Michèle LAUMET : Qui sont les Harkis ?

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UNE POPULATION HETEROGENE

Le terme harki constitue une appellation recouvrant une réalité complexe et hétérogène : l’ensemble des musulmans, qu’ils soient armés ou civils, restés fidèles à la France pendant la guerre d’Algérie.

Alors que les harkis ne sont qu’une partie des supplétifs, qui ne sont eux-mêmes qu’une partie des français musulmans, harki est devenu le terme générique qui englobe des catégories de personnes distinctes :

LES SUPPLETIFS

  • Les harkis proprement dit qui sont les membres des harkas. Mises en place dès le début de la guerre d’Algérie, les harkas sont des formations très mobiles (harka signifie mouvement) d’abord employées localement pour défendre les familles et les villages, puis constituées en commando offensif sous la responsabilité d’un officier. Les harkis sont recrutés par contrat d’un mois renouvelable et bien qu’affectés à des tâches militaires, ils ont un statut civil.

Ce qui a fait dire au Bachaga Boualam " Il fallait aimer beaucoup la France pour accepter d’engager sa famille sur un contrat d’un mois, révocable sans préavis par mesure disciplinaire, et avec préavis de huit jours pour inaptitude physique, le tout pour... 750 francs, salaire du courage... et de la fidélité. Le harki devait avoir la France bien accrochée au cœur pour laisser assimiler sa blessure de guerre à un accident de travail." (1)

Pour mémoire, les harkis et les autres supplétifs obtiendront le statut d’anciens combattants au regard du droit français par une loi du 9 décembre1974.

Les harkis et les anciens harkis représentent environ 70 000 personnes à la fin de la guerre d’Algérie.

  • Les moghazni qui sont rattachés aux SAS, dont ils assurent la protection. Les Sections Administratives Spécialisées exercent, sous la responsabilité de leur chef, lieutenant ou capitaine, outre des attributions militaires classiques, des fonctions administratives multiples sociale, médicale et scolaire, à l’égard des populations. Il y eu environ 800 SAS en Algérie. Leurs officiers se distingueront, en dépit des instructions contraires de leurs supérieurs, pour secourir envers et contre tout, leurs hommes menacés de mort. (2)

Les moghazni représentent environ 20 000 personnes à la fin de la guerre d’Algérie.

  • Les groupes mobiles de sécurité (GMS) : recrutés localement, essentiellement parmi les anciens combattants musulmans, ils sont constitués en formations autonomes, dont la mission est de protéger les populations dans une zone territorialement définie.

Ils représentent environ 10 000 personnes à la fin de la guerre d’Algérie.

  • Les groupes d’autodéfense (GAD) : constitués de volontaires non rétribués, englobant plusieurs villages auxquels l’armée distribue des armes, ils ont pour mission d’assurer la défense rapprochée de leur douar, leurs familles et leurs biens.

Ils représentent environ 60 000 personnes à la fin de la guerre d’Algérie.

LES OFFICIERS, LES MILITAIRES D’ACTIVE, LES APPELÉS

Ils représentent 65 000 personnes à la fin de la guerre d’Algérie.

Soit un total de 225 000 hommes en armes à la veille du cessez-le-feu du 19 mars 1962.


(1) Bachaga Boualam " Les Harkis au service de la France" éditions Frace Empire

(2) Nicolas d’Andoque "Guerre et Paix en Algérie. L’épopée silencieuse des SAS."

édité par SPL Société de Production Littéraire 10 rue du Regard 75006 Paris

Guy Vincent "Képi bleu. Une SAS. Un autre aspect de la guerre d’Algérie." édité par Jeune Pied-Noir BP 4 91570 Bièvres


LES CIVILS, AGENTS DE L’ETAT OU ANCIENS COMBATTANTS

  • Les élus locaux, les fonctionnaires, les notables musulmans (caïds, agas, bachagas), les élites francisées, (hauts fonctionnaires, intellectuels de culture française) demeurés engagés auprès de la France payèrent un lourd tribut pour cette fidélité, le FLN leur enjoignant sous peine de mort de démissionner ou de se démettre de leur mandat. Beaucoup furent égorgés pour ne pas avoir obtempéré.
  • Les anciens combattants, anciens militaires engagés (tirailleurs algériens, spahis, zouaves) et les musulmans mobilisés pendant les guerres de 1914-1918 et 1939-1945, sont une cible privilégiée pour le FLN qui leur interdit sous peine de mort de porter leur médailles et de percevoir leur pension de guerre. Nombre d’entre eux furent brûlés vifs dans le drapeau français.

Ces civils représentent environ 50 000 personnes à la fin de la guerre d’Algérie.

Ce sont donc près de 290 000 personnes qui sont directement menacées de mort, soit plus d’un million de personnes si l’on y ajoute leurs familles. Du fait du refus du gouvernement français de prendre les mesures nécessaires pour les protéger, 150 000 d’entre elles seront assassinées dans des conditions abominables, après le 19 mars 1962, date officielle du cessez-le-feu.

Après cette date, 25 000 pieds-noirs ont également été massacrés ou enlevés, sans avoir davantage été ni secourus ni recherchés. Ces deux chiffres sont les chiffres officiels donnés par André Santini secrétaire d’Etat aux rapatriés de 1986 à 1988.

DES RAISONS D’ENGAGEMENT DIVERSES

Si différentes raisons ont pu inciter ces groupes de populations - dont tous n’étaient pas hostiles à l’évolution du statut de l’Algérie, voire à son indépendance - à s’engager ou à rester engagés auprès de la France, l’une est commune à tous : le rejet des méthodes terroristes employées par le FLN dans le cadre d’une guerre où la population est un enjeu voire un otage, et qui n’hésite pas à recourir aux menaces, mutilations, exécutions sommaires et exactions diverses envers les civils, musulmans et européens." Le FLN égorge facilement pour se faire obéir. Il tue pour montrer qu’il peut, malgré l’armée française, tuer ceux qui hésitent à lui obéir et que cette dernière ne peut les protéger".(3)

Au delà du rejet des méthodes terroristes, ces différentes raisons d’engagement qui souvent se conjuguent entre elles, ce sont :

LA NÉCESSITÉ DE SE DÉFENDRE

Face au terrorisme, notamment pour les populations de l’intérieur qui y sont directement confrontées, la nécessité de se défendre, de défendre sa famille, son village, suscite le ralliement non seulement d’individus mais aussi de populations entières.

Comme l’indique le Bachaga Boualam " mes paysans, mes gardes champêtres, mes bergers de l’Ouarsenis sont devenus des guerriers parce-que leurs pères, leurs enfants, leurs femmes égorgés, ils se sont défendus eux-mêmes contre leurs assassins... la formation d’une harka n’est qu’une autodéfense d’une population que l’on veut forcer par le couteau et le fer à l’engagement politique".(1)


(1) Bachaga Boualam " Les Harkis au service de la France" éditions Frace Empire

(3) Mohand Hamoumou " Et ils sont devenus Harkis " éditions Fayard


L’ATTACHEMENT A L’ARMÉE FRANÇAISE

Les officiers, les militaires, les anciens combattants, restés fidèles à la France, les supplétifs également, sont les héritiers d’une longue tradition militaire. Leurs ancêtres, eux-mêmes pour les plus âgés, se sont battus sur la plupart des champs de bataille où la France est présente depuis plus d’un siècle, au sein de l’armée d’Afrique où le nombre de soldats musulmans dans les régiments de tirailleurs, zouaves, spahis, atteint 40 à 50 % des effectifs, dont un tiers d’engagés volontaires. "Fils d’une tradition militaire très ancienne, faite de bravoure, d’abnégation devant le danger, de respect de l’ennemi, ils ont écrit des pages admirables de l’histoire de nos armes (...) ils ont acquis des droits sur nous " (4)

Pendant la première guerre mondiale, les soldats musulmans sont 36 000 à tomber au champ d’honneur. En 1944, ils participent avec un courage qui force l’admiration des Alliés à la campagne d’Italie, au débarquement de Provence et à la Libération de la France. Parmi eux, les ancêtres des harkis :
"La Grande Guerre voit l’Algérie fournir un lourd contingent de soldats (...) ils versent généreusement leur sang sur les principaux champs de bataille immortalisés par l’histoire : Verdun, la Somme, la Champagne, l’Artois. Ils sont 170 000 à traverser la Méditerranée (...)

Ils sont 36 000 à donner leur vie pour que la France retrouve sa liberté et la paix.

C’étaient les grands-pères des harkis.

Pendant la seconde guerre mondiale, alors que la France est captive et muette 230 000 soldats musulmans dont 120 000 à 150 000 algériens luttent entre 1942 et 1944, certains jusqu’au sacrifice suprême.(...) ils inscrivent dans le livre d’or de l’histoire de France des pages de gloire qui ont pour nom : Belvédère, Monte Cassino, Rome, le Rhin, Strasbourg, Belfort.

Pour la seconde fois au cours de ce siècle, ces soldats rendent sa dignité à la patrie et lui restituent sa place dans le monde.

C’étaient les pères des harkis". (5)

LA TRADITION FAMILIALE OU CULTURELLE

Nombre de fonctionnaires, nombre d’élus locaux et nationaux, qui choisirent de continuer à assurer leurs fonctions malgré les menaces et les exécutions, le firent souvent parce-que leurs familles ou leur clan, avant eux, et quelquefois depuis longtemps, occupaient déjà des fonctions administratives ou électives au sein de l’Etat français. Leur fidélité s’inscrivait donc tout naturellement dans une tradition familiale ancienne.

De même pour les d’officiers ou pour les intellectuels diplômés des universités françaises, continuer avec la France peut s’analyser comme le choix de la fidélité à une culture qu’ils avaient intégrée.

Pour l’un comme pour l’autre groupe, rester auprès de la France relevait d’une logique de continuité.

LES RAISONS LIÉES AUX CIRCONSTANCES

  • La recherche de la protection de l’armée française
    dans une guerre où le moindre comportement - fumer, se rendre dans une administration, voter, parler à un militaire ou à un européen - peut être regardé comme suspect parce-qu’il transgresse un interdit posé par le FLN, transgression susceptible d’entraîner la mort, le musulman pris dans l’engrenage, pour échapper à la menace qui pèse sur lui, s’enrôle dans l’armée française.

Laquelle de son côté, pensant que la France resterait durablement en Algérie en se fiant aux promesses des dirigeants politiques, et en particulier à celles de De Gaulle jusqu’en 1960, exerce de fortes pressions pour favoriser l’embauche de supplétifs.

  • Les rivalités de clans ou de villages dans une société organisée autour de groupes - familles, clans, villages - et fondée sur la solidarité entre les membres d’un même groupe, les engagements collectifs avec l’armée française ou avec le FLN, peuvent être la conséquence de l’exécution d’un membre du groupe par les rebelles ou à l’inverse par les militaires français.

De même, les rivalités entre groupes rivaux expliquent les engagements dans un camp dès lors que le clan rival s’est engagé auprès du camp adverse. Comme le relate l’ethnologue Germaine Tillon citée par Mohand Hamoumou "sous le couvert et l’alibi de trois guerres, (entre France et Algérie mais aussi entre français et entre musulmans) un nombre incalculable de règlements de comptes assouvissent de vieilles haines pendantes entre les familles. "(3)

  • Le ralliement de rebelles
    pour certains d’entre eux enrôlés de force dans l’ALN (armée de libération nationale), ou révoltés par ses excès tant à l’égard des populations civiles qu’à l’égard des autres mouvements indépendantistes, ou par les règlements de comptes pratiqués dans ses propres rangs, rejoindre l’armée française constitue alors la seule alternative.

L’exemple le plus représentatif est celui du commando Georges : constitué pour l’essentiel par d’anciens rebelles sous le commandement de Georges Grillot, il fut après le cessez-le-feu du 19 mars 1962 presque entièrement exterminé, après le refus du gouvernement français d’organiser son rapatriement.

Les membres du commando Georges furent massacrés dans d’horribles conditions, certains d’entre eux furent ébouillantés vivants.


5) Abd El Aziz Méliani "La France honteuse. Le drame des Harkis" éditions Perrin 76 rue Bonaparte 75006 Paris / L’Harmattan 16 rue des Ecoles 75005 Paris

(4) Jacques Chirac premier ministre (1986)

(3) Mohand Hamoumou " Et ils sont devenus Harkis " éditions Fayard


  • Les motivations économiques
    la situation économique difficile, les menaces du FLN envers les musulmans acceptant de travailler chez les européens, la misère, le chômage, ont pu conduire certains à devenir supplétifs pour survivre. Si cette motivation est indéniable, elle n’est pas déterminante. Il faut rappeler que la première harka crée par l’ethnologue Jean Servier était constituée de bénévoles.

D’autre part, comme l’indique Mohand Hamoumou "de nombreux musulmans étaient prêts à devenir harkis bénévolement car ils désiraient avant tout avoir une arme pour défendre leur vie et celle de leur famille". Tout au plus peut-on dire que "la conjoncture économique extrêmement défavorable pour les musulmans a pu être un élément supplémentaire parmi ceux qui ont conduit nombre d’entre eux à travailler dans les SAS ou à devenir harkis". (3)

Mais quelle que soit leur hétérogénéité sociale ou culturelle, quelles que soient les raisons ou l’ancienneté de leur engagement, ce qui constitue le point commun de ces musulmans restés engagés auprès de la France pendant la guerre d’Algérie, c’est leur histoire : menacés par le FLN, trahis et abandonnés par la France en toute connaissance de cause, ils furent 150 000 à disparaître dans d’horribles conditions, souvent avec leurs familles, victimes de massacres perpétrés en masse après le cessez-le-feu du 19 mars 1962.

Michèle Laumet

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Voir en ligne : http://www.clan-r.org/portail/Miche...

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