Un peu d’HISTOIRE Les Barricades : 24 janvier 1960

, par  Jean Claude THIODET ✞ , popularité : 13%

VERITES SUR LA FUSILLADE D’ALGER
LE 24 JANVIER 1960 (relatées par le Dr. jean-Claude PEREZ)

I – L’ASSASSINAT DES GENDARMES…. PAR LA GENDARMERIE

Comme je l’ai évoqué au cours d’une précédente érude, c’est le bruit de la fusillade qui me fit bondir dans le boulevard Saint-Saëns et rejoindre ce qui était devenu le PC Ortiz.

Une fusillade entre d’une part les forces de l’ordre, en l’occurrence la gendarmerie mobile, et d’autre part, théoriquement, les manifestants.

Il y eut des morts des deux côtés. Beaucoup plus parmi les gendarmes, 14 tués, que parmi les manifestants.

L’arrêt de la fusillade coïncida avec mon arrivée sur la place de la Grande-Poste. Parce que se déployaient sur cette place, au même moment, les régiments parachutistes des colonels DUFOUR et BROIZAT et qu’un clairon avait fait entendre un « cessez-le-feu ».

Que s’était-il passé ?

Il faut distinguer deux phases.

-  LA PREMIERE PHASE :
c’est la charge des gardes mobiles.

D’après le colonel ARGOUD, c’est le général CREPIN qui donna cet ordre, sans en référer au préalable au général en chef. Un ordre émanant de DELOUVRIER, le délégué du gouvernement en Algérie.

Pourquoi ?

Parce que la manifestation qui, à 15 heures, s’illustrait comme un échec patent, devenait progressivement un succès. Un succès car la foule commençait à arriver en masse. Les salles de spectacles avaient été vidées de leurs publics, le stade municipal d’Alger aussi et nos militants du FNF étaient en mission dans tous les coins de la ville pour rameuter la population.

Ce succès, concrétisé par ce peuple qui grondait, représentait un danger pour le pouvoir gaulliste. Car son enthousiasme était contagieux. Il fallait absolument lui infliger un coup d’arrêt décisif. Il existait en effet un vieil adage dont MASSU, paraît-il, s’était fait l’interprète
 :
« Si vous êtes quelques centaines je vous donne la fessée. Si vous êtes quelques milliers je vous tire dessus. Si vous approchez les cent mille, je marche avec vous ».

Compte tenu de l’évolution ascendante de la concentration populaire, il paraissait évident que le nombre de manifestants allait atteindre ou peut-être dépasser le chiffre de cent mille hommes et femmes.

Dans cette éventualité, on se méfiait en haut-lieu du comportement du général CHALLE, le commandant en chef, qui aurait pu ressentir et partager, lui-aussi, les effets de l’enthousiasme populaire.

-  LA DEUXIEME PHASE
concerne l’ouverture du feu.

La question primordiale fut toujours de savoir si les gardes mobiles avaient tiré sur les manifestants. En particulier, s’ils avaient tiré au fusil-mitrailleur.

Cette question a trouvé une réponse au cours des audiences du célèbre procès des Barricades d’Alger auquel je participais, en tant qu’accusé.

La thèse officielle, qui était celle de l’accusation, soutenait que les gendarmes n’avaient pas tiré un seul coup de feu.

Or, trois dépositions fondamentales sont venues conférer à cette fusillade une lumière éclatante d’enseignements. Car elle est venue lever tous les doutes à propos de l’identité des responsables du drame que nous avons vécu ce jour-là.

Le colonel GODARD, chef de tous les services de police en Algérie, est venu témoigner, cité par l’accusation. Lors d’une première déposition, il ne dit rien. Absolument rien sur la fusillade.

Quelques jours plus tard, son adjoint à la direction de toutes les polices d’Algérie, le capitaine de La BOURDONNAYE, lui-aussi témoin de l’accusation, fit sensation. En effet, il déclara, alors que l’on ne lui demandait rien, qu’il avait vu deux FM de la gendarmerie mobile, tirer du Forum en direction de la foule.

Ce fut un véritable tollé dans la salle d’audience, aussi bien au niveau de l’accusation qui était représentée par un avocat général et un commissaire du gouvernement, le général GARDON. Qu’au niveau des membres du tribunal : un président, deux assesseurs civils et plusieurs officiers supérieurs et généraux. Ce fut aussi un tollé parmi tous les avocats qui assumaient la défense des accusés dont je faisais partie.

Objet de questions pressantes, véhémentes même, de la part du général GARDON, le capitaine de La BOURDONNAYE précisa qu’il n’avait pas été le seul à observer ce tir effectué par deux FM de la gendarmerie. Il déclara, en effet, qu’avec lui étaient présents au moment où le tir des gendarmes s’est déclenché, d’une part le colonel GODARD, son chef, et d’autre part le commandant ALLAIRE.

Je me souviens qu’à ce moment précis de son témoignage, le capitaine de La BOURDONNAYE avait manifesté un doute. Il ne se souvenait plus de l’identité du troisième officier. Quant tout à coup il s’exclama : « c’était un ancien officier du REP… le nom va me revenir… j’y suis ! Il s’agit du commandant ALLAIRE ».

Evidemment, le commissaire du gouvernement, qui était secoué d’une émotion qu’il ne parvenait pas à dominer, fit convoquer à la barre des témoins, le colonel GODARD tout d’abord.

Avec beaucoup d’indulgence, il lui reprocha d’avoir été silencieux sur cette partie importante de son témoignage, qu’il avait totalement occultée.

GODARD, un peu confus, fut obligé de reconnaître et d’affirmer, sous serment, qu’il avait vu deux fusils-mitrailleurs mis en batterie par la gendarmerie sur le Forum d’Alger. Ces deux FM étaient pointés en direction de la foule. Et il apporta la précision suivante : « J’affirme n’avoir vu tirer qu’un seul des deux FM ». Il ne précisa pas la durée du feu.

Quant au commandant ALLAIRE, il vint témoigner, un peu contraint et forcé. Je veux souligner par cette précision, qu’il ne s’est pas exprimé avec aisance. C’est pratiquement avec regret qu’il confirma le témoignage du colonel GODARD : deux FM de la gendarmerie étaient pointés du Forum en direction de la foule, et au moins l’un d’eux avait tiré en direction de la foule.

Pour apprécier l’importance opérationnelle de ce TIR DE LA GENDARMERIE, il me faut vous schématiser les lieux du drame.

Imaginons un premier plateau que j’appelle le plateau supérieur : c’est la place du Forum. Elle s’étend devant le bâtiment de la Délégation Générale. C’est-là que ce sont déroulées les manifestations de mai-juin 1958. C’est du balcon du Forum d’Alger que DE GAULLE a lancé son : « Je vous ai compris ! ».

Etant sur le Forum, si nous tournons le dos à ce balcon, sur notre gauche, se développe un plan incliné : il est formé des escaliers qui permettent de rejoindre le Plateau des Glières. Sur ce plateau, s’amasse la foule algéroise. Il s’agit du deuxième plateau : le deuxième plateau inférieur.

Près de ce plateau, concentrés dans les escaliers qui conduisent du premier au second plateau, les gendarmes mobiles s’apprêtent à donner la charge. Effectivement, les escadrons dévaleront ces escaliers pour aller au contact de la foule, avec mission de la disperser. « Quitte à faire preuve de brutalité » a précisé le général COSTE, le tout récent commandant de la Zone Autonome d’Alger. Un officier pied-noir qui obéira à De Gaulle en cette circonstance.

Sans état d’âme.

Retenons donc ce schéma :

-  un plateau supérieur, le Forum, où deux FM étaient en batterie, et à partir duquel un FM au moins de la gendarmerie mobile a tiré ;
-  un escalier qui relie les deux plateaux ;
-  un plateau inférieur où un peuple chante la Marseillaise et exprime sa foi dans l’Algérie française et dans la France.

Revenons au procès des Barricades.

Après les dépositions de ces trois officiers, La BOURDONNAYE, GODARD et ALLAIRE, l’audience du lendemain fut consacrée à une nouvelle audition : celle du colonel DEBROSSE. Celui-ci, on le sait, commandait la gendarmerie mobile. C’est lui qui avait reçu la mission de dégager le Plateau des Glières.

A la demande des avocats de la défense, j’avais esquissé un plan des lieux, en forme de coupe. J’y situai la position des deux FM suspects. Maître Le CORROLLER , posa la question suivante au colonel DEBROSSE :

« - Si un FM de la gendarmerie avait tiré d’ici, que se serait-il passé ? » Il désignait évidemment le plateau supérieur.

« - Mais c’est impossible ! » répondit DEBROSSE, « ce FM aurait tué des gendarmes ! »

Donc, on peut affirmer que le tir de la gendarmerie fut réel et indubitable, puisqu’il fut constaté, de visu par trois officiers très expérimentés dans le domaine des armes et des opérations militaires.

Ce tir de FM, effectué à partir du Forum d’Alger, fut dirigé, très ponctuellement, contre la foule rassemblée sur le plateau inférieur. Comme on le dit vulgairement, ceux qui ont ouvert le feu, ont tiré dans le tas. Mais comme dans ce tas avançaient les gendarmes, il était pratiquement inéluctable que parmi ceux-ci certains d’entre eux fussent tués ou blessés.

Intentionnellement ?

J’ose répondre par l’affirmative. Car il fallait un prétexte au pouvoir pour clore cette journée dans un bain de sang.

Au-delà des responsabilités, la gravité de cette affaire est illustrée avant tout par le nombre de morts et de blessés. C’est un drame connu. Il n’entre pas dans cette étude de l’évoquer par une arithmétique de cadavres inopportune.

Car une autre vérité accentue la dimension dramatique, inattendue et particulièrement infâmante de cette gravité. ++++

C’est la vérité suivante : les premières lignes de mobiles qui chargèrent la foule, étaient constituées pour une grande part de gendarmes pieds-noirs dont les armes avaient été désapprovisionnées au préalable . Avant leur charge.

Un coup de feu provocateur est sûrement parti de la foule. Il a déclenché le tir du ou des FM de la gendarmerie, à partir du Forum.

Il est important de souligner aujourd’hui encore que les quatorze gendarmes tués, n’ont pas été autopsiés. Aucune précision ne fut apportée concernant l’origine des projectiles qui les avaient atteints.

J’ai connu au moins l’un des gardes originaire de Fort-de-l’Eau qui participa à cette charge. Il fut toujours convaincu que lui et ses compagnons étaient tombés dans un infâme traquenard.

Il précisait même que celui-ci avait été monté par-dessus la tête du colonel DEBROSSE. Il rejoignit l’OAS quelques temps plus tard, avec plusieurs autres des gardes mobiles qui participèrent à cette charge du 24 janvier.

Il le fit après avoir incendié la caserne de la gendarmerie mobile de Maison-Carré.

Il fut condamné par contumace à 20 ans de détention. Il est mort en Espagne. Il s’appelait Vincent Ginester.

Cette intervention des forces de l’ordre se devait d’être sanglante, avant tout, pour ceux qui l’avaient déclenchée. Et surtout pour ceux qui avaient planifié le feu de la gendarmerie, sans en référer au général CHALLE.

Il fallait du sang à ces messieurs, de manière à disposer d’un prétexte qui aurait permis au pouvoir gaulliste de résoudre dans un bain de sang, répétons-le, cette soirée des Barricades d’Alger. Cette soirée du 24 janvier 1960.

Se débarrasser par-là même, de ceux partie, qui avaient beaucoup donné, depuis cinq ans
déjà, pour la défense de l’Algérie française.

Ceux qui avaient mis en jeu leur carrière, leur équilibre familial, leur liberté et leur vie. Ceux qui, cependant, sont encore traités par certaines organisations et publications amies, avec une désinvolture irritante. Voire un dédain insultant.

Commença alors la nuit tragique.

Nos effectifs étaient regroupés autour du PC Ortiz, ainsi qu’à l’intérieur des locaux de cet immeuble que nous occupions.

Nous étions sous la menace d’une attaque en règle dirigée contre la Barricade du PC Ortiz. Mais nous étions là. Pratiquement tout l’effectif des commandos de choc du FNF. Ceux qui le matin avaient enfoncé les barrages des parachutistes et de la gendarmerie. Ceux qui avaient rameuté la foule vers le plateau des Glières.

Le capitaine HAUTECHAUD, du 1ER REP, affecté à d’autres fonctions auprès du général MASSU à la préfecture d’Alger, vint nous rendre visite peu avant minuit. Il déclara textuellement, à Ortiz et à moi-même :

« Dans deux heures, nous déplorerons 600 morts à Alger » .

Il était manifestement pessimiste.

Mais, le 1er REP se cantonna à ce moment-là sur la place de la Grande-Poste. Le colonel DUFOUR vint nous contacter. Il déclara à Ortiz et à moi-même :

« Soyez calmes cette nuit, reposez-vous et surtout dormez. Il ne se passera rien et demain… il fera jour ».

Effectivement la nuit se passa au mieux possible.

Nous eûmes, hélas, à déplorer un drame inattendu. Le suicide de l’un des nôtres. Raphaël Senach. Il souffrait d’un état dépressif apparemment quiescent qui s’est brutalement décompensé après la fusillade.

Paul Ribaud, dans un livre un peu romantique, Barricades pour un drapeau a montré dans une très belle photo, la foule qui assista, quelques jours plus tard, à l’enterrement de Raphaël. On voit, en plein milieu de cette foule, le visage de Jean Perez, mon père, qui, avec ma mère, mes sœurs et beaucoup de parents, assistèrent à toutes les manifestations. Mon jeune frère Jacques était à son poste, à la tête de son groupe, à l’intérieur des Barricades.

Cette nuit, fut pour moi l’occasion de faire la connaissance du capitaine SERGENT. J’y reviendrai un peu plus loin dans le cadre de cette étude .

Ainsi, à 2 heures du matin, l’aventure du 24 janvier 1960 était terminée.

Pointaient les premières heures du 25 janvier.

Allait naître alors une autre aventure, beaucoup moins risquée : celle de la semaine des Barricades d’Alger, qui ne fut qu’une queue de ce qui s’était passé pendant les journées des 23 et 24 janvier.

Est arrivé le moment de poser une question : quels sont les responsables de la fusillade ?

La réponse est nette. Sans équivoque. Je l’ai d’ailleurs évoquée.

A/ Le premier responsable, le responsable opérationnel, c’est DELOUVRIER, le Délégué du gouvernement en Algérie. Plus tard, quand il fut mis sur la touche de la vie politique par le général De Gaulle, il déclara en substance à son idole :

« J’ai pourtant pris la responsabilité de faire couler le sang à Alger ».

B/ Après lui, parce qu’ils lui ont obéi, sans exiger une confirmation par le général CHALLE qui ne fut pas informé de la décision de faire charger les gendarmes, sont responsables le général CREPIN, nouveau commandant du corps d’armée d’Alger et le colonel FONDE, commandant du secteur Alger-Sahel.

Le colonel DEBROSSE ne fut qu’un simple exécutant.

Il est acquis d’une façon certaine que des personnalités politiques, évoluant très près du Président de la République, sont intervenues pour engager DELOUVRIER dans cette responsabilité : faire couler le sang à Alger.

Des personnalités très liées avant tout à Georges Pompidou et à son état-major. Pompidou, fondé de pouvoir de la banque Rothschild qui occupait, à ce moment-là, les fonctions de chef de cabinet de De Gaulle.

Dès 1958, lors de l’accession au pouvoir par celui-ci en juin 1958, en tant que dernier président du Conseil de la IVème République, Pompidou avait fait connaître son plan de négociations avec le FLN pour aboutir à un cessez-le-feu avant la victoire.

Ce plan s’exprimait dans un document d’une importance déterminante dont on a très peu parlé et aujourd’hui encore moins qu’hier : le document Pompidou préparé à l’aide de BROUILLET et de TRICOT.

Pompidou et les « pompidoliens » furent des acteurs dont le rôle fut de la plus haute efficacité dans le largage de l’Algérie française. Au nom du délestage économique de l’Algérie dans le but d’augmenter la valeur ajoutée des investissements. Ce plan Pompidou concrétisait auprès de l’exécuteur en chef qu’était De Gaulle, l’objectif de l’un des états-majors opérationnels les plus efficaces du capitalisme financier de l’époque.

Et c’est dans le cadre du délestage économique de l’Algérie, que sont intervenus des hommes comme Giscard d’Estaing, qui ont manifesté à haute voix, leur volonté que les Barricades d’Alger fussent réduites par la force. C’est-à-dire, au prix de quelques centaines de morts.

II – LE 25 JANVIER 1960, A PARTIR DE 5 HEURES DU MATIN : MES RENCONTRES, CE MATIN-LA, AVEC SERGENT, BROIZAT, LE GENERAL GRACIEUX, COMMANDANT DE LA 10ème D.P.

« Demain il fera jour…. » avait déclaré DUFOUR, commandant du 1er REP. En plein milieu de la nuit il effaça par ce propos les effets anxiogènes de la réflexion pessimiste du capitaine HAUTECHAUD : « Cette nuit il y aura 600 morts de plus à Alger ».

La fusillade remontait à plusieurs heures. L’état de siège avait été décrété à Alger par le général CHALLE.

L’information générale nous traitait d’assassins, de factieux sans foi ni loi… mais rien ne se passait.

Durant cette nuit, nous savions très bien que si l’armée donnait l’assaut, nous serions balayés en quelques minutes. D’autant plus que nous n’aurions jamais ouvert le feu sur l’armée française. Je tiens à le préciser. Tels étaient mes ordres.

Donc, c’était devenu quoi ce 24 janvier 1960, à Alger ? Un bluff ? Pourquoi pas ? C’était le moment ou jamais d’être capable de bluffer.

Je pressentais que rien ne se passerait… et par intermittence, je m’offrais quelques minutes de sommeil, sur le coin d’une table.

Certains parmi les nôtres, m’interrogeaient avec angoisse. Mon camarade de jeunesse et frère d’armes, Georges Beauvais me demanda : « vais-je mourir cette nuit ? Je veux le savoir ».

« Je n’en sais rien », lui ai-je répondu. « Il nous faut attendre et rester calmes ».

Malgré cette incertitude, nos militants du FNF sont restés sur place : autour du PC ORTIZ et à l’intérieur de l’immeuble. A monter une garde symbolique.

C’est à ce moment là qu’une voix s’est élevée parmi eux. C’était celle de Sauveur Marco, un de nos commandos de choc du FNF, un bagarreur teigneux s’il en fut, qui avait fait partie avec Charlie Falzon, Robert Laugier, son frère et d’autres encore…. du fameux bélier de 200 casques lourds qui avaient enfoncé les barrages du matin, avec moi à leur tête. Et que nous disait Sauveur ?

« Vous vous imaginiez tous qu’on allait défendre l’Algérie française par des défilés, des chants et quelques gueulantes ! Qu’on allait sauver l’Algérie française, comme ça, en rigolant et en manifestant. Et bien la vérité c’est cette nuit ! Alors dormez et bonne nuit ! ».

J’essaie aujourd’hui, de traduire en langage décent la formulation très couleur locale dont nous avait gratifiés Sauveur et que je n’ose pas transcrire.

Quoi qu’il en soit, nous attendions la suite des évènements. Tout allait dépendre du comportement de l’armée.

Vers 4 heures du matin, quelqu’un vint me chercher.

« Un capitaine du REP demande à te rencontrer ». me dit-il. « Il t’attend de l’autre côté de la barricade ».

Je m’y rendis. J’eus droit à un salut classique, « Pierre SERGENT, du 1er REP, mes respects docteur ».

Il me dit immédiatement :

« Le commandant V…, commandant en second du régiment, vous invite à venir le rencontrer au PC du régiment, le plus rapidement possible ».

« Je vous suis » lui répondis-je.

Il me conduisit à quelques centaines de mètres du PC ORTIZ, et me présenta au commandant V…., le commandant en second de cette belle unité de la Légion étrangère.

« Très honoré de vous rencontrer » me dit-il. « Je vous ai prié de venir pour vous inviter au calme, vous et vos troupes » ajouta-t-il.

Et il enchaîna : « tout se passera bien. Je suis pour l’Algérie française. Le régiment est pour l’Algérie française. Le général GRACIEUX, commandant la 10ème DP est pour l’Algérie française. Le général CHALLE est pour l’Algérie française.

Donc, le sauvetage de l’Algérie française, c’est l’affaire de quelques heures …. Car « le coup va partir ». Maintenez le calme parmi vos effectifs. Nous vous solliciterons le moment venu ».++++

Voilà dans l’esprit, les propos que me tint ce brillant officier du REP, ce lundi 25 janvier, un peu avant l’aube.

Je m’en retournai au PC pour informer Ortiz et les autres de cet entretien et je réussis enfin à dormir 1 heure.

Je fus appelé dans la matinée (9 heures ? 10 heures ?) par une estafette qui me déclara :

« Le colonel BROIZAT veut te parler d’urgence ».

Je connaissais BROIZAT. Il commandait le 1er RCP et j’avais tenu avec lui et deux autres colonels du Bureau préfectoral de MASSU, une réunion très importante dans la villa du capitaine FILIPPI, située au Balcon Saint Raphaël, vers la fin de l’année 1959.

BROIZAT, ce 25 janvier vers 9/10 heures du matin, me présenta deux autres officiers, que je n’avais pas encore vus :

« Le général GRACIEUX » me dit-il et « mon second, le commandant B…. ».

BROIZAT manifesta à haute voix, sa satisfaction devant le déroulement de l’opération.

« Le fait que rien ne se soit passé cette nuit, est très significatif ». me dit-il. Il faisait référence aux intentions probables du général CHALLE.

« Ils n’ont pas osé …, donc …, donc quoi ? », telle était en réalité la question que je me posais in petto.

A ce moment-là, le général GRACIEUX s’adressa à moi avec courtoisie et il me renouvela les recommandations techniques du commandant V…., transmises quelques heures plus tôt au PC du 1ER REP.

« Tenez vos effectifs en mains », précisa-t-il. Il ajouta : « La 10ème DP va marcher pour sauver l’Algérie française, le général CHALLE va prendre la tête du mouvement et l’armée va s’engager dans cette opération, c’est une question de quelques heures : l’Algérie française est sauvée ».

Je ne puis exprimer aujourd’hui l’émotion que j’éprouvai à cet instant-là.

Je ressentis un immense espoir dans un destin nouveau pour l’Algérie et pour la France.

Pratiquement à ce moment-à, intervint un sous-officier des transmissions pour un message téléphonique destiné au général GRACIEUX. Celui-ci se retourna vers BROIZAT :

« Tous les commandants d’unités de la 10ème DP à l’EMI » dit-il à BROIZAT.

Celui-ci se retourna alors vers son second, le chef d’escadron B…, que j’ai évoqué un peu plus haut :

« Je laisse le régiment entre vos mains. Je vous donne l’ordre de n’obéir qu’aux ordres que je vous transmettrai moi-même. En particulier je vous donne l’ordre de désobéir à tout ordre qui viendrait d’ailleurs, et qui vous commanderait de tirer sur la foule ».

Je fus témoin de cette scène et je me souviens encore de l’enthousiasme « Algérie-française » qui animait le chef d’escadron B…, commandant en second du 1er RCP .

Donc le 25 janvier au matin, l’enthousiasme militaire « Algérie-française » commençait à s’exprimer à nouveau et ne demandait qu’à exploser.

C’est alors que nous vîmes arriver, l’un après l’autre, tous les chefs de bataillons UT qui, la veille, étaient restés chez eux. Les officiers UT qui la veille, nous avaient lâchés. Ils se présentèrent en uniforme, pistolet au côté, avec la prétention d’organiser les effectifs de leurs compagnies qui parfois, les accablaient de quelques quolibets grinçants.

Ces hommes avaient vécu, pour beaucoup d’entre eux, le véritable 24 janvier et surtout, ils étaient restés présents durant cette nuit du 24 au 25 janvier, à espérer, malgré l’incertitude qui nous menaçait et que le capitaine HAUTECHAUD avait aggravée par la phrase qui m’avait impressionné : « Cette nuit il y aura 600 morts de plus à Alger ».

Je n’ai pas l’intention de décrire la suite de la semaine des Barricades, qui pour moi, est d’un intérêt mineur si on la compare aux journées des 23 et 24 janvier et à la première moitié de la journée du 25 janvier.

C’est DELOUVRIER qui réussit à obtenir la liquidation des Barricades, lorsqu’il prit la décision d’emmener le jeudi 28 janvier, le général CHALLE à la REGHAÏA . A extirper CHALLE de l’enthousiasme patriotique qui émanait de la foule auquel il n’était pas imperméable. Ce fut le piège que DELOUVRIER réussit à monter pour obtenir la fin de la Semaine des Barricades d’Alger.

A partir du moment où l’armée refusait de s’engager, nous ne pouvions plus rien faire.

Ce même jeudi 28 janvier, en fin d’après-midi, je fis la connaissance du colonel GODARD que j’évoquais au début de ce chapitre. Il s’était rendu dans l’enceinte des barricades et était accompagné du capitaine de la BOURDONNAYE dont j’ignorais l’identité à ce moment-là.

GODARD, me paraissait gêné. Il suggérait… Il n’osait pas s’exprimer clairement. Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’il attendait de nous. En réalité, ce qu’il n’osait pas nous exprimer, c’était sa conviction que jamais l’armée ne donnerait l’assaut contre les Barricades. Il était persuadé qu’aucun chef de corps n’accepterait de jouer le rôle de bourreau du peuple d’Alger. Il était aussi désespéré que nous du comportement désastreusement attentiste de ses frères d’armes. Il aurait voulu relancer l’affaire.

Mais il ne nous offrait aucun moyen d’action. Il aurait fallu qu’une unité entière prît position symboliquement dans l’enceinte des Barricades pour que l’aventure fût relancée.

J’avais maintenu avec SERGENT des contacts quotidiens.

Plein d’amertume, il vint me dire le vendredi 29 dans l’après-midi :

« C’est notre régiment qui va pénétrer dans les Barricades, de manière à éviter un drame…, le drame de la fin. Vos hommes remettront leurs armes et tout se passera bien pour eux. Mais pas pour vous Jean-Claude, ni pour Susini, Ortiz et Lagaillarde ».

Je lui opposai avec véhémence :

« Vous ne pouvez pas nous faire ça ! Vous ne pouvez pas entrer en armes dans les Barricades et nous humilier ainsi encore plus ! »

Je précisai ma pensée :

« Vous allez transformer la fin des Barricades en une défaite pour nous. Restez en dehors des Barricades et accueillez avec les honneurs, avec respect et avec estime, ceux qui en sortiront dans la dignité ». Tel fut le propos que je lui tins avec fermeté.

« Je vais transmettre de toute urgence au colonel » me dit-il.

Je ne sais si cette position que j’ai prise ce vendredi 29 janvier et que SERGENT a rappelée dans son témoignage au procès des Barricades, eut une influence sur le comportement du colonel DUFOUR. En tout cas, celui-ci accepta une évacuation du camp retranché, qui s’effectua dans des conditions plus qu’honorables. Mais tous avaient tenu à m’avertir : ne pas me faire prendre durant les premières heures qui suivraient les Barricades.

Pour Ortiz et pour moi, le compte était déjà réglé dans l’esprit de certaines autorités.

Ortiz se mit définitivement à l’abri.

Personnellement, je me mis à l’abri pendant 24 heures, avant de rejoindre le commando ALCAZAR, qui était en train d’être formé dans les quartiers du 1er REP, à ZERALDA, par des volontaires.

Je fus accueilli avec chaleur, par tous mes vieux camarades en particulier par Jean Ghnassia, Jourdes, Forzy, Ronda et d’autres, et tout particulièrement par l’aumônier du régiment.

A partir de là, s’amorça pour moi une suite que vous connaissez peut-être :

-  la Santé
-  l’OAS
-  l’exil
-  la condamnation à mort
-  le retour
-  et ce combat que je continue de mener pour défendre envers et contre tout, au mieux possible, le souvenir de ce qui fut la plus belle bataille livrée pour la défense de l’Occident :

LA BATAILLE DE L’OAS

Navigation