La mort d’un juste : le lieutenant Yves SHOEN

, par  Jean Claude THIODET ✞ , popularité : 35%

Yves SCHOEN - Chef de laS.A.S. de l’ALMA -
Mort pour la France le 18 Février 1959
</big
Extrait e la bibliographie publiée par EGMIL ’Eglise dans le monde militaire)
Témoignages recueilles et présentés par Claude CARRE

"Yves croyait en une Algérie égalitaire , à une terre qui deviendrait une nouvelle Carthage où les différentes communautés auraient pu vivre en paix Son engagement absolu, fervent, forçait le respect". Hélie Denoix de Saint-Marc


Retrouvailles avec l’Algérie

Lorsqu’’Yves Shoen gagne l’ Algerle, a la fin de l’été 1956 c’est un pays en guerre qu’il retrouve, même si la terminologie officielle réfute ce terme

Le soulèvement déclenché le 1 er novembre1954 met à jour des dysfonctionnements de la société algérienne

Alors que l’armée française est contrainte de s’engager de plus en plus dans la guerre, sables tentent une réponse politique, administrative et sociale dont une des mesures significative est la création des S.A.S-. Dans celles-ci, les anciens des Affaires Indigènes marocaines sont les bienvenus.

Yves SHOEN, après une année de formation à Alger, va donc prendre la direction d’une S.A.S.

Ce premier cours des Affaires Algériennes est dirigé par le capitaine Bénos dans l’esprit du cours que Vincent Monteil avait fermé à Rabat Yves y trouve "Flye" qui évoque ses souvenirs :

"Des mois d’intense travail arabe et berbère, bien sûr, mais connaissance de l’Islam, sociologie, droit administratif, comptabilité, etc... L’Algérie n’était pas le Maroc de la tradition Lyautey ; avec son fameux : "faites d’abord, régularisez ensuite ; « nous passions à l’application tatillonne, de textes » sous la coupe d’une administration centenaire, sûre de ses voies de ses méthodes.

Intéressant, passionnant même. Yves avec sa maitrise des langues, sa culture générale orientaliste, son bon sens, sortit major de notre cours. Cela n’étonna, personne".

En juin 1957, les jeunes officiers sont affectés.

Yves vient de se fiancer avec Jacqueline de Châteaubodeau, fille d’un officier de cavalerie qui vient de repartir en Allemagne. Cette séparation va donner lieu à des lettres quotidiennes jusqu’à leur mariage en janvier suivant.

La correspondance reprendra, quotidienne aussi, l’été suivant, quand Jacqueline ira passer deux mois en métropole. Ces deux séries de lettres permettant de suivre au quotidien la vie d’un chef de SAS de l’Alma fournissent également de nombreux renseignements.

Le jeune officier, comme les chefs de S.A.S., apparait tour à, tour juge, infirmier, assistante sociale, entrepreneur, père fouettard, harangueur des foules, solliciteur auprès de l’administration, agent de enseignement, soldat.

Il déploie au quotidien une énergie énorme, car il veut agir, essentiellement pour améliorer le sort de la population musulmane et il fulmine contre ceux qui se mettent sur son chemin.
Il se bat contre l’inertie de la population musulmane, attentiste. Il est excédé par la paperasserie, par les réunions que leur impose la hiérarchie militaire, par les pesantes procédures de l’administration civile.

Placé parfois en arbitre entre les deux communautés, il doit aussi lutter avec diplomatie contre certains Européens de l’Alma et on se demande s’il ne préfère pas, selon le mot de J. Bodin "l’Algérie française aux Français d’Algérie".


1957 : mise en place de la S.A.S.

L’Alma, où, Yves est affecté, est un gros bourg situé à l’Est d’Alger, ( en fait très près d’Alger, à la limite de la Grand KABYLIE) presque sur la côte.
Sur ce secteur, les rebelles ont commis l’année précédente crimes et exactions, sans qu’il s’agisse d’une région particulièrement difficile.

Le jeune officier doit d’abord aménager sa S.A.S. et prendre contact avec la population musulmane et européenne. Ses rapports avec les musulmans sont complexes, fait de dévouement, d’agacement et de sympathie mêlés.
Côté européens un certain rapport de force s’établit avec la mairie, comme avec les médecins civils qui ne remplissent pas leurs obligations.

Il recrute rapidement une vingtaine de personnes, mais le renouvellement permanent des moghaznis montre qu’il est difficile de constituer une équipe de confiance : très vite la S.A.S. se trouve au cœur de la vie locale : les solliciteurs défilent à longueur de journée, obligeant le personnel européen à un travail administratif fastidieux.

L ’homme d’idéal se confrontait à la bête réalité, cette pesanteur des habitudes et des structures, héritées de près d’un siècle de colonisation. Il se battait à mains nues pour construire, rassembler, organiser entrainer". (Denoix de Saint-Marc)

Yves Schoen s’adonne avec réticence à l’action psychologique, participe, avec l’aide du 2ème Régiment de Dragons, avec lequel il entretient d’excellents rapports, au maintien de l’ordre, souvent la nuit, ouvre de nouvelles classes et, dans l’attente d’une antenne d’Aide Médicale Gratuite, qui sera mise en place. en novembre, soigne lui- même ses hommes et, à l’occasion, les populations.

Le contact direct avec les habitants des douars, qui a pour but d’établir une relation de confiance et de rechercher des renseignements, semble être sa grande satisfaction. Très vite, Yves ne veut plus quitter "sa S.A.S.".

Des inondations diluviennes marquent l’automne 1957, entravant son action. Sur le plan personnel, il passe un examen d’arabe et reçoit une promotion dans la hiérarchie des Affaires Algériennes.

Le colonel Jean Darmancier, qui s’apprêtait alors à intégrer Saint- Cyr, a passé six semaines à la S.A.S., en stage auprès du Lieutenant Schoen :

"Je suis arrivé en août 1957, a la S.A.S commandée par le Lieutenant Schoen... Je vais vivre quarante cinq jours captivants pour un néophyte, à la découverte d’un monde inconnu, d’un type de guerre particulier et de la vie d’un officier en mission et avec quel officier !

Au lendemain de mon arrivée, j’écris à mes parents : ’je suis attaché au chef de S.A.S ; un type épatant. Nous nous entendons très bien tous les deux". Et quelques jours après, je leur précise : ’j’ai de la chance, car je suis avec un lieutenant qui connait l’Algérie, y habite (ses parents sont à Alger) et nous avons de grandes discussions ".

Levé tous les matins à 6 h 15, j’accompagne le lieutenant dans ses tournées...
Le lieutenant reçoit beaucoup de musulmans qui s’inquiètent pour leur retraite d’ancien combattant, pour leurs allocations familiales ou leur pension militaire. Le lieutenant rend la justice et règle les nombreuses chikayas, nous visitons les maires des communes et nous installons des délégations spéciales dirigées par des musulmans désignés par le lieutenant.
Dans le même temps, l’officier recherche des renseignements sur les activités de la rébellion dans le secteur : Il recueille parfois des confidences sibyllines qu’il faut décoder ; ce à quoi le lieutenant excelle, compte tenu de sa connaissance de la mentalité et de la façon de raisonner des musulmans."..

Pour mener à bien une telle tâche, il faut un chef militaire qui soit aussi un véritable missionnaire !

Très rapidement, je vais découvrir que le lieutenant Schoen incarne parfaitement ce chef missionnaire. Pour un jeune qui s’apprête à entrer à Saint-Cyr, ce premier contact avec un tel officier est pour moi une chance.

D’un premier abord un peu froid et réservé, peu bavard et quelque peu austère, voire spartiate !...
Mais, derrière cette façade, quel homme ! Je découvre un chef d’une grande courtoisie, sachant écouter, soucieux de respecter chaque personne et les opinions les plus diverses. Nos options religieuses différentes n’ont jamais posé le moindre problème entre nous. Son attitude vis à vis des musulmans m’a souvent fait penser à celui qui reste pour moi la grande référence, Lyautey, qui avait un profond respect des traditions et coutumes musulmanes.

J’ai été frappé par un autre trait de sa personnalité, à savoir son sens aiguë de la justice qu’il conjuguait avec une certaine fermeté. Il pouvait être parfois sévère, mais jamais injuste et il faisait souvent preuve de beaucoup de tact dans ses relations avec les autres.

Au plan militaire, il incarnait pour moi le chef exemplaire, généreux et d’un grand courage physique, qui lui vaudra sans doute de se faire tuer au combat quelques temps plus tard, et d’une droiture inébranlable.
Intransigeant quant à ses convictions, il me semble qu’il possédait un grand bon sens et beaucoup de lucidité.
(II était) partisan, je crois, d’une œuvre de pacification, tout en luttant contre une rébellion aveugle et capable des pires atrocités.

Capable de rester des heures sans parler - et alors, (il était) inutile de le brusquer - le lieutenant Schoen pouvait devenir particulièrement bavard quand il s’agissait d’expliquer et de discuter des questions importantes ou qui lui tenaient à cœur, nous vivions alors des moments qui étaient pour moi intenses et extraordinaires.

Guy Ripoll, jeune attaché à la S.A.S. témoigne à son tour :

"J’ai été engagé comme chauffeur-interprète (même si) le lieutenant parlait arabe mieux que quiconque. J’ai accompagné le lieutenant dans tous ses déplacements, de jour comme de nuit.

Le lieutenant était très connu et apprécié par les musulmans de tous les douars des environs.
Tous les jours nous étions sur le terrain, au contact de la population. Le lieutenant allait à sa rencontre, discutait, aidait, soignait, essayait de trouver des solutions pour les plus démunis. Pour le personnel de la S.A. S., le lieutenant était très proche de nous.
Jamais une parole blessante et Dieu sait que des boulettes il y en avait de faites.
Il se dévouait totalement à sa tâche... Il était rarement armé".

1958 : les populations musulmanes basculent du côté de la S.A.S.
Au début de l’année 1958, Yves Schoen se marie... "Nous avions épousé deux sœurs et nous battions l’un et l’autre pour une issue fraternelle..." (Denoix de Saint- Marc)

Face aux événements de mai 1958, il reste circonspect. Pourtant cette période correspond à une évolution favorable dans le douar qu’il administre : les populations deviennent plus confiantes et il remporte son plus grand succès, le ralliement spontané du douar de Merkoud, prélude à de nombreux regroupement spontanés.

A l’idée de ces trois cents personnes qui un soir de juin 1958, inopinément, viennent se placer sous la protection d’un lieutenant de vingt sept ans, on pense à la réflexion d’un autre chef de S.A.S. :

"avoir 25 ans, être tout pour ces populations, c’est extraordinaire, cela donne un sens à la vie".

Parallèlement, il semble que les rebelles contre-attaquent car peu après ce succès de Merkoud, le lieutenant Schoen perd trois moghaznis dans une embuscade.

Des lettres quotidiennes adressées à sa femme en août et septembre le montre très absorbé par construction des villages de regroupement mais aussi par la préparation du référendum (proposé par De Gaule sur la nouvelle constitution qui lui pèse.
Il apparaît profondément indifférent pour le fait politique.

Odile Champeval, amie d’Yves et de Jacqueline Schoen, témoigne :

"J’étais en 1959, jeune avocat à Alger et (Yves) m’avait à titre amical, consultée sur problème qui le tracassait. Il cherchait de la documentation sur l’adoption en droit musulman.

Il s’agissait d’un fillette européenne dont les parents avaient été tués à l’Alma dans un accident d’automobile bien avant les événements d’Algérie.
Âgée de un ou deux ans, elle avait été recueillie par une famille musulmane modeste, et, personne ne l’ayant réclamée, elle avait été élevée par ce couple comme leur fille. (Yves) considérait alors que cette adolescente, n’ayant jamais connu d’autre vie et d’autres affections ou n’en ayant aucun souvenir ; il était de son intérêt d’être adoptée légalement pour qu’elle ne puisse être retirée à leur tendresse. La question était délicate, s’agissant d’une petite fille qui n’était pas née musulmane. Je me souviens d’avoir consulté à ce sujet un de mes confrères spécialiste, MaÎtre Aberkane, assassiné depuis.

Ce qui m’avait frappé, c’était la sollicitude d’Yves à l’égard de ses administrés, trouvant que je n’étais pas assez rapide dans mes recherches, il m’avait rappelée au moins deux fois à ce sujet et j’avais admiré cette conscience professionnelle baignée de profonde humanité".

Il est surprenant de constater l’étrange cohabitation de la guerre et de la paix qui transparaît dans ses lettres.
On voit ainsi le Lieutenant Schoen participer à une opération où une vingtaine de rebelles sont tout de même tués, puis filer en ville pour un "déjeuner sympa".

Il défend deux ouvriers musulmans renvoyés pour avoir demandé des précisions sur leur fiche de paie ; il bataille contre un médecin civil qui refuse de soigner les indigents, etc...

"arrivé en Algérie sans beaucoup d’enthousiasme, sa rencontre avait été pour moi un événement. Enfin je trouvais quelqu’un qui prenait sa tâche à cœur ; bataillait, discutait, distribuait aux pauvres et secouait les riches".
En revanche il ne supporte pas l’attitude de certains milieux qui glosent sur une Algérie qu’ils ne connaissent pas et critiquent l’action de l’armée :

"J’ai diné hier avec un journaliste pour le moins progressiste. Nous avons bavardé longuement. Mais j’avoue que tous ces journalistes et intellectuels bien-pensants qui se préoccupent de faire respecter les principes me fatiguent :

Ils feraient mieux, cent fois mieux, de se consacrer à des tâches plus pratiques, plus humaines, plus efficaces.

Ne vaudrait-il pas mieux que tous ces bons français qui s’indignent à l’idée que l’on torture en Algérie se préoccupent de venir en aide à ces pauvres algériens qui pourrissent en Métropole. Je vois très bien ce journaliste tomber la veste et apprendre au Mohamed de Pigalle à se laver et à balayer sa chambre.

J’ai des vues très simplistes sur le problème algérien : je suis persuadé que la question ne sera pas réglée à Paris par une quelconque loi-cadre. Il suffirait d’obtenir de chacun qu’if fasse son travail honnêtement pour que tout aille mieux".

Cependant, avec des interlocuteurs de bonne foi, il évoque certains problèmes moraux. Comme beaucoup de ses pairs, il ne manque pas de réfléchir sur les conditions difficiles du combat qui leur est imposé et par une forme de guerre devant laquelle ils se retrouvent le plus souvent seuls face aux dures réalités et à leur conscience de chrétien.

"J’ai eu l’occasion de bavarder pendant quelques minutes avec l’aumônier catholique des Dragons et nous en sommes évidemment venus à parler de cette guerre bizarre que nous menions ici. A ce sujet, que de problèmes insolubles se posent ! Nous sommes, au nom de certains principes, amenés à agir à l’encontre d’autres principes qui nous sont tout aussi chers. Lorsque l’on s’en rend compte, on ne peut être que gêné et inquiet".

1959 "Mort d’un Juste" (Hélie Denoix de Saint-Marc)

Le 18 février 1959, on apprend qu’un groupe de rebelles armés se trouvent à la limite de la S.A.S. Le Lieutenant Schoen se porte immédiatement au fond de l’oued où se trouvent les rebelles, avec ses moghaznis et une équipe de harkis du 2ème Dragons.

Débouchant à un virage du ravin, il est tué par le tir à bout portant des rebelles retranchés dans un ravin très profond. Un harki, blessé à côté de lui, rapportera ses dernières paroles : "Ana mat" ("je meurs" en arabe dialectal). De nombreux musulmans assistent à ses obsèques.

La pose d’une plaque au nom du Lieutenant Schoen, dans la salle d’honneur du Cours des Affaires Algériennes, donne lieu à un incident. Le commandant Benos, directeur du Cours, interpelle le Délégué général Paul Delouvrier en affirmant, au nom de ses camarades, la volonté de faire en sorte que "le sacrifice du Lieutenant Schoen ne soit pas inutile, afin qu’il n’ait pas un jour à se demander si ce magnifique officier mort au combat est bien mort pour la France".

Cette intervention irrite Paul Delouvrier qui doit faire face à un débat houleux avec les officiers S.A.S. présents. Peu après, le commandant Benos est muté en métropole.

"... sa personnalité et son rayonnement étaient tels qu’il n’est pas possible de l’oublier lorsqu’on a eu le privilège de le connaÎtre, ce qui est mon cas.

Même à une époque où l’annonce de la mort d’un camarade, bien que toujours douloureuse, devenait presque banale - puisque cent "Petits Cos" de la de Lattre ou de l’Union française sont restés sur cette terre d’Afrique - la disparition d’Yves Schoen a été ressentie par tous, tant il représentait l’archétype de l’officier français, avec son panache et son allant, et tant il semblait fait d’un airain indestructible, au moral
comme au physique. Il est digne, par son caractère, "d’être comparé à son beau-frère, le Commandant Denoix de Saint-Marc" (Général Jacques Debarqe).

Conclusion
En tant que chef de S.A.S., malgré la lourdeur de ses responsabilités, il se donne à fond à une tâche qui l’enthousiasme. Comme la plupart des chefs de S.A.S., il effectue, avec le soutien actif des troupes du secteur, des réalisations remarquables en matière de scolarisation, d’aide médicale gratuite, de développement économique et, par ces résultats, acquiert la confiance de la population musulmane. Cependant, cette position charnière le désigna à la vindicte du F.L.N.

Dans cette tâche, son origine nord-africaine (c’est ainsi qu’il se définit), l’orientation de son éducation, sa récente expérience marocaine, complétée par le Cours des Affaires Algériennes, constituent des atouts exceptionnels. Sa compétence est saluée par ses camarades de l’époque mais aussi par le jeune chercheur Gregor Mathias qui, dans ses travaux récents sur les S.A.S, qualifie la SAS de l’Alma de "S.A.S. modèle".

Elle est saluée aussi en 1959 par les très nombreux musulmans qui assistent à ses obsèques ou qui, par lettres, manifestent leur sympathie à la famille Schoen.

La plupart des historiens sont unanimes pour souligner le mérite des officiers S.A.S. et admirer l’œuvre accomplie. Je n’en citerai qu’un, l’Anglais Alistair Horne, car son caractère étranger me semble une garantie de recul. Il évoque "le corps héroïque des officiers S.A.S." et précise : "les képis bleus", comme on les appelait avec affection, formaient un corps d’hommes dévoués et courageux qui savaient se faire partout aimer de la population et qui, pour cette raison, étaient souvent l’une des principales cibles du F.L.N.

Les journalistes étrangers qui les virent au travail dans des bleds écartés, isolés et constamment en danger ; ne cessèrent jamais d’être impressionnés par leur action". .

Navigation