Un certain 11 novembre

, par  DiaOulRu , popularité : 23%

Cette nouvelle est une fiction, bien entendue, mais basée sur des faits réels, tirés de témoignages familiaux et personnels :

"Quelle idiotie d’être venu ici tout seul ... je ne me souvenais plus de la longueur du cheminement et de ses difficultés. Ce terrain aussi bouleversé ... ces boyaux dévastés, ces tranchées nivelées, tout est là mais je ne reconnais plus rien. C’est la première fois que j’y reviens depuis dix ans. A la demande d’une Association d’Anciens Combattants, j’ai accepté de venir hier avec eux à Verdun pour commémorer l’Armistice ce qui m’a fait connaître à nouveau l’amertume des déclarations et des discours tels que : "... vie de soldats rayonnante de gloire ... splendeur dans leur mort ... sang tachant la blancheur crayeuse des collines de Meuse ... plaintes sortant du coeur de nos héros ..." Ah oui ! Elle était belle la mort de nos héros. L’âme rentrée au fond de l’être dès qu’ils prenaient un coup, on ne voyait plus que la bête qui beuglait sous l’assommoir ... il y a des mots qui choquent, qui diminuent le réalisme en évoquant la splendeur de fins qui furent misérables. Ah, ils étaient bien les discours, même trop bien ... académiques quand il suffisait de célébrer simplement le cran, la volonté, le courage, l’abnégation, la soumission au pire quand on accumule la misère, l’abandon, la peur de mourir, l’atroce façon de mourir ... des discours ! C’est pourquoi aujourd’hui j’ai choisi de retourner seul où je veux aller pour récupérer ce que je sais ... que je suis seul à savoir et je vais, du cimetière du Faubourg Pavé au Fort de Souville par le boyau St Michel. Il n’y a que quatre kilomètres pour me rendre à la redoute que voici.

C’est ici ... l’entrée Sud est encore entourée de pieux barbelés ... ça fait un drôle d’effet de s’y retrouver dix années après ce 12 Juillet 1916. Le Lieutenant Dupuy nous avait expédié sur les superstructures du Fort pour résister à l’assaut des allemands qui voulaient forcer la route vers Verdun. Souville pris, Verdun était perdu ... une soixantaine, ce qui restait de notre 3è Cie du 7è RI ... nous nous sommes battu dans une lutte sans merci contre les felgrauen armés de lance-flammes, qui envahissaient la superstructure et voulaient forcer les accès dans le fort ... notre riposte à coups de grenades fut désespérée mais ils ne sont pas passés ... je revois encore Dupuy nous disposant dans les points d’appui, au fur et à mesure que nous sortions de la gaine centrale barricadée, obstruée par des sacs à terre et des barbelés ... Guisnier, Raffin, Bournaix balançaient des pétards, Bertho qui allait mourir, grièvement blessé, chargeait des fusils, amorçait des grenades ... à 9 heures, dans la confusion du combat, les deux artilleries, allemande et française tapaient ensemble sur le fort, sur les combattants amis ou ennemis sans distinction ... les fossés étaient remplis de morts et de blessés ... les assaillants valides se sauvaient ou se rendaient ! Souville était sauvé ... et Verdun aussi.

Et moi, je me retrouvais la jambe ouverte par un éclat d’obus, français ou allemand, qu’importe puisque le résultat était le même, dans ce trou d’obus, le long de la muraille ... ici même.

Bon sang ... mais ça s’éboule ... je me retrouve au fond du même trou qu’il y a dix ans ... Difficile de remonter, ça n’est plus de la terre, mais des granulés, effet des bombardements, qui roulent sous les mains et les pieds avec rien pour s’accrocher !

- M’sieur, c’est quoi q’vous foutez dans ce trou ?

Au dessus de ma tête se penche le visage d’un gamin rigolard.

- Tu vois bien, j’ai glissé dedans dans ce trou ! Aides moi si tu le peux à m’en sortir.

Je lui tends ma canne. Avec habileté, le gamin me hisse et je me retrouve debout devant lui.

- Et toi, que fais-tu ici. Ça n’est pas la place pour un gosse de ton âge de courir ces lieux dangereux ?

- Faut dire qu’ils sont moins dangereux pour moi que pour vous, la preuve. Moi au moins je connais le coin !

- Moi aussi je l’ai ai connu mais en d’autres circonstances. Mais que fais-tu ici ?

- Comme c’est Jeudi et comme tous les Jeudi, je ramasse du plomb et du cuivre. Voyez, aujourd’hui j’en ai plein mon seau. Je cache tout ça dans la redoute et de temps en temps, j’en vends aux ferrailleurs pour me faire des sous.

- Tu connais bien la redoute ?

- Ben oui, mais il faut une pile électrique pour aller dedans et je n’ai pas apporté la mienne.

- J’en ai une. Alors je te suis, j’aimerai y entrer ... tu la connaît bien la redoute et je n’ai pas loin à aller.

On s’avance dans le couloir ... l’émotion m’étreint ... nous arrivons.

- C’est ici, aide moi.

Nous dégageons quelques gravas et je retrouve la fente que j’ai bouché d’une pierre plate avant de sortir avec mes compagnons au moment de l’attaque ... l’enveloppe de toile cirée est toujours là ... elle contient mon second carnet de note, des lettres et le petit étui que ma mère m’a donnée avant de partir au front. J’en fais l’inventaire, tout y est intact ... je dévisse l’étui de métal et sort ce qu’il contient. Je revois alors ma mère me recommander :

- Tu garderas toujours ceci sur toi. Ce qu’il y a dedans te protègeras et lorsque la guerre sera finie tu feras un pèlerinage à Auray pour y faire brûler un cierge.

- Qu’est ce que c’est M’sieur ?

- Une petite statuette ... elle représente Sainte Anne d’Auray ... celle-ci m’a été donnée par ma mère avant que je parte à la Guerre ... j’avais toujours ces objets que tu vois avec moi mais je les ai caché dans ce trou car je croyais ne plus revenir dans cette galerie ... quelqu’un un jour les aurait peut être retrouvé ... peut-être bien toi après tout. Au dehors, où tu ramasses ta ferraille, il y a quelques années, c’était l’enfer ... je ne croyais pas en revenir ... et tout près de cette entrée, beaucoup de mes amis sont morts. Depuis c’est la première fois que je reviens ici où j’ai été gravement blessé.

- Alors, elle vous a protégée quand même, votre bibelotte, même si vous ne l’aviez pas sur vous ?

- On dit bibelot. Et ça n’est pas un bibelot mais en quelque sorte un reliquaire. Oh, je n’y crois pas trop mais on ne sais jamais ... j’avais promis ... à ma mère ... tu comprends.

- Et c’est tout de même pour ça que vous êtes revenu.

- Oui, un peu ... pour ça ... et pour les souvenirs ... mais il est temps de s’en retourner, il se fait tard et le chemin m’a paru long ... comme tu vois j’ai la jambe un peu raide.

- J’ai caché mon vélo pas loin d’ici. C’est vous qui pédalerez et je me mettrai derrière sur le porte-bagages, comme ça vous irez plus vite.

Ce qui fut fait jusqu’à l’entrée de la ville, le Faubourg Pavé.

- M’sieur. Vous m’la donnerez bien votre Sainte Thérèse ?

- Sainte Anne d’Auray. C’est une sainte patronne de mon pays, la Bretagne. Que veux-tu en faire ?

- Ben ... si des fois que moi aussi j’vais un jour à la guerre ... alors j’aimerai bien qu’elle me protège même si c’est pas vrai ... parce que mon père lui quand il est parti comme vous, il est pas revenu d’là haut, plus loin qu’on a été ... disparu qu’on dit, à Fleury quand le RICM repris les ruines du village. Quand je cherche des billes de plomb et des balles et tout, j’me dis que p’têtre bien que je marche dessus ... il y a des soldats militaires morts partout et je sais bien moi qu’il est avec eux. Et que si il en avait eu une ... de Sainte Thérèse, ben il serait peut être revenu et il serait pas mort !

Rêveur, je reprenais le chemin de la Gare après avoir vu disparaître au coin d’une rue, le gamin pédaler sur sa bicyclette. Ce gamin dont je n’avais même pas demandé le nom, qui avait maintenant dans sa poche ma relique ce qui me faisait chaud au coeur !

En attendant l’arrivée du train, je reprends la rédaction de mon journal de marche et d’opération arrêtée à la date du :

Mardi 11 Juillet 1916 : Cette nuit, notre compagnie réduite à une soixantaine d’homme s’est jetée dans le Fort de Souville à la suite d’une relève, sous un bombardement meurtrier. Notre Lieutenant, Dupuy nous a fait ouvrir et dégager les issues des gaines souterraines et nous y plaça munis de grenades et prêts à sortir à la moindre alerte. L’entrée Nord-Est a été barricadée et obstruée par barbelés et sacs à terre. Les territoriaux survivants du Fort sont à leur poste devant leurs mitrailleuses. Pétarades et fusillades ininterrompues ont témoignées de la violence des combats pendant la nuit. Le Capitaine Decap a rejoint la position et a pris le commandement de la place. Un bombardement violent tape sur le Fort, les allemands collent au barrage, nous allons sortir.

Mercredi 11 Novembre 1925 : Je consigne le récit ci-dessus à cette date,

Quelle idiotie d’être venu ici tout seul ..."

Le 29 juillet 1954, un Dakota avait lâché des tracts survolant la région de Phuong Saly où se tenait un maquis avec les Groupements de Commandos Mixtes Aéroportés. Ordre était donné de décrocher et d’abandonner la mort dans l’âme le combat mais aussi les Nung, les irréductibles de la montagne luttant contre le Viet Minh. Un sergent métropolitain, perdu avec ce maquis dans la jungle ne put être évacué. Après une odyssée épouvantable, il rejoignit la mission militaire de Vientiane pour être rapatrié… et remettre ça en Algérie.

Le hasard faisant, notre chemin s’est croisé dans l’Ouarsenis en 1956 et au cours d’une embuscade, chef de section, il fut tué au cours d’un accrochage. Avant de mourir, il me confia… sa ‘’Bibelotte’’ que mon Oncle lui avait confié plus de trente années avant et que je garde toujours précieusement avec moi. Miraculeusement, elle avait retrouvé sa Famille d’origine mais n’avait pas protégé le gamin de verdun..

Comme pour le Sergent Chef Sentenac, les chemins non seulement se croisent et sont toujours des pistes sans fin.

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