Bab el Oued : Témoignage du Dr. R.P. MORICEAU

, par  Jean Claude THIODET ✞ , popularité : 71%

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Ce témoignage a été rédigé de mémoire à le demande de J.C.Thiodet

Je cite :

Jours et dates sont laissés à ton appréciation (cela s’adresse à J.C.Th.). Récit de quelques souvenirs limités au secteur des Trois Horloges.

La veille du siège, je suis averti vers 12h de la fermeture de BEO le lendemain avec interdiction faite à l’armée de pénétrer dans le secteur. L’OAS le fera savoir par radio dans la soirée.

- Au café de l’avenue des Consulats, "Jésus" de BEO, entre deux anisettes, prépare ses groupes et me demande si la clinique pourra éventuellement assurer un suivi médical.

En rentrant vers 13 heures, je parle de tout cela avec le docteur Thiodet, chirurgien. Nous décidons de rester sur place le soir, au cas où ( ?). Nous demandons à un autre chirurgien d’être présent (le Dr Cl.E.B) il reste vague.

Les deux frères Gilbert et Roger CHICHE, directeurs de la clinique sont OK ( par force ou/et par conviction ?).

Nous apprenons dans la soirée que des fûts de 200 litres d’huile sont prêts à être déversés dans les rues descendant le long de l’hôpital MAILLOT (boulevard de Champagne). Des barricades sont élevées au bout de l’avenue de la Bouzaréah : le commissariat de la rue Weimbrener, en face de la clinique, s’attend à être bloqué par l’OAS, pour la forme et pour sauver la face !

Le matin du premier jour : Vendredi 23 mars 1962 :

- Calme jusqu’à 10 heures
- A ce moment, tout paraît normal sauf l’absence de troupes et de gardes mobiles. Avec le docteur Thiodet, nous faisons un tour dans le quartier : les gens sont restés chez eux, déterminés mais inquiets. Jésus et ses ouailles sont invisibles, répartis aux quatre coins du quartier.

Nous apprenons que des officiers passés à l’OAS ( le capitaine Jacques ACHARD) sont sur place.

Vers 10 heures, une fusillade assez lointaine et brève : un camion militaire descendant vers Maillot a voulu forcer un barrage OAS (?). Il y aurait 2 ou 3 tués ou blessés du contingent.

Dans l’après midi ……..(illisible…..) Les T6 survolent le quartier en rase motte. Sur les toits, les guetteurs tirent quelques coups de feu vers les T6, sans mal.

Nuit de camping : le personnel administratif et médical de la clinique reste sur place,
car le quartier est bouclé par l’armée et surtout par les « rouges » (gardes mobiles du colonel DESBROSSE de la caserne des Tagarins).

- le 2° jour, l’attaque sur BEO commence : combats de rue, rumeurs alarmantes ou au contraire optimistes.

Les ambulances ou médecins peuvent passer le bouclage en certains points tenus par l’armée régulière.

J.C.Thiodet entre en contact avec Mgr DUVAL évêque d’Alger pour lui demander de venir sur place car nous commençons à entendre parler des exactions commises par les « rouges » : appartements saccagés - les gens avaient fait des provisions- ils éparpillent les vêtements de la famille, ouvrent dessus les boites de lait ou de conserves, cassent les téléviseurs et la vaisselle, et font sortir les mains en l’air tous les occupants en insultant tous ces Rodriguez, Fernandez Hernandez etc. Qui , pourtant, constituaient une bonne partie de l’armée française de Juin et de Delattre.

Nous sortons en blouse blanche, J.C.T et moi-même, et voyons les Half-Track de la gendarmerie arracher les volets roulants des magasins avec des câbles, ou les éventrer et piller l’intérieur - magasins de chaussures, parfumeries, etc, avenue de la Bouzaréah. Une petite fille aurait été tuée sur un balcon ? On ne peut en être certains mais il est sûr que les Rouges tirent sur les fenêtres.

- La nuit sera difficile : on sent la fin.

Le 3°jour, combats violents avenue de la Bouzaréah . A 10 heures l’ambulance de pompiers est touchée par un obus de 37 d’une AM de la gendarmerie.

Les membres de l’OAS commencent à quitter le quartier en s’infiltrant par les points de passage où les officiers sont consentants.

Dans la matinée, un dirigeant de l’OAS sera évacué par une ambulance des pompiers avec une perfusion dans le bras « pour péritonite » !!! La clinique LAVERNHE, avenue Pasteur est prévenue et reçoit aussi deux ou trois évacuations dans la journée.

Vers 16 heures, BEO est pratiquement occupée en entier.

A ce moment, les gardes mobiles amènent dans un Half-Track un des leurs qui est blessé. Descendu dans le hall de la clinique, je récupère son PA 9mm ainsi que son PM avec quelques chargeurs.

A ce moment, le garde mobile resté dans le véhicule devant la clinique arrose la façade de la clinique avec sa mitrailleuse lourde, de 12/7 et le plafond du hall reçoit 5 ou 6 impacts dont le plâtre tombe sur son copain blessé !! Ivrogne ou inconscient, le tireur !!

Au……..(illisible ) notre standardiste, Danièle Ch. Déjà traumatisée (elle était venue d’Avignon pour travailler à Alger !!!!) part à plat ventre sous sa banque. Il faudra 20 minutes pour la persuader de revenir à l’air libre.

2° fait : vers 17 heures Jacques Achard aujourd’hui décédé, arrive à la clinique. Il est coincé dans le quartier et ne peut plus sortir du bouclage. Après réflexion, en attendant une solution, X...lui fait, sous anesthésie locale, une incision type Mac Burney (appendicectomie) et y met trois points de suture, ce qui donne , dans un lit, un opéré d’appendicite aiguë dans la matinée.

La fouille de la clinique n’a pas lieu pour le moment. Le garde mobile, soigné, sera transféré à l’hôpital Maillot le lendemain avec armes et bagages.

Quant à ACHARD, un commandant de la régulière en jeep apporte un uniforme avec des gallons de sous-lieutenant et le capitaine passe les barrages en jeep officielle. Le commandant en question, cdt BAZIN, fut tué quelques semaines plus tard dans un maquis de l’OAS dans l’Ouarsenis.

J’ai revu Jacques Achard quelques années plus tard à PARIS où il travaillait pour la société routière COLAS. Il était porteur d’une belle cicatrice d’appendicectomie.

Ensuite, c’est la tristesse, la déception, et la répression : internements, massacre de la rue d’Isly, voulu et bien orchestré, torture dans les caves des Tagarins. A ce sujet, je peux témoigner d’un fait précis : un grand type de 25 ans, prénommé Gilles, (les noms de famille étaient souvent oubliés par sécurité) fut arrêté à la fin du bouclage et emmené par les Rouges dans les caves des Tagarins. Après trois jours « d’interrogatoire » par les sbires de DESBROSSES, (qui réinventèrent la " rue Lauriston
de la Gestapo à Paris), il tente de se suicider en se tailladant le poignet gauche.


[vert fonce]Immeuble de la GESTAPO à Paris[/vert fonce]

Emmené par une ambulance à Maillot, il saute par la porte arrière au niveau de la place des trois horloges et vient se réfugier à la clinique Durando. Caché et soigné, je l’ai amené, dissimulé sous une couverture au port d’Alger où il s’est embarqué sur un chalutier en partance vers l’Estaque. Je revois encore les lettre OAS de 10 cm de haut écrit sur son thorax avec des brûlures de cigarettes au 3° degré ! Les Rouges utilisaient des Players, parce que leur mégot était plus dur ! Il avait eu droit en outre à la gégène et à la baignoire.

De ce témoignage, il ne faut retenir que les faits, la chronologie étant inexacte.

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