

Et en effet, comme pour confirmer l’opinion générale, le « général » messaliste donne une grande conférence de presse où il proclame bien haut que la France doit, « tôt ou tard, donner l’indépendance à l’Algérie ».

Cette nouvelle démonstration est reçue comme une véritable provocation par les autorités qui comprennent enfin qu’il n’a jamais renoncé à ses ambitions malgré ses engagements officiels successifs.

Il apparaît alors clairement que le colonel KATZ ne dispose pas de moyens suffisants pour « coiffer le général ». Il lui faut donc des renforts supplémentaires. Le colonel, par ailleurs, confirme sa position fin décembre lorsque, suivi par le capitaine ROCOLLE, il refuse de livrer 400 fusils à BELLOUNIS.

Mais SALAN intervient une fois encore en faveur de BELLOUNIS et les troupes messalistes reçoivent non seulement leurs fusils, mais encore des véhicules et des vêtements.

La situation se dégrade

Le 1er janvier 1958, SALAN nomme son sous-chef opérationnel, le colonel de MASSIGNAC pour une mission de coordination des actions des chefs de secteurs et de l’ A.N.P.A.

Le colonel de MASSIGNAC est un homme raffiné, "de bonne compagnie" que l’on imagine plus volontiers dans un salon que sur un champ de bataille.
Son rôle consiste également à "surveiller " BELLOUNIS.

SALAN croit encore à l’opération Olivier et pense que le seul moyen de tenir en main le "général" est de l’assister.

Effectivement, tout se déroule comme prévu pendant les premières semaines de janvier 1958. Les troupes bellounistes effectuent quelques opérations sous le contrôle de MASSIGNAC, mais sur le terrain, le 11e Choc n’est pas dupe de la situation. BELLOUNIS est étranglé des deux cotés : Alger ne lui permettra pas le moindre écart et n’ hésitera pas à le supprimer s’il devient trop gênant. Quant au F.L.N., son objectif principal est la destruction totale des bellounistes. ROCOLLE et de HESMES sentent approcher la fin.

Au début du mois de mars, MASSIGNAC fait son rapport. Le bilan qu’il dresse ne prête guère à l’optimisme ; le F.L.N. conserve l’avantage : ce ne sont que harcèlement de postes, poses de mines, assassinats.

Quant à BELLOUNIS, il recrute de force de jeunes Arabes, diffuse des tracts contre les autorités françaises et refuse de livrer, comme convenu, les prisonniers. Plus grave encore : il y aurait même certaines complicités entre le F.L.N. et les Bellounistes.

Les pleins pouvoirs pour PARLANGE

Il faut donc agir le plus rapidement possible. LACOSTE nomme un spécialiste des Affaires arabes, le général PARLANGE, pour effectuer une enquête sur le terrain. Il doit faire le point de la situation et déterminer si l’opération doit ou non être poursuivie . A son retour à Alger, le général qui, on le sait, a toujours été hostile à cette opération, confirme tous les éléments déjà connus et conseille la fermeté.

BELLOUNIS, déclare en substance PARLANGE, ne cherche pas à anéantir le F.L.N., mais plutôt à se substituer à lui. D’autre part, il cherche à se dégager de l’influence de la France et à effacer complètement sa présence. Il importe de prendre des mesures rapides.

On donne alors carte blanche au général PARLANGE pour obliger
BELLOUNIS à tenir ses engagements.

Le 25 avril, à Der-Chioukh, le chef messaliste rencontre un nouvel émissaire d ’Alger.

L’entretien est cordial ; BELLOUNIS, comme à son habitude, se montre très bavard. Il renouvelle ses protestations de bonne foi à l’égard de la France, mais se déclare tout- à-fait " hostile à un statut quelconque imposé à l’Algérie".

Puis, il dévoile ses ambitions :

- Je veux être reconnu comme interlocuteur valable. Je dois traiter avec un ministre ! D’autre part, je réclame l’extension de ma zone à tout le pays, ainsi que la direction de tous les mouvements semblables au mien qui se sont développés un peu partout.

En fait, par, ses exigences démesurées, BELLOUNIS démontre une fois de plus que seules des ambitions personnelles motivent son action :

Il veut absolument occuper un rôle de premier plan
.

PARLANGE avoue que ces demandes dépassent ses pouvoirs et qu’il doit en référer au gouvernement.

BELLOUNIS durcit ses positions

De nombreuses réunions ont alors lieu sur place et à Alger.

Pour BELLOUNIS le danger se rapproche. Fin avril, il apprend la mort de KOBUS, instigateur d’un mouvement analogue au sien dans la vallée du Chélif.

Le F.L.N. , de son côté, resserre ses filets : à la tête de la willaya 6, il a nommé l’impitoyable Si-HAOUS, autrefois messaliste, rallié depuis au F.L.N.. Les chefs des autres willayas tentent aussi des infiltrations au sein de l’armée bellouniste.

Redoutant une épuration, constatant aussi des désertions à l’interieur même de ses troupes, BELLOUNIS fait appel au 11e Choc pour regrouper ses partisans et essaie, par tous les moyens, de redresser la situation. Il organise des actions contre ses propres rebelles. C’est alors qu’ a lieu à Ksar-el-Hirane un accrochage entre ses troupes et l’armée française. Le « général » se retranche sur les hauts plateaux. Il observe et attend.

De son côté, LACOSTE doit conseiller la prudence et .la souplesse à PARLANGE car la presse s’est emparée de l’affaire qui maintenant prend des proportions internationales . Pour le ministre résidant, mettre fin à l’opération serait en reconnaitre l’échec.

A Alger, la confusion est extrême : le Gouvernement Général est vivement pris à partie par les activistes qui tolèrent mal qu’ on accorde tant de concessions a un tel « bandit ». Le monde entier a le regard tourné vers la capitale algérienne.

Chacun se demande comment l’armée et le pouvoir civil à Alger vont se sortir de ce « guêpier ».

Sur les instances ,de LACOSTE, PARLANGE , muni de consignes de souplesse, rencontre de nouveau BELLOUNIS le 13 mai. Ce sera la dernière fois, Le « général », profitant du désarroi des uns et des autres, a encore durci sa position.
« Tuez tous les Messalistes »

Le 22 mal, BELLOUNIS va encore plus loin : Il écrit à René Coty, Pierre PFLIMLIN, Guy MOLLET et au général DE GAULLE ; une lettre incohérente dans laquelle il menace de reprendre les combats contre la France.

Pour PARLANGE, la décision à prendre est maintenant simple :
Il faut arrêter l’opération Olivier.

Il fait cependant une dernière tentative et fixe un rendez-vous le 25 mai à BELLOUNIS. Le « général » ne s’y rend pas.

Cette fois-ci la rupture est consommée. On arrête immédiatement les envois de ravitaillement et d’argent.

Des troupes de paras sont envoyées sur le terrain. Elles envahissent les hauts plateaux dès les premiers jours de juillet 1958, et découvrent alors un terrible charnier !!

Le 14, près de Bou-Saada, BELLOUNIS a été tué par des rebelles.

Il s’était retranché dans son P.C. Après une longue résistance, à cours de munitions, ils ont été liquidés.

Les survivants. se dispersent ; certains rejoignent les rangs de la France ; d’autres ceux du F.L:N. ;les derniers enfin se rallient à l’ adjoint de BELLOUNIS, Si MEFTAH.

Ils erreront dans l’Atlas jusqu’à l’indépendance.
L’opération Olivier a vécu.

Jusqu’au cessez le feu, la lutte se poursuivra entre .les messalistes et le F.L.N. et lorsque sonnera l’heure des règlements de compte en 1962 les hommes du M.N.A., ralliés à l’organisation rebelle, feront les premiers les frais de sanglantes purges.

« Ceux qui ont trahi une fois, dira BOUSSOUF « l’homme de fer » du F.L.N., pourront trahir de nouveau. »
BOUSSOUF lâchera ses commandos avec cet ordre simple et précis :
-“ TUEZ LES TOUS "

Alors l’ Algérie indépendante une fois encore, se couvrira de charniers .

Armand BAUGARD

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