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Entretien exclusif. Un Algérien témoigne : pourquoi l’Algérie n’aura pas son printemps arabe
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F. Panama. – son vrai nom restera secret car il craint la répression, est avocat à Alger. Lecteur de Dreuz.Info, il m’a contacté pour me parler de l’Algérie. Voici notre entretien. Jean-Patrick Grumberg : Quelle est la situation de …
F. Panama. – son vrai nom restera secret car il craint la répression, est avocat à Alger. Lecteur de Dreuz.Info, il m’a contacté pour me parler de l’Algérie. Voici notre entretien.
Jean-Patrick Grumberg : Quelle est la situation de l’Algérie ?
FP : L’Algérie est candidat à l'explosion mais n’explose pas. Les raisons de la colère ne manquent pourtant pas. Le pays a connu près d'un millier de protestations en 2010, plus de 120 durant le seul mois de mars 2011. Les réactions les plus courantes étant la fermeture des établissements publics ou ceux des municipalités.
Mais ces mouvements ne vont pas nous conduire à l’explosion politique, et cela en raison d’une série de facteurs, notamment l'absence d’organisations capables d’encadrer la rue et transformer la colère sociale en revendications politiques.
La situation ne peut être qualifiée que de « révolution qui dort » du fait de l'accumulation des facteurs qui irritent la rue, et qui pourraient nous conduire à une explosion à tout moment, et menacer le système existant.
Jean-Patrick Grumberg : Le pouvoir en place est-il solide, sa légitimité est-elle remise en cause ?
FP : Parmi les facteurs les plus importants qui peuvent conduire à une révolution en Algérie, se trouve la confiance rompue entre le peuple et les institutions, les partis politiques et les personnalités clefs. En l'absence de légitimité de toutes les composantes de l'arène politique, les autorités ont détruit la crédibilité des partis, et celle des personnalités de l'opposition. Il n'y a pas, en Algérie, de force politique capable de faire des propositions politico-sociales, capable de proposer un projet politique efficace et global, qui pourrait créer une dynamique politique, et sortir le pays paisiblement de sa situation de crise.
Jean-Patrick Grumberg : Et les militaires ?
FP : L’institution militaire a souvent été la colonne vertébrale du pouvoir politique (l'armée et ses divers composantes). Ce mode de fonctionnement aurait pu être efficace si l’institution possédait une direction unifiée, et un objectif clair. Par exemple, face aux groupes armés, au cours des années 90, l'objectif était clair, et il a été atteint, malgré tous les glissements. Mais depuis, l'institution militaire n'ayant pas envisagé de se retirer de la scène politique, elle doit maintenant travailler pour la survie du régime, elle ne peut pas choisir entre la survie du régime et le passage à une nouvelle étape, la mise en place d'un nouveau système, compatible avec les exigences du peuple.
Cette impasse a poussé les militaires a empêcher l'émergence d'une alternative politique au système actuel, sans penser au système qui gouvernera le pays à moyen terme. Le pouvoir militaire a essayé de faire face aux événements, à réagir, mais sans envisager une nouvelle carte politique de l'Algérie.
Jean-Patrick Grumberg : Vous me dites qu’il n’existe pas de contre pouvoir, comment est-ce possible ?
FP : La crise politique en Algérie se résume à une absence d'organisations politiques censées prendre en charge la société. Les partis politiques symbolisent l'opportunisme et la corruption, la poursuite des postes de pouvoir et des richesses, à tout prix. Ces facteurs ont conduit le pays vers la récession, et la stagnation politique, qui se traduit par une mobilisation en baisse lors des manifestations, une activité des politiques eux mêmes parfois rare, et l'indifférence et la déconnexion des citoyens de la vie politique et de la société civile en général.
De ce fait, l’activité partisane dans les élections permet l'accès aux privilèges par les plus organisés. Lors des élections législatives, par exemple, le système électoral utilisé en Algérie garantit aux premiers candidats de chaque parti (tête de liste) l'accès à la députation au parlement, comme aux collectivités locales, ce qui rend la préparation des listes des élections plus importantes que les élections elles-mêmes. Cela a conduit certains candidats à payer l'équivalent de cinquante millions de dinars (plus d'un demi million de dollars) pour réclamer la tête de liste de son parti, qui leur garantit un siège au Parlement, l’accès aux ministres et aux hauts fonctionnaires.
Ce nouveau rôle joué par les partis les a éloigné de leur rôle traditionnel. Comme la population algérienne bouillonne, aucun dirigeant n'a su faire face aux manifestants, ou même leur répondre, parce que les parties ont perdu toute crédibilité.
La crise politique s'est encore aggravée en raison des fluctuations d’anciens cadres du FLN vers d'autres partis ou vers les institutions militaires, et qui agissent souvent au hasard, sans coordination entre elles. Les analystes, en Algérie, trouvent que le noyau dur du système, c'est le DRS, le Département du Renseignement et de la Sécurité, qui agit souvent en coordination avec l'armée, avec la presse, et avec les chefs de partis, depuis les années 90.
Jean-Patrick Grumberg : Dans les autres pays arabes, c’est contre le Président que se cristallisaient les revendications. Qu’en est-il en Algérie ?
FP : En 1999, lorsqu’il est arrivé au pouvoir, le Président Abdelaziz Bouteflika a travaillé à transformer la carte politique, en essayant de devenir l'épicentre du pouvoir, et en nommant ses proches à différents postes. Mais comme Bouteflika connait la nature du système, il a trouvé préférable de partager le pouvoir avec les militaires plutôt que les d'affronter.
Le président Bouteflika souffre d'une maladie « incurable ». Certains disent que c'est un cancer de l’estomac. Dès l’information publiée, les militaires ont tenté de récupérer la partie perdue du pouvoir, ce qui a asphyxié la scène politique en écartant certains proches du Président, et ils ont imposé le Premier ministre Ouyahia, proche des militaires. Aujourd'hui, nul ne peut prendre seul aucune décision, car la structure du pouvoir est devenue complexe, et il faut un consensus, qui est très difficile à atteindre. Il est fort probable que la situation restera inchangée, comme il est aussi clair que le président Bouteflika n'est pas en mesure d'exercer pleinement ses pouvoirs. Mais cette situation paralyse le pays, personne n’ayant vraiment le pouvoir, personne ne prenant de décisions ni d'initiatives, ce qui rend le pays incapable de fonctionner.
Donc on pensait que la maladie du Président était un cancer, mais les officiels algériens ont tout fait pour cacher la vérité. Selon un câble de l’Ambassade Américaine à Alger, révélé par Wikileaks et obtenu par l’agence Reuters, le Président algérien souffrait en effet d’un cancer. « La mystérieuse maladie dont avait souffert le président algérien est le cancer, et non un ulcère de l’estomac comme l’ont suggéré les médias d’Etat », écrivait le 24 février 2011 l’agence Reuters.
Si le document indique que la maladie du président est bel et bien un cancer, il suggère aussi que la pathologie cancéreuse est en rémission et que le Président algérien « pourrait encore vivre plusieurs années ».
« Les documents de Wikileaks, écrit l’agence, suggèrent également que le Président, soutenu par l’armée quand il a été élu chef de l’État en 1999, a par la suite eu des liens difficiles avec les services de renseignement militaire, largement considéré comme un des piliers du pouvoir en Algérie. » Ces révélations, ajoute Reuters, interviennent au moment où Bouteflika tente d’empêcher que la révolte dans le monde arabe n’atteigne l’Algérie.
Cette situation crée une paralysie quasi-totale dans toutes les sphères de la vie politique, car personne ne peut prendre d’initiative, prendre les décisions que la situation du pays exige, ce qui augmente la crise. Les problèmes s'accumulent, sans que le gouvernement arrive à trouver des réponses aux attentes de la rue, et il essaye de gérer la situation avec des anciennes méthodes, obsolètes.
Nul ne peut engager la destitution du Président Bouteflika, ou même s'exprimer sur le sujet, de peur des réactions, car le Président a toujours été un symbole de l'équilibre entre les différents acteurs du pouvoir. Il est considéré comme intouchable, ce qui donne l'impression que tout le monde est menacé, et oblige les différents partis à se rallier autour du Président. Par conséquent, la règle, dans les cercles du pouvoir, est la loyauté envers le commandant, jusqu’au moment de l'installation d'un nouveau chef, qui nous mettra devant le fait accompli.
Jean-Patrick Grumberg : Et donc l’opposition est désorganisée.
FP : Pire que ça. L’opposition est faible, elle ne peut pas prendre le pouvoir, elle est incapable de créer une force politique capable d'imposer une alternative au système.
Jean-Patrick Grumberg : Les islamistes ?
Ils ont servi de levier à cet échec. Le pouvoir a utilisé la recrudescence de la violence et du terrorisme comme argument pour faire pression sur les courants démocratiques, qui eux aussi dénonçaient la violence, et ces mouvements n'ont pas trouvé d’autre débouché politique. Le pouvoir en place s'est donc retrouvé seul, sur une scène politique quasiment vide, et il a décidé de jouer au simulacre en se réconciliant avec le FLN, en le baptisant « parti du pouvoir », ce qui fait qu’aucune force, aujourd'hui, n'est capable de s'emparer du pouvoir. Le terrorisme vaincu, l'opposition démocratique affaiblie, le pays est devenu un butin entre les mains du régime en place.
Jean-Patrick Grumberg : Et les réseaux sociaux, Facebook et Twitter, qui ont permis aux jeunes tunisiens et égyptiens de faire monter la révolte. Pourquoi ne se passe t-il pas la même chose en Algérie ?
FP : Le régime algérien s’est infiltré partout. Il a crée des groupes Facebook pour pousser les gens à s’inscrire, et ce sont des pages qui détectent les adresses IP. C’est une toile d'araignée. Donc personne n’a confiance, tout le monde se méfie de tout le monde, sur internet.
De plus, le régime algérien n'est pas comme les autres régimes arabes.
Jean-Patrick Grumberg : Pas comme Ben Ali ou Mubarak ? En quoi ?
FP : Ben Ali c'est classique, ce sont des anciennes dictatures. En Algérie, il y a une intelligentsia qui guide le pays. L’Algérie a formé, dans les années 70, des élites à Oxford et à Cambridge, et pas uniquement des officiers de « KGB ». Le gouvernement a formé des sociologues, des philosophes… et même des spécialistes en communication. Personne n’imagine que le pouvoir est facile à vaincre !
De plus, le régime algérien a tissé des amitiés à Genève, à Paris et à Londres, et même aux Etats-Unis. Il a de fortes relation avec la DST, avec la DGSE et la DCRI. Et puis il change de stratégie à peu près tous les 10 ans.
Et n’oubliez pas que ce que le monde arabe est en train de vivre, les algériens l'ont vécu en octobre 88. Nous avons vu les islamistes de près. Cela a couté la vie à 250.000 civils.
Jean-Patrick Grumberg : Nous n’avons pas parlé de l’économie.
FP : Vous voulez dire l’échec économique !
A coté de la crise politique, l'Algérie est en train de vivre un échec économique, malgré les 200 milliards de dollars qui dorment dans les caisses. Le Président Bouteflika, lors d'une réunion de travail avec les cadres de la nations, a reconnu son échec à construire un projet économique intégré et homogène, malgré les énormes sommes d'argent dépensées depuis le début de l'amélioration des prix des hydrocarbures.
L’Algérie s'est réfugié derrière une politique d'importation, qui a dépassé pour la première fois depuis indépendance, 50 milliards de dollars en 2010, contre 20 milliards de dollars en 2009. Le gouvernement a essayé de freiner les importation en instaurant une nouvelle loi de finance, sans penser à créer une assise et des bases économiques réelles. Finalement, le gouvernement a cédé en abrogeant toutes les lois qui freinent les importations, à cause de la pénurie des produits de premières nécessité, la colère des importateurs militaires, et la hausse obscène du sucre, de l’huile, etc.
Le gouvernement s’est donc acheté la paix sociale et une trêve politique avec différentes mesures qui facilitent les crédits à la consommation, le crédit pour l'habitat, l’emploi des jeunes, mais ces choix ont fait l’objet de critiques des économistes, car l'argent seul ne suffit pas pour bâtir l'économie et résoudre les problèmes sociaux.
Et je dois aussi vous parler du chômage. C’est l'un des principaux résultats de l'échec économique. Le niveau de chômage reste élevé malgré l'argent versé dans le but de créer des emplois. Selon les chiffres officiels, le chômage a baissé à 11 %. Ce qui sème le doute sur ces chiffres, c'est le fait d'entendre un Ministre Algérien dire que le taux de chômage en Algérie est plus faible qu’en Espagne. La réalité est différente, et les experts estiment que le niveau de chômage est plus proche des 20%, et chez les jeunes, supérieur à 35%.
Après de violentes manifestations au début de l'année, le gouvernement a décidé d'ouvrir les portes de l'emploi pour des milliers de jeunes, mais l'effort est insuffisant en raison de l'incapacité de l'économie algérienne à absorber le nombre de jeunes, qui dépasse la capacité de l'économie nationale. Les jeunes justement, constituent un élément clé dans les manifestations et les actes de violence qui ont lieu chaque jour en Algérie.
Pour clore le tableau, il faut mentionner l’incapacité des entreprises publiques. La baisse de la production de 2,6% au cours des six premiers mois de l’année 2009, et 1,9% pour l'ensemble de l'année dernière, indique une baisse continue de la consommation.
Jean-Patrick Grumberg : J’imagine que si les politiques sont prêts à payer un demi million de dollars pour une tête de liste, c’est que la corruption doit être importante.
FP : La corruption, mais aussi l'effondrement des valeurs. A la marge de l'échec économique, la prévalence de la corruption et l'effondrement des valeurs est devenu une des premières caractéristiques de l'économie algérienne. Les hauts fonctionnaires des institutions publiques sont les premiers accusés dans les affaires de corruption. Cette situation soulève la colère de la rue, en particulier en raison des sacrifices consentis par les Algériens.
Jean-Patrick Grumberg : Avec autant de compteurs dans le rouge, pourquoi la situation en Algérie n'exploserait-elle pas ?
FP : Tous ces indicateurs confirment que la situation en Algérie est proche de l'explosion, et même en tant qu’observateur, on peut se demander comment le pouvoir a su maintenir la situation, devant tous ces motifs qui devraient conduire à des révolutions. Est-ce que l'Algérie vit une situation exceptionnelle qui explique la solidité du système, qui peut lui lui donner plus de vie malgré la colère de la rue ? Comment le pouvoir a su faire face à cette situation, en dépit des protestations ?
La réponse, les facteurs qui ont épargnés le pays d'une nouvelle révolution peuvent être résumés comme suit :
1- Discipline du pouvoir et solidarité de ses composantes.
2- Discipline de l'armée et des forces de sécurité.
3- Une opposition infiltrée, ou domestiquée.
4- Une presse écrite et audiovisuelle infiltrées.
5- L’impossible unité de l'opposition.
6- L'autonomie faible de décision politique.
7- L'utilisation de la « corruption collective » comme moyen de gestion collective.
Les motifs qui devraient nous conduire à une explosion ne sont pas encore traduits en revendications politiques, comme dans les autres pays arabes. Tandis que les manifestations et les grèves continuent à se multiplier de manière significatives, le spectre de l'explosion et de la révolution restent peu probables, parce que la colère n'a pas trouvé le transformateur de ces actes en une action politique.
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