Regard sur des « Français d’Algérie Silencieux » !

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A l’indépendance de l’Algérie, les « Pieds Noirs » ont vécu l’exode. Un exode douloureux lié à une profonde déchirure au plus profond des entrailles.

Pour nous « Français d’Algérie » qui avions vécu des jours heureux même si la précarité ne nous donnait pas, en tout cas à la plus grande majorité d’entre nous, la possibilité de vivre dans le « bien être financier », c’était tout de même une part de bonheur que nous laissions là bas. Tel était le prix à payer pour tourner la page sur un terrorisme aveugle qui, pendant ces années qu’on appellera plus tard la « guerre d’Algérie », avait endeuillé nos familles.

En quittant le port ou l’aéroport du pays de nos ancêtres, de ce pays qui nous a vu naître, grandir, nous avions le cœur gros, rempli de désarrois, d’amertume, de tristesse ; Nous devions nous rendre à l’évidence et tirer un trait sur notre passé, laissant là-bas nos morts, nos disparus, nos jours heureux, nos espoirs trahis … pour rejoindre la France métropolitaine.

La France, cette mère patrie que la plus part de ses enfants de l’autre rive allaient découvrir pour la première fois, mais une France que nous connaissions bien grâce à l’enseignement reçu à l’école de la République où nous apprenions la géographie et l’histoire de France, et même « que nos ancêtres étaient Les Gaulois, que cette France était accueillante, généreuse ». Pourtant dès débarqués sur cette terre métropolitaine, notre reconstruction s’est faite dans un climat d’incompréhension.

Il était donc difficile de parler d’intégration, car à l’époque et sans vouloir en faire une généralisation le « Français d’Algérie » était assimilé à un « colon », un « exploiteur », considéré même comme un « étranger ». Mais que venaient ils faire ces « Pieds Noirs » sur le sol Français ? A l’incompréhension des uns venait s’ajouter un rejet plus ou moins prononcé des autres entraînant de ce fait des situations tragiques, parfois dramatiques.

D’un côté, des gens qui compatissaient et nous ont aidé. D’un autre côté, des gens mal informés, méfiants mais sans hostilité majeure envers nous qui ne demandaient qu’à comprendre. Et ces groupuscules qui nous rejetaient en entretenant parfois la confusion dans les esprits les plus accueillants...

Quelques Pieds Noirs ont fait le choix de s’installer en territoire français d’ Outre-Mer, d’autres ont préféré recommencer leur vie ailleurs dans un autre pays… C’est une histoire commune que chacun reconnaît avec peut-être des variantes.

Pour les uns, cette histoire continue de s’écrire car au delà de cette mémoire collective à défendre, de cette reconnaissance justiciable, il y a toujours cette blessure béante, douloureuse qui pour beaucoup ne peut se cicatriser.

Pour les autres ce livre d’histoire a été à un moment de leur vie complètement refermé, il a été rangé dans la malle aux souvenirs.

En ce qui concerne ces derniers,

Je ne parlerai pas de ces « amnésiques » qui ont brûlé leur « identité » en reniant notre passé tout en bloc au nom d’une idéologie ou tout simplement au nom d’une réussite sociale ou politique .

Je ne parlerai pas non plus de ceux qui quarante années plus tard sortent de leur « mutisme »… un peu comme moi pour rouvrir publiquement la malle remplie de souvenirs, de nostalgie… Avec pour chacun d’entre nous un vécu de l’intégration qui nous différentie les uns des autres dans la réflexion, dans la manière de faire connaître notre histoire et même dans le jugement que nous portons sur les Pieds Noirs, toutes catégories confondues.

Je vais simplement vous apporter des témoignages de ces « Français d’Algérie silencieux » qui éparpillés au cœur de la France profonde, loin du rivage méditerranéen et des grandes villes, loin aussi des regroupements communautaires, se sont reconstruits dans une intégration parfois lente et compliquée… avec comme compagnon d’infortune « l’isolement ». Aujourd’hui, considérés et respectés dans leurs villages et villes d’adoption, ils bénéficient de la confiance de leurs concitoyens, nombreux sont devenus responsables d’associations, élus territoriaux, militants politiques …

En un peu plus de trente ans, au hasard de mes déplacements professionnels, j’ai rencontré ces Pieds Noirs installés dans ces petites villes et villages, complètement absorbés par leurs activités liées à leurs boulots, à leurs loisirs et à leurs engagements multiples.

Méfiants, parfois, à mon égard quant ils apprenaient que j’étais moi-même du « pays ». Il faut savoir tourner la page me disaient ils, ou encore, avec les revendications, les prises de positions de certains, eh bien on se fait mal voir… Je me souviens de ce maire, conseiller général m’expliquant : Chacun sait très bien que ma femme et moi sommes de là bas, vous voyez nous avons conservé l’accent. Pour moi aujourd’hui, être Pieds Noirs, c’est être un Français qui a reconstruit sa vie ici. Il ne faut pas mélanger le passé au présent.

Avec l’arrivée d’Internet dans les Foyers, les « Sites P.N. » se sont multipliés. Une adjointe au maire dans un petit village me disait dernièrement Mon père a été assassiné à Oran, je suis arrivée ici à l’âge de 16 ans, avec le temps je me suis adaptée… j’ai découvert qu’un copain avait réalisé un site sur notre village, c’est formidable, on y retrouve notre jeunesse… on s’écrit amicalement…

Je cite le Président d’une association sportive : Il y a des sites que j’apprécie beaucoup, c’est un peu l’album photos du souvenir… mais il y a une orientation politique sur d’autres sites que je n’aime pas, on n’est plus dans les années 60.

A ma question « intervenez-vous dans les forums P.N. ? » La plus part ont été réservés sur la réponse pour ne pas dire muets, sauf quelques uns dont Isabelle, présidente d’association et militante politique : Je me suis exprimée il y a deux ou trois ans sur un site, donnant simplement mon point de vue sur un sujet, j’ai eu droit en retour à des attaques personnelles n’ayant rien à voir avec le sujet traité …

J’ai entendu souvent dire : l’intolérance n’arrange rien et sûrement pas le rassemblement de la communauté… Il vaut mieux se taire que polémiquer entre nous… Ce genre de forum est politisé ou il donne une mauvaise image de nous… Il y en a même quelques uns qui pensent que des personnes emploient plusieurs pseudos histoire de faire mousser la polémique…

Il y a très peu de temps, le fils d’un Pieds Noirs m’a dit avec fierté : Je ne connais pas le pays de mon père, je suis né ici… vous avez vu notre petite ville, c’est l’œuvre de mon père, c’est son troisième mandat de maire… C’est un bâtisseur comme mes ancêtres en Algérie… Voilà de quoi méditer non.

Tout en restant fidèles à leur passé mais tellement bien intégrés dans le paysage, ces Français d’Algérie muets ou silencieux se sentent en marge de la « communauté ». Je pense que si un jour ils ont le courage de sortir de leur silence ou de leur réserve, ils pourront (dans la contradiction et la diversité des opinions) apporter un plus à notre communauté et faire avancer notre histoire.

Ces quelques quarante années de reconstruction individuelle doivent figurer dans notre patrimoine historique, priver le plus grand nombre de cette connaissance est une décision égoïste.

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