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De l’immigration convoitée à l’immigration répugnée

par Aït Benali Boubekeur

La formule qui revient avec acuité ces dernières années en France est celle qu’a prononcée, il y a quelques années, le socialiste Michel Rocard : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Il est vrai toutefois que s’il y a un sujet qui divise peu les politiques français, gauche comme droite, c’est le contrôle de l’immigration. Pour un certain nombre d’entre eux, elle devient un danger qui menacerait même leur identité. Lors de l’élection présidentielle française de mai 2007, le débat sur l’immigration a occupé une place prépondérante. N. Sarkozy, candidat de l’UMP, a proposé tout bonnement la création d’un ministère qui s’occuperait de l’identité nationale et de l’immigration. C’est à ce moment-là d’ailleurs que certains intellectuels français se sont élevés contre la proposition en posant la question de savoir si : « l’immigration est ce dont il faut protéger l’identité nationale ». L’examen de la question, en tout cas, est très complexe dans la mesure où l’identité nationale n’est pas immuable, mais une acception en constante évolution. L’historien des idées Torodov explique que l’identité échappe à tout contrôle politique en précisant que : « si l’identité ne devait pas changer, la France ne serait pas devenue chrétienne, dans un premier temps, laïque, dans un deuxième ». Mais le candidat qui a défendu cette idée ne remet pas en cause cette évolution. Il s’agirait plutôt de désigner une immigration en particulier sans la nommer. L’immigration qui pose problème en réalité n’est pas globale et ne s’extrapole pas à toutes les diasporas du monde. Et pourtant, il y a quelques décennies, même l’immigration nord-africaine, qu’on décrie pas ouvertement, avait une place de choix. Mais pourquoi en si peu de temps, la France a changé diamétralement sa vision sur l’immigration ?
Certes, l’immigration du siècle dernier ne ressemble en rien à celle de 2007, mais le concept n’a pas trop évolué dans la mesure où la préoccupation première des étrangers est la recherche du travail. Pour l’émigration algérienne, il est tout de même important de rappeler que les ouvriers n’avaient pas assez de choix tant les pressions exercées par les autorités coloniales étaient immenses. En effet, celle-ci a débuté en 1906 où cette main-d’oeuvre a été utilisée spécialement pour supplanter les ouvriers italiens grévistes dans les raffineries et huileries de Marseille.

Il s’en est suivi, par la suite, une période où la France ne pouvait pas ne pas faire appel aux étrangers, notamment les soldats de l’Empire - expression empruntée à Jacques Simon - pour faire face aux offensives sanglantes de 1915. Et dès 1916, les autorités coloniales ont recouru, sans vergogne, à la main-d’oeuvre nord-africaine pour pallier les insuffisances inhérentes au fonctionnement des usines. Ainsi, plus de 150 mille travailleurs, dont 78.500 Algériens, ont été embauchés dans des usines métropolitaines.

Bien que la France soit sorti victorieuse, après la fin de la grande guerre, la plupart des villes étaient quasiment détruites. Pour reconstruire derechef le pays, la France a fait appel à l’immigration à tel point que pendant la décennie des années vingt, elle était classée le premier pays d’immigration devant les Etats-Unis. Et c’était la période où l’on encensait l’immigration, comme le montre un rapport sur l’implantation des Algériens dans la région parisienne, concluant que : « l’afflux de cette main-d’oeuvre est très avantageuse pour le patronat : réalisation d’un taux de profit élevé sans investissement de capital. Elle permet aussi de ralentir l’exode rural, avec le maintien des paysans dans les campagnes ». Par ailleurs, les trente glorieuses, allusion aux années où la croissance économique en France était élevée, l’immigration a connu son âge d’or, atteint grâce notamment au plein emploi. Cette période a marqué beaucoup d’intellectuels français, plus spécialement Gérard Noiriel qui indique, dans son livre « Le creuset français », que : « les immigrés ont depuis la Deuxième Guerre mondiale construit 90% des autoroutes françaises, une machine sur sept et un logement sur deux ». Même si cette immigration des anciens a été bénéfique d’un point de vue économique, il n’en demeure pas moins que les enfants et les petits-enfants ne conçoivent plus leur place, en France, uniquement réduite à la relève, poste pour poste, des parents. Du moins autant que la législation le permette. Ce qui pose problème, à vrai dire, est l’acquisition systématique de la nationalité pour tous les enfants nés en France. Ainsi, les emplois qui étaient jadis acceptés sans réticence par les anciens ne trouvent pas preneur auprès des jeunes issus de l’immigration. Dans la région toulousaine, par exemple, un étudiant algérien travaillant dans le nettoyage a été réprimandé par un jeune beur qui réside dans l’immeuble, lui disant : « tu dévalorises notre communauté en acceptant n’importe quel boulot ». Du coup, en refusant les emplois subalternes, les basanés ont de plus en plus du mal à trouver un travail à la hauteur de leur espérance. Même ceux qui réussissent dans leurs études ont du mal à s’imposer au sein des grandes entreprises.

D’ailleurs, lors de l’émission « 100 pour convaincre », D. de Villepin, alors ministre de l’Intérieur, a proposé au jeune Karim, titulaire d’un master, de venir effectuer son stage au ministère de l’Intérieur parce qu’aucune entreprise n’a répondu favorablement à ses demandes. Cette situation a provoqué un repli sur soi, engendrant moult conflits sociaux. Les jeunes sont prêts à la moindre étincelle à en découdre avec les forces de l’ordre pour manifester leur colère. Les émeutes du mois d’octobre 2005 corroborent, en tout état de cause, cette thèse. Pour que ce recours ne soit plus utilisé dorénavant pour revendiquer un quelconque droit, N. Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, s’est engagé fermement pour lutter contre les fauteurs de troubles. Cependant, en évitant des formules benoîtes usées jusque-là, N. Sarkozy a proposé, à une semaine du premier tour de l’élection présidentielle, la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale pour fixer les règles que tout citoyen doit respecter. Connu pour être hyperactif, le président fraîchement élu a mis en oeuvre, sans tarder, sa promesse électorale. Dès la formation du gouvernement Fillon, le portefeuille de l’immigration est confié à l’ami de 30 ans de N. Sarkozy, Brice Hortefeux. Lors de son passage à l’émission « Grand jury » présentée par Jean-Michel Apathie, le ministre a d’emblée défini le projet de loi qui sera examiné incessamment au Parlement. Son inquiétude concerne la démographie galopante des pays africains. Il précise que 50 millions d’Africains sur 900 millions que contient le continent vivent en dessous du seuil de pauvreté. L’ambition du ministre pour le contrôle des flux migratoires ne se limite pas à l’Hexagone, mais compte oeuvrer, autant que faire se peut, pour que les voisins européens puissent faire de même. Il a rencontré à cet effet des responsables italiens et espagnols pour parvenir à un accord commun débouchant sur le contrôle des frontières jusque-là poreuses. A la question de savoir quel est le lien entre l’immigration et l’identité puisqu’elles sont reliées par l’intitulé du ministère, le ministre répond en étayant ses arguments par des chiffres des instituts de sondage. Il estime que 72% des Français approuvent l’intitulé du ministère. Il insiste enfin sur les 53% des suffrages qui se sont portés sur N. Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle. Quant à l’identité, il justifie cela en disant que pendant les luttes de libération des pays colonisés, personne n’était choqué quand ceux-ci invoquaient leur identité. Mais quand il s’agit de la France tout le monde est choqué. Sur un autre volet, le ministre revient en détail sur les difficultés que rencontrent les jeunes issus de l’immigration. Ils n’arrivent pas à s’en sortir, dit-il, comme les autres Français de souche. En effet, le taux de chômage chez cette catégorie est de 20% alors que le chômage au niveau national n’est que de 8%. Les femmes, selon le ministre, ont plus de difficulté à trouver du travail car une femme sur trois ne travaille pas.

En somme, à l’examen de ces éléments, il est clair que les jeunes sont avertis qu’ils ne seraient pas les bienvenus. L’immigration ne rentre plus désormais dans le plan politique élaboré pas le chef de l’Etat français. Mais ne faudrait-il pas aussi arrêter de piller les richesses des pays pauvres par le biais des multinationales ?

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