Je me suis fait voler mon vélo ! J’en suis resté estomaqué

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Lundi dernier, je me suis fait voler mon vélo. Vous allez me dire que des vélos, il s’en vole tous les jours, qu’il n’y a pas mort d’homme, que le mal n’est pas bien grand - d’autant que ce vélo, je l’avais acheté d’occasion, et pas très cher. Oui, mais, voilà, c’est le troisième que je me fais voler, en moins de cinq ans, et je trouve que ça commence à bien faire.

A la rigueur, pour le premier et le deuxième, je peux comprendre. Le premier, c’était dans le local à vélo de mon immeuble, et le deuxième, dans une cour de gare. Que ces deux aires de stationnement mal protégées attirent les voleurs gagne petit, ok, admettons que ça fasse partie de la nature humaine.

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Mais le vol de lundi, c’est une toute autre affaire. Là où je l’avais garé, mon vélo ne constituait en aucun cas un pousse au crime. J’étais chez un ami, et j’avais laissé le vélo dans la cour. Une cour indiscutablement privée, délimitée côté rue par un mur et une grille en fer. La maison elle-même est une maison de ville, située dans une rue tranquille, très peu passante. Pour me voler mon vélo, il fallait déjà le repérer, s’apercevoir que je n’avais pas mis l’antivol, ouvrir la grille (qui a tendance à grincer), monter une volée de marches, prendre le vélo, redescendre, le tout sans bruit. Je précise qu’il était environ 11 heures du matin, que mon ami et moi, nous discutions dans le salon, à trois pas du vélo, et que nous aurions très bien pu voir le voleur par la baie vitrée. Le voleur, lui, ne peut pas ne pas nous avoir vus. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il s’est engagé dans la cour, en sachant pertinemment qu’il courait le risque de se faire prendre…

Encore que, après réflexion, quel risque courait-il vraiment ? Une correction si nous l’avions attrapé ? A condition de ne pas tomber sur un os, qui en plus de me voler nous aurait flanqué une dérouillée. Et quand bien même nous l’aurions attrapé et un peu secoué, qui est-ce qui aurait risqué une condamnation pour coups et blessures ? C’est nous ! Imaginons maintenant qu’une voiture de police soit passée par là, et ait pris mon voleur sur le fait. Qu’est-ce qu’ils en auraient fait, les poulets, de mon voleur ? L’emmener au poste avec nous, prendre son identité, ou celle qu’il aurait bien voulu décliner, puisque se promener avec ses papiers d’identité n’est pas obligatoire en France (d’ailleurs, maintenant, être sans papier est plutôt recommandé), et le relâcher. Parce qu’en France, Monsieur, on ne met pas en prison les voleurs de pomme, et encore moins les voleurs de vélo. Nous ne sommes plus aux temps barbares où l’on envoyait au bagne les malheureux, affamés par les bourgeois, et réduits à voler leur pain.

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Voilà. Curieusement, cette histoire ne m’a pas mis vraiment en colère. Elle m’a laissé plutôt « estomaqué », comme on disait chez nous. Parce que mon voleur, tout compte fait, ce n’est sûrement pas le type aux abois, qui aurait eu un besoin urgent de 50 euros pour acheter des médicaments à sa petite fille malade, qui se serait levé ce matin-là en se disant, bon, il me faut absolument cet argent, je vais faire la rue Trucmuche, j’ai repéré un vélo, je vais voir si je peux le voler, et j’irai le fourguer à Machin, il m’en donnera sûrement les 50 euros qui guériront ma petite chérie. Si c’était ça, je le lui donne, mon vélo, et avec plaisir, encore. Mais non. Mon voleur est vraisemblablement le produit « normal » que notre société moderne s’enorgueillit de produire. Le genre de bonhomme pas aux abois du tout, qui gagne correctement sa vie s’il travaille, qui bénéficie de la CMU s’il a peu de revenus, de l’AME s’il est sans papiers, et de toutes les allocations que la France peut offrir s’il entre dans la bonne case ; il passe devant chez vous sans penser à rien, il s’aperçoit que votre porte d’entrée est mal fermée. Vous, vous êtes chez vous, dans la cuisine ou le salon. Au lieu de poursuivre son chemin, le bonhomme « normal » entre et rafle ce qu’il peut, puis ressort, tranquille et pas gêné. Si par malheur vous le surprenez, au mieux il se sauvera s’il n’est pas certain d’avoir le dessus, au pire, s’il se sent le plus fort, il vous bousculera, vous frappera, et vous enverra peut-être au cimetière s’il lui en prend la fantaisie.

Tenez, si j’osais, je ferais un parallèle entre ma trop banale aventure et la tuerie de la boite de nuit de Lille. A Lille, un type apparemment « normal », (au caractère violent, mais suffisamment « normal » pour que la justice – que l’on sait si compréhensive envers les victimes de la société-, n’ait pas jugé bon de le maintenir en prison, malgré ses nombreuses condamnations), a trouvé « normal » de flinguer au AK47 le videur qui ne l’avait pas laissé entrer, et des noctambules qui ne lui avaient strictement rien fait. Si on peut impunément s’emparer des biens des autres, pourquoi pas de leur vie ? Hein ?

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Il y a quelque temps, dans une des innombrables émissions TV sur les serial killers, un expert esquissait le profil du tueur en série : père inconnu ou parti en laissant femme (s) et enfants dans la dèche, victime de violences dans l’enfance, voire de sévices sexuels, petite délinquance allant crescendo et en parallèle pas ou peu de sanction, d’où sentiment d’impunité, jusqu’à perte complète de repaires moraux. Et l’expert concluait qu’on avait longtemps cru que les serial killers étaient une spécialité Nord-Américaine, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive avec horreur que dans notre bon vieux pays, à force de refuser d’aimer, donc de châtier, nous étions en train d’en fabriquer à la chaîne, principalement dans nos grands ensembles qu’on appelle des cités…

Je ne dis pas que mon voleur vient d’une cité, et encore moins qu’il finira serial killer (j’espère bien qu’il s’en tiendra au vol de mon vélo) mais je rappelle à nos élites judiciaires, si soucieuses de modernité et de changement, ce vieux dicton de la France rétrograde : qui vole un œuf (et n’est pas puni) vole(ra) un bœuf.

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