Jean MONNERET : Que s’est-il passé le 5 Juillet 1962 à Oran ?

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Le 3 juillet, l’Algérie était devenue indépendante. Le 5 juillet, des foules algériennes envahirent les grandes villes et des manifestations de liesse se déroulèrent. A Oran, elles survinrent dans un contexte particulier. La ville avait été un fief de l’OAS et un intense climat de guerre civile y avait régné.

Or ce jour là, une masse de gens descendit des quartiers musulmans vers le centre de la ville. Cet endroit était habité par des Européens, et l’exode des semaines précédentes ne l’avait pas complètement vidé. Nombreux étaient les Pieds-Noirs qui y résidaient encore et y travaillaient. Ils avaient suivi les multiples appels à rester qui émanaient, tant des autorités françaises que du FLN.

Le Haut Commissaire en Algérie, Christian Fouchet avait estimé que la situation redevenait normale dans l’ensemble de l’Oranie. D’innombrables témoins oranais rappellent que les jours précédents, des voitures de l’Armée française, équipée de hauts parleurs, sillonnaient les rues en recommandant aux habitants de rester, car tout se passerait bien.

Compte tenu de la prévalence des commandos OAS à Oran dans les semaines précédentes, on pouvait, là plus qu’ailleurs craindre les représailles. Le FLN d’Oran appelait à la réconciliation. Il avait même créé sous son égide, une Commission des Réconciliations regroupant des personnalités de toutes les communautés. La commission avait organisé un rassemblement le 30 devant l’Hôtel de Ville. La situation dans cette ville et son évolution prenaient valeur de test . Irait-on vers la réconciliation ou vers de nouveaux affrontements ? La réponse fut tragique autant que sanglante.

Le 5 Juillet est la date anniversaire du débarquement Français en Algérie. Le FLN voulait marquer, ce jour là, l’effacement symbolique de 132 ans de présence française. Dès sept heures, d’immenses cortèges s’organisèrent et commencèrent à gagner le centre d’Oran. Tous les témoins évoquent un climat d’excitation croissant. Vers onze heures trente, les manifestants semblaient attendre une prise de parole ou une démarche symbolique.

Il semblerait que des militaires du FLN s’apprêtaient à hisser leur drapeau sur la façade de l’Hôtel de Ville. Le service d’ordre algérien se bornait à de minces cordons d’ATO (1) (policiers sélectionnés par le FLN) et de soldats de l’ALN locale.

A 11H30 une fusillade éclata. Etait-elle le fait de militaires français en faction sur la place et qui ripostèrent à des tirs de musulmans ? Etait-elle le fait de commandos OAS comme l’ont prétendu certains ? Etait-elle le fait de musulmans se heurtant à d’autres musulmans, comme quelques témoignages l’affirment ? Aucune réponse convaincante à ces différentes questions n’est possible et ne le sera sans doute jamais.

Cependant pour les musulmans qui sont là, il n’y a aucun doute, c’est l’OAS qui a tiré sur la foule. Dès lors, une soif de vengeance la parcourt. Une chasse à l’Européen se déclenche dans le centre-ville.(2)


(1) ATO : Auxiliaires Temporaires Occasionnels. Policiers algériens remplaçant les policiers français. A Alger ils furent formés en moins de quinze jours

(2) L’objectivité commande cependant de signaler que des patrouilles ont parfois sauvé des Européens, mais ce fut exceptionnel.


Une seconde réalité s’impose également : nombre de manifestants sont armés et porteurs à la fois d’armes blanches et d’armes à feu. Ont-ils prémédité un massacre ou pensaient-ils qu’ils avaient encore à craindre de l’Armée Secrète ? Le service d’ordre musulman, n’a pas toujours le souci de protéger les Européens. Il va, bien au contraire, déclencher une opération de ratissage musclée, qui se soldera par des centaines d’enlèvements.

Les archives militaires contiennent des appréciations sévères sur les ATO et sur leur comportement ce jour là. Retenons-en ces extraits " de très nombreux civils sont armés. Les ATO et l’ALN (chaque groupe travaillant pour son compte) sont incapables de les empêcher d’arrêter les Européens, de piller leurs biens et souvent de les lyncher… Les ATO sont plus dangereux qu’utiles ». Le chef d’escadron F…. commandant la 452ème GAA précise : "Les ATO semblent en grande partie responsables de l’aggravation des incidents qui ont eu lieu aujourd’hui  ». (1 H 3206)

A coté des exactions commises par le service « d’ordre », d’autres sont perpétrés par des civils musulmans se déplaçant en voiture. Certains tirent sur les Européens qu’ils croisent, les lynchent, ou les entrainent de force dans leur véhicule. Plusieurs centaines de Pieds-Noirs au minimum (3) seront ainsi enlevés au cours de cette journée et durant la suivante. Les enlevés semblent devoir être répartis en deux groupes. Le premier fut dirigé vers le commissariat central parfois sans ménagement.

Nombreux sont les Oranais qui affirment que plusieurs y furent assassinés. Malheureusement, peu de témoignages sont disponibles sur ce point (4) qui reste à éclaircir. Il semble néanmoins possible d’avancer que la plus grande partie des gens retenus là, fut libérée dans la soirée après que différents officiers français soient venus parlementer.

Un autre groupe d’environ deux ou trois cents d’entre eux fut libéré dans l’après-midi, devant l’ancienne préfecture, grâce à l’intervention courageuse du lieutenant Rabah Khellif qui appartenait à la 4ème compagnie du 30 ème BCP. Il agit en armes, à la tête de sa section, à l’encontre des ordres de non-intervention reçus du Secteur. Cet officier, plus tard promu capitaine, avait été fait prisonnier à Dien-Bien-Phu par le Vietminh.

Profondément patriote, il était intervenu, poussé par un sens aigu de l’honneur militaire. Au début, il évita de peu une sanction mais il fut néanmoins ultérieurement cité à l’ordre du régiment par son colonel. Rabah Khellif peut être tenu pour un des rares héros de cette fatale journée.


(3) Il est impossible de connaitre le chiffre exact des gens tués dans la rue et celui des personnes enlevées. Le docteur Couniot, chirurgien oranais qui avait vécu ces évènements et demeura quelques années dans l’Algérie indépendante, nous parla de 600 enlevés. Les archives militaires disent 453. Beaucoup d’Oranais citent des chiffres très supérieurs mais sans justifications précises.

(4) Il est curieux de constater que 45 ans après ces faits, de nombreux témoins refusent que l’on cite leur nom, ou tout simplement, de parler, privant ainsi leurs compatriotes de renseignements précieux.


Hélas ! La plupart des autres prisonniers européens, dont le nombre est difficile à évaluer et qui avaient été raflés à travers toute la ville et ses faubourgs, furent conduits au Petit-Lac. Ils y furent massacrés dans des conditions de violence et de barbarie extrêmes. Un témoignage émanant d’un Européen, sauvé par un musulman a été recueilli par le cinéaste Gilles Perez.

Le 2ème bureau de l’Armée française, bien qu’il fut informé de l’existence de charniers au Petit-Lac ne put y dépêcher de patrouilles pour enquêter directement. Des avions de reconnaissance toutefois survolèrent le lieu. Des photographies prises depuis ces appareils montrent avec une grande netteté, une vingtaine au moins, de vastes tombes collectives.

Ces rectangles de terre remuée sont très visibles d’avion. Ils auraient pu contenir, selon nous, entre 300 et 400 cadavres. D’autres tombes collectives furent également connues, en d’autres point de la ville, notamment au Cimetière de Tamashouët( confirmé notamment par un très intéressant témoignage dans l’Algérianiste N° 118, juin 2007, p.26)

Nombreux furent les Oranais, et pas seulement eux, qui critiquèrent la passivité des troupes françaises ce jour là. Le général Katz, commandant le Secteur Autonome ( plus tard Groupement) fut particulièrement mis en cause. Il écrivit en 1992 un ouvrage intitulé «  L’honneur d’un général  ».

Nous avons eu l’occasion d’indiquer qu’il contient de multiples(5) incohérences et de multiples entorses à la vérité. Nous avons également publié un document qui prouve, contrairement aux dires du général Katz, que les troupes françaises étaient bel et bien consignées dans les casernes.

Il est vrai cependant que le général ne faisait qu’appliquer avec un grand zèle, aussi malheureux que déplacé, les ordres du Ministère des Armées. Celui-ci appliquait de son côté, les directives du général de Gaulle : »Nous ne devons plus avoir de responsabilités dans le maintient de l’ordre  » (voir 31ème question)

La presse de l’époque et depuis quarante cinq ans, les médias, n’ont pas donné aux massacres du 5 juillet, la couverture qu’ils méritaient. Pour la France, les massacrés d’Oran demeurent à ce jour, des victimes importunes.


(5) Joseph Katz. L’honneur d’un général. L’Harmattan 1992

Jean Monneret. La phase finale...op. cit. ainsi que la Tragédie dissimulée. Oran 5 juillet 1962. Ed. Michalon 2006.

Voir également Gilles Perez Les Pieds-Noirs, histoire d’une blessure, film diffusé en avril 2007, sur FR3.

Voir en ligne : http://www.clan-r.org/portail/Jean-...

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